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Rébellion quantique – Part 12
Roxane participe à des opérations menées par une organisation illégale dirigée par Franck, l’Asso. Ils empêche le gouvernement d’obliger les populations les moins aisées à quitter les villes pour le 3e cercle de banlieue. Roxane pose des bombes dans des immeubles en construction, tout en étant sûre de ne pas se faire prendre: elle est un individu quantique, dont la vie se déroule à cheval sur plusieurs réalités. Sa nouvelle mission la conduit à organiser l’enlèvement du ministre de la vie en ville, pour faire plier le gouvernement. Lors de son dernier saut dans l’espace-temps, elle a emmené avec elle un petit garçon qui se révèle être le petit-fils de l’otage. Pire, elle découvre qu’elle est un agenda double-double: son « moi local » se sert de ses relations avec le ministre pour lui voler des informations utiles à l’Asso et son « moi quantique » exécute les instructions des rebelles. Alors qu’elle découvre que la mère de l’enfant la connaît dans un autre monde, elle doit préparer son prochain saut dans le temps et l’espace. Elle désobéit à l’Asso en avertissant, pour la protéger, son double dont elle craint qu’elle ne fasse l’objet de répression. Résultat: deux Roxane se retrouvent dans un monde antérieur: l’une, recherchée pour ses actes terroristes, œuvre parmi les rebelles, et l’autre fait face à un Franck déconfit qui lui apprend qu’une troisième Roxane existait déjà dans ce monde. Par ailleurs, Inès, la mère de l’enfant, s’avère être la voix. Pour éviter de perturber le continuum espace-temps defaçon irrémédiable, Roxane doit dénoncer et faire condamner son double rebelle. Elle peut mainteant envisager de fuir dans un lointain futur.
Le début se trouve par ici, ceci est le dernier épisode
*
Comme il n’est pas question que je fasse sauter quoi que ce soit dans ce monde, ni que je mette en danger un quelconque moi qui trainerait par inadvertance, je vais pouvoir bénéficier des services d’Inès en direct, installée dans un canapé de velours vert foncé. Franck a tenu à me remettre en mains propres le téléphone qui va actionner mon saut vers cet autre monde dans lequel nous sommes sûrs que je n’existe pas.
– Comment ça va se passer, si tu n’es pas là pour m’accueillir et me donner les clefs de chez moi?
– Pour être honnête, je n’en sais rien, je suis navré, Roxane, j’aurais aimé sécuriser ce dernier voyage, mais je n’en ai pas la possibilité. C’est pour ça que je te demande de veiller sur ce petit dispositif comme sur toi-même.
Il me remet un boîtier carré d’environ trois cm de côté et d’un cm d’épaisseur.
– Il contient tout ce que j’ai pu y stocker comme informations sur toi, la cause, les données historiques des mondes que tu as traversés… nous avons tout crypté dans un code mathématique qui, je l’espère, pourra être décodé où que tu arrives. Il te faudra localiser quelqu’un de confiance et te débrouiller pour lui remettre ce cube. Ce sera ta porte d’entrée dans une organisation sociale, sans cela, j’ai peur que tu ne te retrouves en marge, condamnée à survivre par tes propres moyens.
– … et qu’est-ce qui te laisse supposer un avenir aussi sombre ?
– Tous les mondes que j’ai explorés ces derniers jours, tous les futurs les plus lointains que j’ai pu entrevoir, portaient la même empreinte de désolation. Peu d’espace vivable et l’humanité ne peut y survivre qu’au prix de sacrifices élevés. En petit nombre. Il ne me reste qu’à te souhaiter bonne chance.
– Et on peut envisager que je reste ? Même confinée dans cet hôtel qui après tout est plutôt pas mal…
– Tu ne me fais pas rire, Roxane. Tu dois y aller, maintenant.
– Maintenant, maintenant ?
– …
J’ai mal partout, comme si j’avais consacré les trois derniers jours à la pratique intensive d’un sport de combat. Je glisse les 9cm3 responsables de ma survie dans ma poche, dépose dans la main d’Inès un courrier destiné à Manuel, en lui recommandant de ne lui remettre que parvenu à l’âge adulte, ferme les yeux et appuie sur le bouton vert du téléphone, dans l’attente de ce qui sera mon dernier saut.
