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Jérémie et le vent 1/2

Le cœur prêt à rompre la barrière de ses côtes, elle finit par s’assoir sur le petit tabouret de Jérémie. L’enfant adore ce siège de bois rouge qui lui vient de son grand-père, il le traîne chaque soir entre le télé et ce qu’il appelle son bureau, la table basse sur laquelle il passe des heures à faire des dessins et à inventer des histoire fantasques.

Deux heures qu’elle le cherche, qu’elle crie son nom dans la maison, le jardin, la grange, les champs avoisinants. Le petit semble s’être volatilisé. Elle n’a plus de voix, ses membres tremblent, la sueur colle ses vêtements dans son dos, les larmes ruissellent sur ses joues.

Le regard d’Audrey se fixe sur les feuilles couvertes des griffonnages du petit. Pour un enfant de six ans, il est plutôt habile à représenter les animaux et le jardin,  ses sujets de prédilection. Sans y réfléchir, elle soulève les dessins l’un après l’autre. Dans le tas de vaches, canards roses à rayures, poissons avec un bonnet, un gribouillage sombre et torturé attire son attention. Devant la maison, identifiable aux trois fenêtres ornées de volets jaunes, ce qui ressemble à une tornade grise et brune se contorsionne de façon menaçante. Elle saisit la feuille et observe les lignes sauvagement appuyées, comme si leur auteur avait voulu manifester de la colère en les imprimant autant sur le papier que dans le bois de la table. Elle remarque que des traits violents surgissent des lettres maladroites. Jérémie ne sait écrire que son prénom, mais il maîtrise les voyelles et certains sons.

…AAAA, OOO…

Elle s’arrache à la contemplation de ce qui ressemble à des cris dans la tempête et hurle le prénom du gamin. Le silence lourd qui enveloppe sa supplique est rompu par la sonnerie de son portable.

Audrey se lève brutalement, envoyant balader le tabouret de bois. C’est Jacqueline, la voisine qu’elle a essayé de joindre mille fois. Elle saisit l’appareil et son stress est tel qu’il lui faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour décrocher.Audrey ? C’est Jacqueline, désolée, j’étais occupée à la la cuisine, je n’ai pas mon téléphone sur moi quand je travaille. Non, je n‘ai pas vu Jérémie depuis hier, quand il est venu discuter avec pépé au sujet de la voix du vent.

– Audrey ? C’est Jacqueline, désolée, j’étais occupée à la la cuisine, je n’ai pas mon téléphone sur moi quand je travaille. Non, je n‘ai pas vu Jérémie depuis hier, quand il est venu discuter avec pépé au sujet de la voix du vent.
– Avec pépé ? La voix du vent ?

Audrey se mord les lèvres. Elle n’a pas prêté attention à l’excitation du petit hier, quand il essayait de partager avec elle des histoires délirantes de vent qui lui parle. un pincement de cœur l’avertit qu’elle aurait dû.- Oui, il voulait entendre la légende locale, tu sais au sujet du vent qui vole les paroles…
– Oui, il voulait entendre la légende locale, tu sais au sujet du vent qui vole les paroles…
– Heu… non… je ne la connais pas…
– Je fais vite : il se dit que dans la région, le vent vole les paroles des personnes qui se promènent à la plage, pour les restituer ensuite à ceux qui se sentent seuls, dans leurs maisons. Jérémie est arrivé tout content, il prétendait avoir entendu des voix de nouveaux copains… Je crois que ton fils se sent un peu isolé, parfois. La vie à la campagne, quand tu viens de la ville, ça peut être rude.
– Donc pas depuis hier ?
– Non. Tu le cherches depuis quand ?
– Deux heures
– J’arrive.

 Les deux femmes ont arpenté le village et ses alentours jusqu’à la nuit, entraînant avec elles la plupart des habitants du village auxquels elles ont montré la photo du petit garçon.

Désespérée, Audrey a fini par appeler la police et les pompiers. Des gyrophares sillonnent le coin, blessant de leurs griffures indécentes la nuit ordinairement paisible.

Un agent lui ayant conseillé de rentrer chez elle pour accueillir l’enfant s’il revenait, elle s’ est assise sur le tabouret rouge, incapable d’articuler une pensée.

Sur la table, le dessin de tempête et de cris semble vouloir lui indiquer quelque chose.

Au-dessus de la cheminée, une gravure ancienne représente un Eole barbu aux longs cheveux qui souffle sur la mer, créant les vagues d’une tempête.

La voix du vent.

