Revival Norman Bates

NBM

3 Juillet

C’est un hôtel perdu, à l’extérieur du village. On y arrive par une route escarpée, tellement en dehors de la circulation locale que le chauffeur de taxi s’est perdu et a dû s’y reprendre à deux fois avant de me déposer devant l’entrée.

Au début, tout a l’air normal: l’accueil, la remise du passeport, la récupération de la clé… Mais alors que je visite, de menus détails s’accumulent dans mon inconscient. La terrasse déserte, la piscine vide de baigneurs, un parasol ouvert sous lequel semble oubliée une serviette roulée par le vent, comme si les vacanciers avaient fui en catastrophe, laissant derrière eux le souvenir de leur farniente troublé… Je suis étonnée et légèrement inquiète que l’endroit soit vide, mais la chaleur est écrasante et je me dis que je vais faire une sieste, que ça ira mieux après.

Je monte, le pas alourdi par l’air brûlant,  traverse le couloir silencieux, à la recherche d’un signe de vie. Rien. Devant la porte de ma chambre, je réalise que l’homme de l’accueil se tient juste derrière moi, avec cet étrange sourire figé qui m’a surprise à l’arrivée. Il a dû se coller à mes pas dans l’escalier. Il voulait simplement m’expliquer la moustiquaire, le ventilateur, la télé… toutes ces choses assez basiques qui se passent de commentaires mais ont une importance manifeste à ses yeux. Soit. Stratégiquement placée de l’autre côté de la pièce, côté porte et le lit nous séparant, j’écoute religieusement ses indications et en profite pour lui demander le code du Wifi.

Le réseau passe mal et il faut déambuler dans le hall et les salles de restaurant (ou aucun couvert n’est dressé) pour espérer le capter. Mais je me sens un peu seule et j’ai envie d’échanger avec quelqu’un. Qui que ce soit de connecté. Chaque fois que je fais demi-tour, ils sont là. Lui et son sourire figé. Son drôle d’accent légèrement guttural. Et ses souliers à semelles-crêpe. Je me souviens avoir lu quelque part que ces semelles font le bonheur des tueurs à gages. Il veut me montrer les meilleurs endroits pour avoir du réseau, mais ça calme mon envie de communiquer. C’est subtil: ainsi privée de possibilité d’exister sur internet, le monde ne saura pas où je me trouve et ne pourra pas envoyer les secours quand j’aurai disparu. Retour à la chambre.
J’hésite entre sieste et plongeon. La piscine bleu turquoise gagne. Mais il faut repasser devant le sourire figé. Tant pis, je m’emballe précautionneusement dans mon paréo, m’ancre des lunettes de soleil très sombres sur le nez et passe devant lui comme si son regard ne me suivait pas.

Ca ne loupe pas : il me suit, pour m’ouvrir un parasol. Le parasol est déjà ouvert, mais il reste, pour m’expliquer je ne sais quoi sur la région. Ah si… je me souviens. Il explique que sans voiture, je suis coincée, là. Avec lui et son sourire figé. Je décide de louer un vélo. Dès demain. Tout faire pour m’éloigner de ce type bizarre et silencieux, à priori le seul être vivant du coin. Il me dit mielleusement que les vélos ne sont pas légion dans une région surchauffée et montagneuse. J’ignore superbement la remarque. Je ne vais pas me laisser abattre si facilement.

Les heures passent, lentes et brûlantes. Chaque tentative de connexion au réseau est suivie de près par Mr semelles-crêpe, qui semble se matérialiser par magie partout où je vais. Je commence à m’énerver, mais comment repousser quelqu’un de serviable, même si, dans ce cas, serviabilité confine à servilité ? Heureusement, j’attends des amis. ça me donne de la force. Il pose mille questions, cherchant à savoir où et comment je les retrouve, où nous dînons, ce que nous faisons. Certes, dans le but de nous coller des remises chez des partenaires, mais cette insistance est déroutante. Derrière mes verres sombres, je peux le détailler à loisir. Sa peau blanche et rouge est tendue sur son crâne comme s’il n’avait pas dormi depuis 10 jours. Ses cheveux oscillant entre blanc et blond empêchent de lui donner un âge. Sa chemise à manches longues est boutonnée jusqu’au col, malgré les 42 degrés. Je glisse un œil vers ses mains, cherchant l’anneau symbole d’une hypothétique vie à deux. Rien, pas même une trace. Ce type doit passer ses journées et ses nuits à errer dans l’hôtel, fantôme rougeaud d’un Norman Bates vengeur. Je décide qu’il est flippant.