*
Je suis seule.
Seule sur une esplanade gigantesque, grise et lisse, qui surplombe une ville cernée de murs immenses au-delà desquels un épais brouillard empêche de distinguer quoi que ce soit. Le ciel aux reflets d’acier me donne la sensation d’être sous un lourd couvercle en passe de me broyer. Je n’éprouve aucune envie de bouger, d’aller au-devant d’une forme de vie, de chercher l’être providentiel qui me permettra de trouver une légitimité au sein de cette ville.
Franck me manque. Je réalise que sans lui, je ne suis rien. Sans lui. Sans l’Asso. Sans le petit Manuel. Sans cause à défendre. Pour un peu, je pleurerai sur mon sort.
« Couchez-vous sur le ventre et levez les bras vers le ciel ! »
La voix mécanique qui résonne dans mes oreilles sort de nulle part. J’obtempère comme un robot, lasse par avance de ce qui va suivre. Je me sens saisie par les bras, un casque opaque est posé sur mes yeux, annihilant toute possibilité de percevoir le nouveau monde dans lequel je viens d’arriver pour être faite prisonnière.
– Mais pourquoi tu t’obstines à faire ça ?
La femme qui me parle me fixe avec un air furieux qui laisse entendre que je n’en suis pas à ma première, mais ma première quoi ?
– Tu sais à quel point il est dangereux de se balader sur le toit du monde…
– Le toit du monde ?
Je n’ai pas pu m’en empêcher. Si une conclusion s’impose suite à ces multiples sauts dans l’espace et le temps, c’est que je n’apprends pas de mes erreurs. Honte sur moi.
– Bon, je vois que tu t’obstines encore à faire l’idiote. Mais ce n’est pas drôle, Roxane. Aller contre la loi ne fait pas partie de tes attributions. Il va bien falloir que tu comprenne que ton statut t’impose un minimum de retenue.
La voix. Cette femme parle avec la voix d’Inès. Ce coup-ci, je ne dis rien, mais ça me demande un effort quasi surhumain.
– Bon, je suppose que ça ne sert à rien, de toute façon ces dernières semaines, tu t’es ingéniée à apparaître n’importe où, à n’importe quel moment de la journée. Si c’est pour me prouver à quel point tu es forte pour déjouer les circuits de surveillance, bravo, tu as gagné. Tu peux arrêter, ça va finir par se savoir et on aura des problèmes. Notre système est supposé infaillible. Si les dégénérés se rendent compte qu’ils peuvent le contourner, ce seront de nouveau les révoltes et la répression. On préfère éviter ça, non ?
– Oui oui…
– Tu vas arrêter ?
– Heu… oui…
– Je ne te crois pas. Tu n’es pas prête à sortir d’ici, Roxane.
Et d’un geste, elle invite des individus que je n’avais pas repérés à se saisir de moi. Je couine, mais ne proteste pas. Ils me trainent dans ce qui ressemble à un long couloir blanc lumineux, pourvu de fenêtres qui offrent à mon regard effaré une succession de bâtiments sombres, d’enchevêtrements de passerelles, le tout surplombé par une forêt de caméras. Ce paysage apocalyptique baigne dans une lumière crue qui révèle de loin en loin de frêles silhouettes qui se déplacent de façon très rapide et saccadée, et surtout… dans les trois dimensions…
Un sas s’ouvre sur une pièce à la décoration sommaire. En fait, elle contient un tableau gigantesque qui fait face à une fenêtre opaque et un ensemble de trois cubes, un rouge, un blanc, un gris. Mes accompagnateurs me poussent là-dedans sans commentaire avant de referme le sas. Ma tête se met à tourner. Je reste un moment au sol, les bras autour des genoux, ne me sentant pas capable de regarder autour de moi. Il le faut pourtant. Ne serait-ce que pour découvrir ce que représente le tableau et dont j’augure que ça ne me plaira pas. Trop d’éléments laissent entendre que ce dernier saut est une catastrophe. Déjà, j’existe ici. En plus, la voix me domine manifestement, malgré un statut mystérieux qui a l’air de me permettre de rester impunie tout en ayant adopté un comportement désobéissant.