– Pépé ? vous voulez bien me dire ce que Jérémie vous a raconté hier ?
– Votre fils est venu me parler des voix qu’il entend dans la grange. Il est sûr que des copains lui murmurent des nouvelles de tous les pays du monde, colportent des aventures de pirates ou des récits de poissons asiatiques qui lisent les pensées.
– Et que lui avez-vous répondu ?
– Je lui ai conseillé de dessiner ces histoires, pour plus tard, quand il saurait écrire, qu’il puisse en faire un livre. Je me suis dit que c’était une bonne façon de l’intéresser à l’école…

*

La suite est par là

Ménage à trois – Part 7 – Finissons-en

Un trio d’arnaqueurs composé d’une femme de ménage diabolique (Delphine), d’une bimbo qui n’a pas froid aux yeux (Rachel) et d’un consultant en on-ne-sait-pas-quoi-mais-on-s’en-fout (Léo) piège des hommes presque innocents. Dans l’aube naissante qui suit sa nuit avec sa dernière victime, qu’elle a abandonnée nue, Rachel se précipite au domicile de son amant d’une nuit, pour le dépouiller de ses biens précieux. Sur place, elle se fait griffer par le chat du propriétaire. En partageant le butin, elle se sent coupable d’avoir dérobé une montre à forte valeur sentimentale, mais réalise qu’elle ne connait pas le nom de famille de l’homme et ne peut pas restituer le bijou. Plus tard, un médecin lui conseille d’emmener le chat, dont la griffure s’est infectée, se faire examiner par un vétérinaire. Les trois complices organisent le kidnapping du chat pour faire tester l’animal. La mission est menée à bien, mais en direct par visio-conférence… Après avoir retourné la montre et le chat à leur propriétaire, le trio reprend son arnaque. Mais Rachel s’est fait repérer et se retrouve prise au piège par sa dernière victime, qui l’a emmenée sous la contrainte dans son appartement dont le salon est décoré de façon ‘cérémonie sataniste’. 

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Partie 2
Partie 3
Partie 4
Partie 5
Partie 6

*

Dies Irae s’achève et le silence s’installe dans le salon sombre. Rachel n’ose ni parler, ni bouger. Elle ne peut s’empêcher de fixer chat, dont la griffure, bien que presque cicatrisée, réveille une sensation de brûlure dans le bas de son dos. Derrière elle, elle sent que Thomas s’affaire.

– Alors, Marie… tu vas t’assoir comme une gentille fille sur cette chaise et nous faire ton plus suave sourire…

Sans réagir, Rachel se pose sur la chaise et tourne son regard éteint vers l’homme, qui la cadre avec le téléphone qu’il lui a confisqué au restaurant.

– Tourne-toi vers les bougies, ce sera plus réussi. Voilà.. Attends, je réajuste ton col… Pas terrible , ton téléphone, quelqu’un qui gagne bien sa vie comme toi pourrait s’en offrir un plus performant… l’appareil photo ne te rend pas honneur…

Docile, elle se laisse faire, sentant à peine les mains de Thomas qui l’effleurent tandis qu’il remet le col de sa robe bien droit, lui fait bouffer les cheveux et tapote ses joues

– Il faut que tu aies bonne mine, excuse moi. Là. Bon, souris, s’il te plait

Mais qu’est ce qu’il fabrique ce malade? Il croit quoi, que je vais prendre la pose pour une photo Instagram? Comme si j’avais envie de sourire dans cette situation glauque et flippante, avec l’autre qui ne bouge pas depuis tout à l’heure. ça se trouve c’est un mannequin, qu’il a mis là pour m’impressionner. C’est réussi. Et ce chat qui me fixe comme s’il allait se jeter sur moi. Je vais crever d’effroi et Léo et Delphine ne sauront jamais ce qui m’est arrivé…

– Je t’en prie, essaie de faire bonne figure… après tout, cette photo est destinée à ton amie…
– Comme ça, à mon amie?
– Très simplement… Je vais utiliser ton téléphone pour envoyer une photo de toi sur cette chaise, entravée, … on pourrait dire… pas dans la meilleure posture pour se rebeller… à ton amie la kidnappeuse de chat et lui suggérer de se munir de mes biens si elle veut te récupérer. D’ailleurs, si tu as d’autre complices, je t’engage à leur  faire un envoi groupé de la photo et du petit message que je vais te dicter, ça nous fera gagner du temps…
– Quoi? Mais… vous êtes malade.. je ne sais pas s’ils sont gardé vos affaires…
– Hé bien nous allons le découvrir ensemble. J’imagine que tu avais ta part de ce butin, qu’en as-tu fait? Tu l’as précieusement conservé, j’espère…
– Heu… oui, j’ai ma part chez moi, je vous la rends avec plaisir, si vous me laissez partir d’ici…
– Admets que ce serait trop simple… non, nous allons profiter de nos retrouvailles. Allez, souris un peu… plus vite tu me concède un sourire, plus vite nous en finirons. Je peux comprendre que tu te sentes mal à ton aise.