Fort heureusement, mes amis déboulent et m’embarquent, créant une diversion opportune dans ce qui commence à ressembler à une mauvaise série B. J’oublie.

Le soir, minuit passé, de retour dans ma chambre, je tends une oreille attentive, guettant les bruits d’autres vies éventuellement échouées là. Peine perdue. Le parking est vide et personne (sauf une touriste mal organisée) ne peut avoir l’idée de loger ici sans auto. Il me semble être seule. Je tourne la clé dans la serrure et commence à ranger quelques affaires avant de me coucher. Je tends la main vers l’interrupteur, saisi le bouton et appuie. Les plombs sautent. Ca me paraît si improbablement tiré d’un film d’horreur que je refuse d’y croire. Je teste tous les commutateurs que j’ai repérés, sans succès. Je suis dans un noir d’encre. Seule la mince ligne lumineuse qui filtre sous la porte m’éclaire. Si le reste du bâtiment est éclairé, c’est que je suis la seule dans le noir. Mais POURQUOI?

C’est trop cliché. Je décrète que je ne crains rien et que je ne vais pas dormir dans le noir, à trembler en attendant ma dernière heure. Armée de mon téléphone en mode « torche », je descends retrouver Norman. Un moment de délire me fait croire qu’il scrute des caméras de surveillance sur son écran d’ordinateur, mais non, ce n’est que la photo d’un chat (pas mignon). Je prends l’air outré et me compose une attitude hautaine pour indiquer que le noir total n’est pas une bonne option à ce prix et à cette heure. Il sourit figé et me précède dans l’escalier. Ma dernière heure est peut-être arrivée, mais je décide de ne pas flancher. Il n’a pas l’air armé et je suis sûre de courir plus vite que lui. Au pire, je hurle. Mais dans cet hôtel, c’est comme dans l’espace : personne ne m’entendra crier…

Il ouvre la porte et m’indique un disjoncteur. Ah. Si je l’avais repéré avant, je n’aurais pas vu ma vie défiler dans le couloir. Tant pis, pour ce soir, je prends pas de douche. Ca me paraît plus prudent…

4 Juillet

Norman surgit au petit-déjeuner, à la piscine, dans le hall… il semble doué d’ubiquité. Ou ils sont plusieurs. Je commence à envisager d’écourter mon séjour. Je dois me rendre en ville et me renseigne pour avoir un taxi. Il me propose de réserver.

20 minutes après, il me fait revenir à son bureau, pour admirer la vidéo pixelisée d’une biche au fond du parc, qu’il a prise ce matin (la vidéo, pas la biche. Quoi que, l’idée m’a traversée, mais je délire). Le menu du soir sera sans doute agrémenté de viande de gibier. La prise de vue est pourrie et l’animal à peine reconnaissable, mais Norman est extatique et je préfère le laisser baigner dans la félicité.
Pendant que j’admire comme si c’était la première fois que je voyais une biche, les pensées les plus folles traversent mon esprit : Pour quelle raison tordue me montre-t-il ce film ? Dois-je faire un parallèle entre la pauvre biche fragile et sans défense et moi?
Il profite de mon silence perturbé pour glisser qu’il a des emplettes à faire et  propose de m’emmener en ville. Comment refuser ?

Au bord e la nausée, je fais un sms rapide aux amis pour les prévenir, monte prendre mon sac.

Je pars.

Publié le 9 juillet 2015, dans Extrapolations, et tagué , , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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