J’ai dans la gorge un effarant goût d’inexorable.
Mes yeux se lèvent alors que mon cerveau leur intime de me laisser encore un peu le temps des illusions. Je fais un pari contre moi-même et le perd.
Franck.
J’ai devant moi un portrait énorme de Franck, en uniforme militaire, aucun sourire sur le visage, qui pose sous un texte rédigé dans une langue familière (pour cause, c’est du français)
« Roxane, tout ce que tu as fait ou pensé, tout ce que tu envisages de faire ou de penser, le moindre acte, le plus petit geste que tu vas esquisser sont placés sous notre contrôle. Tu peux te bercer de l’illusion de pouvoir faire des sauts, mais les fonctions espace et temps sont limitées au périmètre de la ville et à une semaine. Nous sommes entrés en possession du cube qui t’aurait placée à la tête du gouvernement, l’avons détruit et détruit le code qui a permis sa traduction. Tu n’es plus rien. La majeure partie de la population vit dans ces bâtiments que tu n’as eu de cesse de vouloir détruire. Les privilégiés, dont tu fais partie, ne doivent leur présence dans la partie haute de la ville qu’à leur soumission stricte au règlement. Notre réseau de caméras est si dense que tu ne pourras jamais sortir de nos écrans. A supposer que tu réussisses à t’échapper, sache que dehors, la guerre bactériologique fait rage et que tu ne survivrais pas plus de quelques minutes. Seuls se maintiennent ceux qui portent des masques. Tu n’as pas de masque, ils sont attribués à la naissance et ton statut de fantôme fait que jamais on ne pourra t’en attribuer. Ta seule échappatoire est le téléphone. Je te souhaite bien du plaisir »
Je réalise que j’ai toujours le téléphone à la main. Je l’ai serré avec tant de force que j’en ai endommagé la coque, qui présente des fissures.
Une notification de message clignote sur l’écran. J’appuie sur le bouton vert et tressaille en reconnaissance la voix d’Inès.
« Bonjour, si vous voulez arriver en ville, tapez 1
Pour le toit du monde, tapez 2
Pour le mur d’enceinte, tapez 3
Tapez dièse pour choisir votre jour de la semaine.
Quel que soit votre choix, votre mémoire immédiate sera effacée. Franck et moi sommes désolés Roxane »
Je choisi 1 et lundi, pour me retrouver sans surprise dans une rue vide, cernée d’immeubles déprimants. Il me faut quelques instants pour distinguer des silhouettes se hâtant vers un but invisible. Je les appelles et au moment précis où un visage se tourne vers moi, je sais.
Je choisis 3 et jeudi, et me retrouve assise au pied d’un mur sans aucune aspérité, hérissé de caméras. Je n’ai pas besoin de regarder les silhouettes qui m’entourent. Ce sont des dizaines de Roxane, toutes du même âge et portant les mêmes vêtements, toutes pâles et courant vers un immeuble à détruire. Je jette le téléphone par terre et le piétine avec une rage dont je ne me sentais pas la force.
Une alarme se met faire trembler le mur dans mon dos
« Fin de la promenade, réintégrez vos cellules »
Il ne me reste qu’à trouver celle que l’on m’a attribuée. Je n’y resterai de toute façon pas assez longtemps pour m’y habituer.