Rachel grimace un pauvre sourire, et Thomas capture le moment avec un rictus satisfait. Elle le voit ensuite vérifier l’image en silence.

– Alors? ça va  comme sourire?
– Pas terrible, mais l’essentiel est là: l’ambiance générale est bien captée. Je ne suis pas mécontent de mon installation, tu veux voir?
– Non merci, ça ira. Et maintenant?
– Maintenant, tu me donne gentiment le nom de ton amie kidnappeuse de chats et les autres noms concernés par notre envoi.
– Pas question.

Merde, qu’est-ce qui me prend? Voilà que je me mets à jouer les héroïnes… Comment ces mots ont-ils pu sortir de ma bouche? Je suis malade… Je ne vais pas risquer ma peau pour préserver une femme de ménage et un consultant…

– Mais enfin, sois raisonnable, Justine, tu crois que tu as le choix?
– …
– Allez, plus vite tu me les donneras, plus vite tout ça ne sera qu’un souvenir.

Qu’est-ce que je fais? Je lui donne? et c’est qui, l’autre, là?

Pendant que Rachel se demande quelle décision prendre, la personne sous la capuche relève la tête et se tourne vers le chat. Comme si elle conversait par télépathie avec l’animal, celui-ci cligne des yeux et se lève, trottine jusqu’à la jeune femme, puis saute sur ses genoux et commence à enfoncer ses pattes sur ses cuisses.

– Tiens, donc. On dirait que Kiki t’apprécie…
– Faites-le partir, s’il vous plait, je suis allergique…

Thomas récupère l’animal et le pose sur les genoux de la silhouette  encapuchonnée, puis fixe Rachel, dans l’attente de sa décision. Dans le silence est à peine troublé par le ronron lointain d’un compteur électrique, Rachel renifle un peu avant de rendre les armes.

– D’accord, on envoi le message…
– C’est bien, c’est raisonnable. Ecris: « Vous avez jusqu’à minuit pour venir restituer l’intégralité des objets dérobés à l’adresse… »  je ne te ferai pas l’offense de te dicter l’adresse, Joséphine…
– C’est tout?
– J’espère que ça suffira…

*

– Léo? Léo? Léoooooooooooo!!
– Oui oui, laisse moi le temps de fixer mon casque… qu’est-ce qui se passe? On a bien l’adresse du futur nudiste?…
– Regarde la photo que je viens de t’envoyer!

Mais Léo ne fait attention ni au ton angoissé de Delphine, ni à son injonction de regarder la photo de Rachel, piteuse, ligotée sur une chaise avec en arrière plan un décor inquiétant.

– La photo, Léo! regarde la photo!
– … han….  J’arrive, prépare ce qu’il faut.

Sur le chemin ente l’appartement de Delphine et la rue des filles de calvaire, où ils s’apprêtent à affronter Thomas, Delphine et Léo n’ont échangé aucun mot inutile. Ils ont vérifié avoir récupéré l’intégralité des objets à restituer et se sont accordés sur le fait que seule Delphine monterait au second étage.

*

– Tu réalises que, même si ta complice apporte tout ce qu’elle a, nous allons être obligés de continuer notre nuit ensemble?
– Pas la peine, je vous promets de tout ramener demain à la première heure.
– Tu n’as pas la naïveté de croire que j’ai la naïveté de te croire?

Thomas rit d’une façon affectée qui glace Rachel.

– Non non, je vais t’accompagner chez toi et on va  faire le tour de ce qui m’appartient. On emmènera notre ami le capuchon dont la présence t’intrigue, j’en suis sûr..
– Pas la peine, je ne tenterai rien, je le jure
– J’aime mieux m’en assurer, si ça ne te dérange pas…

Quand la sonnerie de l’interphone retentit, Rachel a l’impression que son cœur va exploser. Le chat s’agite, saute sur la table et la silhouette sombre et toujours silencieuse se redresse, pendant que Thomas se hâte vers la porte, qu’il ouvre pour laisser le passage à une Delphine terrifiée, chargée d’un sac et de la valise que Rachel reconnait et qui contient les disques de Thomas.