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Rébellion quantique – Part 11
Roxane participe à des opérations menées par une organisation illégale dirigée par Franck, l’Asso. Ils empêche le gouvernement d’obliger les populations les moins aisées à quitter les villes pour le 3e cercle de banlieue. Roxane pose des bombes dans des immeubles en construction, tout en étant sûre de ne pas se faire prendre: elle est un individu quantique, dont la vie se déroule à cheval sur plusieurs réalités. Sa nouvelle mission la conduit à organiser l’enlèvement du ministre de la vie en ville, pour faire plier le gouvernement. Lors de son dernier saut dans l’espace-temps, elle a emmené avec elle un petit garçon qui se révèle être le petit-fils de l’otage. Pire, elle découvre qu’elle est un agenda double-double: son « moi local » se sert de ses relations avec le ministre pour lui voler des informations utiles à l’Asso et son « moi quantique » exécute les instructions des rebelles. Alors qu’elle découvre que la mère de l’enfant la connaît dans un autre monde, elle doit préparer son prochain saut dans le temps et l’espace. Elle désobéit à l’Asso en avertissant, pour la protéger, son double dont elle craint qu’elle ne fasse l’objet de répression. Résultat: deux Roxane se retrouvent dans un monde antérieur: l’une, recherchée pour ses actes terroristes, œuvre parmi les rebelles, et l’autre fait face à un Franck déconfit qui lui apprend qu’une troisième Roxane existait déjà dans ce monde. Par ailleurs, Inès, la mère de l’enfant, s’avère être la voix.
Le début (ça devient compliqué j’en conviens) se trouve par ici
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Donc, je suis trois. Manuel n’est qu’un et Inès est sa mère, plus jeune qu’elle n’aurait dû mais le petit ne s’en rendra pas compte. Elle ne profitera jamais des premières années de son fils, qui vient de lui arriver à cinq ans. Inès est bien « la voix » et, détail croustillant, la compagne de Franck (je suis gênée d’imaginer qu’ils ont bien dû rigoler de mes émois) qui se trouve donc être … le père du petit.
Inès m’a tout raconté avec douceur et en prenant le temps de m’exposer les différents (et nombreux) évènements perturbateurs que j’ai déclenchés dans ce monde et par ricochet dans tous les autres mondes, avec ce qu’elle appelle gentiment « mon comportement spontané » (et que je traduis par « mon irresponsabilité enfantine, « mon égoïsme crasse », « mon incapacité à anticiper les ennuis »)
En résumé, dans ce monde antérieur à ceux d’où je viens (mais je n’ai pas rajeuni, à mon grand dam) , se baladent trois facettes de moi.
- La rebelle recherchée, la plus dangereuse.
- Celle d’origine, amie d’Inès, maintenue au secret chez elle, mon moi confiné à cause moi, qui flippe de ne pouvoir sortir et mener une vie normale.
- Moi, qui vous parle, la cause de tout ce merdier, la seule à connaitre ma trinité, et manifestement la seule à pouvoir réparer les dégât
Il faut trouver une idée pour me sortir de là. Par « me sortir de là », j’entends au sens strict, le moi qui est moi. Les autres sont trop difficiles à gérer, autant qu’ils prennent leur autonomie. Je sais, c’est moche de ma part, mais l’humain n’a pas été conçu pour réfléchir de façon quantique, ça se saurait.
– Puisque tu es la voix, tu dois pouvoir me renvoyer dans un ailleurs où je ne suis pas… (c’est tout ce que j’ai trouvé…)
– C’est plus compliqué que ça. Tu dois en effet partir où tu n’es pas encore, ce qui signifie dans le futur, mais dans un futur où ton second toi ne risque pas d’arriver, ni d’avoir une descendance qui pourrait s’avérer perturbante.
– Et comment on s’assure de ça ?
– Roxane, je suis désolée…
– Hein, pourquoi ?
– …
– Vous allez me tuer ?
– Nous n’avons pas le choix. Nous allons devoir dénoncer la rebelle et la faire abattre par le gouvernement.
– Et qui va avoir l’honneur de me dénoncer ? Franck ? il s’en fout, lui, maintenant qu’il a son fils. (je suis bêtement méchante, mais ça me soulage)
– Tu vas devoir t’en charger…
– Hein ? Si vous croyez que je vais accepter…
– C’est elle ou toi.
Au regard que me lance Inès, je comprends qu’elle ne plaisante pas.
– Roxane, tu dois aider à remettre le continuum espace-temps dans ses rails, sinon l’humanité risque de disparaitre
– Rhahahah ! Bien tenté ! Tu veux rire, comment moi, toute seule et à moitié fantôme, j’aurais le pouvoir de dézinguer l’humanité ?
– Tu as déj entendu parler du battement d’ailes du papillon ?