– Ah tiens, je n’avais pas repéré qu’il me manquait la valise… Je voulais m’en débarrasser, tu pourras la garder en souvenir de moi, Emilie, si tu sors d’ici… Et vous, je vous prie de vider vos contenants, que nous en fassions l’inventaire ensemble.

Delphine s’exécute et étale sur le sol les biens de Thomas. Elle doit s’y reprendre à deux fois pour déverrouiller la valise, tant ses mains tremblent. Alors qu’elle fait des piles avec les disques qu’elle en extrait, le chat saute de la table et s’approche d’elle, puis frotte sa tête contre ses mollets.

– Kiki…
– Sultan, plus précisément
– Sultan…
– Je vois qu’il vous apprécie… si le contexte ne vous était pas si défavorable,  j’en aurais peut-être fait autant…

Delphine lève la tête pour répondre, mais se fige et n’arrive à émettre aucun son.

– Je déduis de votre étonnement que vous n’aviez pas vu que nous sommes en délicieuse compagnie…
– non… non, je n’avais pas vu…
– votre voix tremble, dois-je comprendre que vous avez peur?
– C’est que je n’ai pas l’habitude des ambiances sataniques et que voir mon amie saucissonnée sur une chaise ne me plait pas trop, vous comprenez?

Ton amie… Il aura fallut qu’un malade me kidnappe pour que tu admettes que je suis ton amie… 

– Touchant.
– Et maintenant?

Malgré son ton bravache, Delphine n’en mène pas large. Elle jette un œil à Rachel dont l’attitude prostrée l’effraierait presque plus que toute la mise en scène.

– Maintenant, il est temps que je demande à notre invité mystère de baisser sa capuche.

Rachel pousse un petit gémissement et Delphine retient son souffle. La silhouette se tourne légèrement pour leur présenter son dos, abaisse la capuche sur ses épaules et se positionne face aux deux femmes.

– Elodie, je te présente ma mère.
– Mais… je ne comprends pas…
– Comment le pourriez-vous?

C’est la femme qui vient de parler. Son ton tranquille, sa façon de les regarder avec calme peuvent être aussi réconfortants que terrifiants. Elle se lève et se débarrasse de sa cape sombre, puis allume la lumière et souffle les bougies. Elle s’assied sur le canapé devant Delphine et Rachel stupéfaites.

– Nous voulions récupérer les objets volés et marquer le coup pour vous empêcher de poursuivre votre arnaque… – elle s’interrompt pour sourire – Mais je tiens surtout à vous remercier. Grâce à vous, nous avons découvert que la cause du mal qui me rongeait depuis des mois était les coups de griffes de Sultan… Kiki, si vous préférez, même si admettez-le, c’est moins élégant. Le chat m’appartient, au fait. Il était chez Thomas pendant les quelques jours de congés que je prenais pour me reposer à la montagne, dans un hôtel qui n’accepte pas les animaux… quand nous avons compris que j’avais attrapé sa maladie, il n’a fallut que quelques jours pour me guérir….

– Mais vous êtes fous? Vous avez monté tout ça juste pour me faire flipper?
– Ah.. je te retrouve, Ludivine…
– Arrête de me donner tous les prénoms qui te passent par la tête. Je m’appelle Rachel.
– Et tu as raison, ça te va bien. Je te propose que nous allions chez toi dès maintenant?
– Thomas, je pense que la jeune dame est fatiguée pour ce soir. Elle ne va pas s’évaporer une nouvelle fois, tu peux me croire. Prenez rendez-vous pour demain et arrêtons cette mascarade, ça ne m’amuse plus trop…
– Merci madame
– C’est moi qui vous remercie.

*

– Tu te rends compte qu’ils ont organisé et préparé ce truc fou tous les soirs depuis près de 10 jours?
– Oui… c’est pas nous les plus dingos, dans l’histoire… bon, j’imagine que je prends le vélo?

Delphine enfourche le vélo obligeamment restitué par Thomas, Rachel passe le jean et les baskets que Léo a eu la présence d’esprit de lui ramener, s’installe sur le siège arrière et les trois complices repartent dans la nuit, la moto pilotée par Léo au ralenti pour ne pas laisser seule derrière eux la femme qui souffle bruyamment sur son vélo.

– Tu vas voir, ma chérie, un peu de sport à la fraîche, ça présage d’une bonne journée!