– Oui, comme tout le monde…
– Hé bien, à l’heure ou je te parle, il y a de gros risques pour dans certains mondes, les occurrences de toi soient si nombreuses et aient des modes opératoires rebelles si variés et des buts si divers, que les gens se soient groupés en sectes qui s’entre-tuent sans raison.
– …
– Je préfère ne pas trop entrer dans les détails, on perd du temps et dans ce cas précis, le temps est d’une préciosité abyssale…
– OK, dis-moi auprès de qui je dois me dénoncer
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Se regarder captive et huée à la télé est la dernière chose que j’aurai imaginé faire, mais je passe ma première soirée dans ce monde cloitrée dans une chambre d’hôtel à m’observer, encadrée par la police, sur des vidéos qui tournent en boucle. Les assertions les plus fantaisistes circulent à mon sujet, et je suis incapable d’en démêler le vrai du faux. Condamnée avant même d’avoir été jugée par des journalistes haineux et des chroniqueurs belliqueux qui m’érigent en danger universel pour l’avenir de l’homme (et de la femme). Pas une de ces personnes ne m’est familière, mais ils sont tous l’air de me connaître personnellement, à minima de m’avoir croisée un jour. Selon eux, j’aurais participé au sabotage de milliers ce chantiers de construction, obligé des populations entières à migrer dans des endroits insalubres, généré des comportement liberticides de la part des gouvernements en place depuis plusieurs années. Au bout de quelques heures de lavage de cerveau par les flashes d’information, je me trouve flippante et suis presque satisfaite de m’être dénoncée.
Fort heureusement, sur les canaux cryptés, un autre son de cloche provient de la rébellion que je dirige. Ils pleurent la perte d’une âme guerrière dévouée à sa cause, d’une sauveuse de vies, d’une combattante pour la liberté. Des gens défilent pour me crier leur amour, des familles me remercient de leur avoir permis de conserver leurs maisons.
Je suis paumée.
Vers 3h du matin, j’éteins la télé. Dans la pièce d’à côté, Manuel dort dans les bras de sa maman. J’aurai au moins contribué à ça.
Impossible d’imaginer dormir. Je suis dévorée par le besoin de disparaître au plus vite, de laisser l’autre moi sortir de sa maison et reprendre une vie normale. Une vie normale après s’être coupé et teint les cheveux, avoir mis des lentilles et changé de nom, mais une vie normale. C’est tout ce que je peux lui offrir.
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– Franck, fais-moi quitter ce monde, je t’en prie
– On y travaille. Mais la situation, même si elle s’est améliorée depuis ta dénonciation, n’est pas facile. Dans un énorme pourcentage de mondes, tu existes et tu mènes la révolte. A vue de nez, si veux atterrir dans un monde sans toi, tu vas faire un saut dans le futur tellement énorme que je ne peux pas te garantir une arrivée en sécurité.
– Comment ça ?
– C’est un futur auquel je n’ai pas accès, Roxane
– Comment ça ?
– Je n’y suis pas…
– J’ai compris, merci, mais pourquoi ?
– Je n’en suis pas encore sûr, mais il semble que je finisse par me faire exécuter par le gouvernement. Quelqu’un me trahira.
– Tu sais qui ?
– Non, comment le pourrais-je ?
– Tu as l’air de tout savoir.
– C’est gentil, mais là, non, je ne sais pas. Moi aussi, j’en ai marre, Roxane. Arrête de me poser des questions. Si tout ceci arrive, c’est en grande partie ta faute.
– Fais comme tu peux, Franck, mais il ne faut pas qu’on se fâche, je ne voudrais pas être la personne qui te trahi…
Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, ni comment l’idée m’est venue, mais elle me semble cruellement réaliste et probable. C’est la première fois que je raccroche au nez de Franck.
*
Suite et fin par là
Rébellion quantique – Part 2
Roxanne vit en marge d’une société qui ne lui convient pas. Pour subsister, elle participe à des opérations menées par une organisation illégale dirigée par Franck. Coincée par ses dettes, elle ne peut faire autrement que d’accepter la prochaine intervention.
Le début se trouve par ici
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Le plan est simple. Il s’agit de faire sauter des immeubles en construction. Le chantier est sur un terrain d’où ont été délogées les dernières familles y possédant des maisons et qui empiète sur la forêt pelée en bordure des accès autoroutiers. Depuis quelques mois, ces chantiers pullulent, monstrueux berceaux d’une architecture malade, blocs gris à la triste géméllité, sourires édentés de fenêtres aux allures de meurtrières, cicatrices qui dégradent des façades sales avant même d’être terminées. Ces cages sans joie sont prévues pour servir de refuge aux familles contraintes de quitter les citées. La concentration de population dans les secteurs urbains ayant rendu l’atmosphère irrespirable et la circulation apocalyptique, la loi s’est durcie : ont le droit d’occuper les villes les personnes en mesure de justifier d’un niveau élevé de revenus, les personnalités politiques et, par effet de bord, tous ceux qui ont assez de réseau pour s’accrocher à leurs précieux mètres carrés. La majorité se retrouve sans autre choix que de se rabattre sur le troisième cercle de banlieues, paysages urbains aux vertigineuses hauteurs de béton dans lesquelles ils se retrouvent entassés, avec pour seul critère d’attribution de l’espace un numéro sur une liste. L’affectation d’un logement est automatique et unique, sans possibilité de recours, et ce qui restait d’humanité agonise, démembré sans concession. Les cercles amicaux et familiaux sont brisés, les lieux de travail ridiculement éloignés épuisent les usagers des transports. Les personnes identifiées comme « à risque », en suivant des classifications à l’obscénité douteuse, sont les plus pénalisées, qui se voient repoussées aux tréfonds de ces effrayants paysages de ciment, rendant inaccessible l’idée même de rébellion.
Mais il y a une faille dans la loi : les gens affectés ne peuvent être déplacés vers leur nouveau logement qu’une fois celui-ci terminé et reconnu valide. Et comme l’affectation est réputée unique, tant que leur logement n’est pas validé, ils ont le droit de conserver leur appartement en ville. C’est dans cette faille que Franck et ses équipes interviennent : en détruisant les nouveaux immeubles avant validation, ils permettent aux gens de rester chez eux. Les dynamitages ont commencé depuis quelques mois et, bien que la police soit à nos trousses, continuent de façon régulière.
Et continueront.
J’en suis sûre, parce que c’est moi qui m’en charge et que moi, les flics ne me débusqueront jamais, même s’ils trouvent mes empreintes ou une quelconque trace de mon passage dans les décombres que je laisse derrière moi.
Tout simplement parce que je n’existe pas.
Je suis affectée d’une particularité dont j’ai fait la découverte il y a quelques mois, lors d’un accident de voiture. Ma voiture filait sans direction, ses freins avaient lâché, et je fonçais sous une pluie battante droit sur un camion lancé à pleine vitesse. J’ai entendu l’explosion, senti la violence inouïe du choc et vu le feu envahir l’habitacle de ma voiture alors que mes mains sur le volant devenaient rouge brique. Mais au moment qui a suivi, je me suis retrouvée à la terrasse d’un café, en train de boire un coup avec Franck. Le monde autour de moi avait changé de façon si ténue que tout d’abord j’ai cru de j’étais devenue dingue. Mais comme tout était très tangible, que les brûlures de mes mains me rappelaient avec insistance l’accident, il fallait qu’il y eût une explication autre que celle d’un au-delà dans les nuages où s’ébattent des individus ailés vêtus de blanc.
Il s’est avéré que nous étions dans une réalité parallèle. Enfin, c’est ce que Franck m’a dit et je l’ai cru. L’explosion m’avait envoyée dans une réalité parallèle, où tout était quasi identique à la réalité dont je venais d’être éjectée.
– Laissez-moi vous poser une question, Roxanne…
– …
– Avez-vous payé votre téléphone et votre énergie ?
Franck a la petite cinquantaine bonhomme, la tranquillité apaisante et un gros flingue à la ceinture. Je n’avais pas de raison de mentir, même si je trouvais ce premier contact hardi et un tantinet mortifiant.