Delphine souffle, mais laisse le rire de Léo résonner dans la rue déserte.

Ménage à trois – Part 6 – 666 –

Un trio d’arnaqueurs composé d’une femme de ménage diabolique (Delphine), d’une bimbo qui n’a pas froid aux yeux (Rachel) et d’un consultant en on-ne-sait-pas-quoi-mais-on-s’en-fout (Léo) piège des hommes presque innocents. Dans l’aube naissante qui suit sa nuit avec sa dernière victime, qu’elle a abandonnée nue, Rachel se précipite au domicile de son amant d’une nuit, pour le dépouiller de ses biens précieux. Sur place, elle se fait griffer par le chat du propriétaire. En partageant le butin, elle se sent coupable d’avoir dérobé une montre à forte valeur sentimentale, mais réalise qu’elle ne connait pas le nom de famille de l’homme et ne peut pas restituer le bijou. Plus tard, un médecin lui conseille d’emmener le chat, dont la griffure s’est infectée, se faire examiner par un vétérinaire. Les trois complices organisent le kidnapping du chat pour faire tester l’animal. La mission est menée à bien, mais en direct par visio-conférence… Après avoir retourné la montre et le chat à leur propriétaire, le trio reprend son arnaque. Mais Rachel s’est fait repérer et se retrouve prise au piège dans un bar, face à sa dernière victime. 

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Partie 2
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Partie 5

 

*

– Félicitation, vous atteignez les 35.000 vues avec mon chat…
– Qu’est-ce que vous voulez?
– Boire un verre en bonne compagnie, si ça vous convient. Pour moi ce sera champagne, vous me suivez?
– …
– Elle est bien, votre arnaque, je dois dire que j’apprécie le côté sans danger… Et j’aimerais que nous retrouvions le tutoiement délicieux de notre permière nuit… s’il te plait…

C’est là que le constat « je suis dans la merde » prend tout son sens… il faut absolument que je trouve le moyen de prévenir les autres… J’espère qu’il ne va pas se montrer violent. Mais il m’a trouvée comment, au fait. Il m’aurait suivie? Merde.. ça se trouve, il sait où j’habite… Ca y est, je flippe, Léo a raison, je ne suis pas taillée pour l’arnaque… Je vais me sentir mal…

– ça va? je te trouve un peu pâle, Justine… ou Marie. Ou Ludivine. Mais pas Hélène, tu n’as pas la tête d’une Hélène.
– Tu m’as retrouvée comment?
– Peu importe, l’essentiel, c’est qu’on soit de nouveau ensemble, non? Je n’oublie pas que tu m’as promis des croissants…

Il est malade. Il faut que je me barre d’ici. Je vais boire et prétexter avoir besoin d’aller aux toilettes. Je trouverais bien quelque chose à faire, quelqu’un à alerter…

– Alors? Champagne? 
– Heu… oui, pourquoi pas…
– Ne bois pas trop, si tu crois que je vais te laisser t’absenter pour te soulager, tu te trompes.

Il lit dans mes pensées, ce con.

L’homme fait signe au serveur et passe commande, puis s’enfonce dans le dossier de son fauteuil et se met à observer Rachel.

Me regarde pas en souriant, c’est encore plus flippant. Bon, qu’est-ce que je fais? Delphine n’attend pas de signal avant minuit, elle ne va pas s’inquiéter. Léo est au ciné, il ne prendra pas de messages. A part manger un truc, je ne vois pas. Tu parles d’une tactique…

– J’ai un peu faim… ça te dirait de grignoter?
– Bonne idée, je prendrai un croque-madame

C’est malin. Mais j’ai gagné un peu de temps. Je vais faire durer mon plat au maximum. Qu’est-ce que je prends? J’ai plutôt envie de gerber que de me nourrir, là. 

– Et moi une salade du chef…
– tu ne lâche rien, hein? C’est bien, j’aime ça…

J’aurais bien essayé de partir en courant, mais pas avec ces talons stupides. Et je ne peux pas les ôter sans m’aider de mes mains. Je vais quand même essayer.

*

– Tu sais que ta complice est en train de devenir célèbre? Elle a réussi à créer le buzz, avec son concept de retour d’animaux soignés. J’aimerais bien la recevoir pour la féliciter.
– Ca doit pouvoir s’arranger, elle serait ravie de revoir Kiki
– Kiki?
– Le chat…
– Kiki… en plus, vous vous moquez de la pauvre bête… Très bien. Je te propose de retourner auprès de Kiki. Tu vas enfiler ton manteau et me suivre bien gentiment. Je t’offre le dîner.