– Heu… non, je suis un peu short en ce moment, niveau revenus et j’attends d’être payée pour pouvoir régler…
– Donc, vous avez reçu des messages de relance ? Je veux dire : des messages enregistrés qui vous enjoignent de payer ? Enoncés par une voix lénifiante, toujours la même?
– Oui, ce matin même, par téléphone…
– Cette voix, c’est le signe. Souvenez-vous en.
– Le… signe ?
– Le signe que votre vie va être interrompue par une explosion et que cette explosion va vous propulser dans une réalité parallèle. C’est pour ça que je suis là.
Et avec un naturel confondant, Franck m’explique que j’ai été choisie pour poser des charges explosives dans des immeubles du troisième cercle de banlieues, les déclencher et m’évaporer dans la foulée.
– Vous êtes la criminelle idéale. L’Asso va vous loger, vous fournir l’argent nécessaire. Nous vous demandons seulement de ne pas vous occuper de régler vos factures. Dès que vous recevrez des relances, contactez-nous.
Et avant que j’aie pu m’insurger sur les critères de sélection qui avaient fait de moi une élue, il a disparu. Enfin, pas disparu-disparu. Mais le temps d’un clignement de paupières et il n’était plus là. Il m’avait laissé de l’argent pour régler nos consommations, un papier avec une adresse et des clefs, ainsi que le sentiment étrange de n’avoir pas compris ce qui était en train de m’arriver. A ce moment-là, j’ai presque regretté que les petits mecs ailés vêtus de blancs n’existent pas.
N’ayant d’autre choix, je me suis rendue à l’adresse indiquée, y ai trouvé un appartement identique au mien (dans un autre monde hélas inaccessible) à ceci près que le ménage était fait et le frigo rempli, des vêtements à ma taille, tous les documents attestant de mon existence à mon nom, celui que je porte depuis mon arrivée parmi les humains. J’y ai pris mes quartier, mais tout m’était étranger. Je ne connaissais personne, n’avait pas d’activité professionnelle, les voisins et commerçants du coin agissaient comme si j’étais transparente. Dans ma nouvelle vie parallèle à ce monde parallèle, je me sentais un satellite orphelin.
Venant de pire, je m’y suis lovée et accommodée avec une facilité confondante, me suis auto-proclamée Rebelle Quantique.
Y a pas de mal à se faire un peu de bien. Et j’ai appris à poser des charges explosives.
Chaque explosion a fini pareil : un appartement dans une réalité que je ne cherche même pas à identifier ou à situer, une identité commune, une rencontre avec Franck, de l’argent, des impayés, la voix, de nouveaux immeubles à détruire.
Alors… je guette la voix et je pose des bombes. Comme je ne sais jamais combien de temps je vais rester dans un même endroit, je ne noue aucun lien amical, ne rencontre qu’un minimum de gens et lis beaucoup. J’ai d’ailleurs pris l’habitude d’avoir toujours sur moi le livre que je suis en train de lire, histoire de l’emmener en cas d’explosion. Il n’est pas évident de retrouver un roman dans un autre monde… Et un bon roman, ça ne se lâche pas.
*
La suite : par là
Rébellion quantique – Part 1
Lecteur chéri ma galette des rois, j’avais envie d’écrire ce petit prologue. Quant à la suite… ben je ne sais pas… on verra où ça nous mène.
*
Le moment se rapproche. Insidieusement, mais je le sens. Leurs messages doivent saturer ma boîte mail. Comme autant de charognards, ils doivent tournoyer avec une élégante lenteur loin au-dessus de moi, attendant l’agonie pour fondre sur mon corps épuisé et le dépecer de leurs serres. Ils annoncent le changement.
D’un geste à la lassitude résignée, je clique sur l’icône en forme d’enveloppe. Pendant que se déroule la litanie des injonctions, j’avale une gorge de café avant de supprimer le premier mail, sans l’ouvrir. Puis le second, le troisième et pour finir, je me débarrasse de tous les mails non lus. Mon café toujours à la main, je regarde s’écouler la vie sept étages plus bas.
Il fait encore nuit. Les gens commencent à vider leurs domiciles pour remplir les rames des trams, dessinant dans les rues des séquences d’humanité en pointillés, entourées du halo clignotant des éclairages publics. Depuis le 1er Janvier, il faut passer à moins de cinq mètres d’un lampadaire pour que celui-ci s’allume et depuis le 1er janvier, le défilé silencieux des gens qui parcourent les rues donne au quartier des airs de guirlande de Noël devenu folle.
Le vide de ma boîte mail me fixe avec impudence. L’espace de communication redevenu vierge malgré lui m’accuse de lâcheté. Je baisse l’écran de mon portable, ramenant à sa condition matérielle cet outil délateur. Je sais que bientôt, les mêmes messages vont m’être distribués par téléphone. Activer un prétendu mode silencieux ou avion ne sert plus à rien : les grandes compagnies ont gagné le privilège d’outrepasser les choix du consommateur mauvais payeur. A 7h30, les menaces commenceront à pleuvoir. Menaces de se retrouver privée d’énergie, de chauffage, de réseau… Assorties de la classique proposition de trouver un arrangement dont l’objectif n’est autre que de resserrer encore un peu plus l’étau de la contrainte.
Mais les messages téléphoniques ne me dérangent pas. Au contraire. Je les guette. Ils sont le signal que j’attends, celui d’un nouveau saut. Et ils sont prononcés par cette voix…
A 7h20, je m’installe et pose sur mes cheveux le casque pourvoyeur du meilleur son. Je suis prête.
« Chère cliente, vous n’avez pas réglé votre dernière facture, d’un montant de 138,95 euros. Si vous ne souhaitez pas que l’électricité vous soit coupée, nous vous remercions de procéder au règlement. »
Je frissonne, appuie sur 3 pour réécouter. La voix pénètre mon cerveaux comme une drogue puissante. Le vertige me prend. 3, encore, je commence à transpirer. 3. Les méandres de mon cerveaux sont enrobés de douceur. La sueur roule de mon cou, de mes aisselles, pour suivre sa route le long de mon dos et gorger de sa chaleur grasse l’éponge de mon peignoir rouge. 3. Je perds la notion du réel. Mon index posé sur le numéro de l’extase, je vais appuyer une fois de plus, mais la sonnerie retenti. C’est Franck. De 3, mon index ripe au téléphone vert, acceptant la conversation.
– Qu’est-ce que tu fous ? On t’attend depuis un quart d’heure !!!
Merde. J’avais oublié la réunion.
– J’allais t’appeler. Je ne me sens pas bien, faites-la sans moi.
– Quoi ? Mais tu es folle ! C’est pour ce soir, il faut que tu viennes, je te rappelle que c’est à toi de faire l’inter.
Merde. J’avais oublié l’inter.
– Ça peut pas attendre demain ? J’irai mieux.
– Roxanne, tu vas bouger ton cul ou c’est moi qui vais venir te le bouger et je t’assure que tu vas le regretter. Tu t’es engagée à faire ce projet. Tu as été payée. Maintenant, tu le fais.
Sous moi, la procession des fourmis s’est densifiée. Le jour commence à dégriser les rues. Le clignotement des lampadaires s’est transformé en une blafarde lumière constante. Les rames de tram sont si pleines qu’on pourrait craindre qu’elles ne se renversent dans un virage. La sueur de mon buste a séché, celle qui imprégnait mon peignoir d’éponge a refroidi. Je resserre les pans rouges en grelottant, ajuste ma ceinture et regarde les gens. Leurs manteaux sombres, leurs parapluies, les traces de leurs pas pressés dans la boue qui macule les trottoirs après les inondations de la semaine dernière. Un tram est arrivé, ses portes se sont ouvertes pour laisser passer un peu de cette lumière crue qui dégrade les visages les plus avenants. Fatigués, écœurés par leur comportement, les passagers n’ont pas d’autre choix que de pousser encore un peu la foule pour se ménager une place dans les rames qui les mèneront à une nouvelle journée sans joie. Franck a raison, je dois aller au bout. Je ne peux pas lui expliquer que l’argent qui m’a été remis a déjà fondu. Que je suis de nouveau la proie des grandes compagnies. Que je vais bientôt partir. Il le saura assez tôt. Il le sait sans doute.
– J’arrive.
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