Et merde. Et ces chaussures qui ne veulent pas se défaire.

– Arrête de te tortiller pour enlever tes sandales. Ca ne sert à rien. Pieds nus tu n’iras pas loin dans les rues de Paris. Et je suis sûr d’être plus rapide, plus endurant et plus agile que toi à ce petit jeu. Donne-moi ton téléphone, s’il te plait.

En silence, Rachel pousse le téléphone vers Thomas, qui s’en saisit et l’éteint, avant de le glisser dans une poche de  sa veste.

– Allez, on y va. 

Il se lève, s’approche de Rachel et se penche pour prendre son manteau, qu’il lui tend galamment.

– Rassure-toi, je reste poli et civilisé.

Il la pousse avec délicatesse devant lui et la guide jusqu’à la caisse où il règle leur note, puis en direction de la sortie. Dans la rue, quand il lui prend le bras, Rachel n’offre aucune résistance. Elle prie pour apercevoir la silhouette de Léo, mais personne alentours ne se soucie du couple qu’ils forment. Il la conduit jusqu’à une voiture garée à proximité du bar et l’aide à s’installer à la place passager. Contrite, Rachel se laisse faire. 

Je vais essayer de ne pas l’énerver. Peut-être qu’on pourra négocier? Il était plutôt sympa, ce garçon… Je me déteste d’avoir accepté ce plan pourri. J’aurais dû écouter Léo. Accepter d’ajouter une étape à son putain de protocole, genre « surveiller Rachel au bar »

La voiture démarre et assez vite, elle comprend qu’ils prennent la direction du périphérique.

– On va faire un tour de périph’, ça te laissera le temps de bien réfléchir à la situation et aux questions que tu as envie de me poser. Mais avant que tu ne commences, je vais t’apporter une première réponse. Je t’ai retrouvée parce que, sur le vélo que tu m’as laissé, il y a plusieurs autocollants de ce bar. J’ y suis tous les soirs depuis que j’ai compris que cette histoire de vélo n’était qu’un prétexte pour laisser ta complice prendre mon chat. J’étais presque sûr que tu finirai par y venir. les autocollants et le kidnapping en visio, je dois dire que vous me feriez presque rire, si je n’avais pas été pris pour cible. Vous manquez cruellement d’organisation…

Léo… Comment as-tu pu négliger ça? … humpfff… c’est vrai que je n’étais pas sensée laisser le vélo là-bas. Je fais vraiment tout de travers… Si on s’en sort, je promet de te racheter un vélo magnifique. Et un chat pour Delphine et…

– Maintenant, s’il y a des choses que tu veux savoir, ma parole t’appartient.

Mais Rachel se rencogne et ferme les yeux.

– Ah oui, c’est vrai. Tu sais où on va. Tu n’as pas besoin de garder les yeux ouverts. Tu peux dormir, même, si tu veux. Prends des forces…

*

Dormir, ce serait pas mal, mais c’est plutôt mal barré. Un tour de périph’… une éternité, oui. Ca me scie les nerfs, ce trajet. Qu’est-ce qui vase passer, maintenant? Et il vaut mieux que je me taise, vu la façon dont chacune de mes initiatives tourne… je vais tenter de me concentrer sur ma respiration pour ne pas devenir dingue.

Quand elle rouvre les yeux, ils se garent non loin de l’appartement de Thomas. Elle n’attend même pas qu’il l’invite à sortir pour déboucler sa ceinture de sécurité et ouvrir la porte. Elle le laisse la précéder dans l’immeuble, puis dans l’ascenseur. Quand ils arrivent devant la porte de l’appartement, elle a un léger frisson; elle a vu et revu cette porte sur les fameuses vidéos de sauvetage du chat, mais n’avait pas imaginé la repasser un jour.

– Nous y sommes Ludivine. Je ne te fais pas l’honneur des lieux..

L’intérieur est sombre, comme si toutes les fenêtres étaient occultées. 

– Tu ne m’en voudras pas de ne pas allumer? j’ai prévu quelque chose d’un peu spécial, en ton honneur.

Thomas fourrage un moment dans l’entrée et saisit la main de Rachel, puis la fait passer devant lui.

Ca y est, je panique. Je vais hurler. Qu’est-ce qu’il va faire, ce fou? Et le chat… je n’aime pas ce chat qui m’agresse et me griffe…

Elle n’a pas le temps de crier qu’il lui passe un bâillon, noue le tissu assez serré derrière sa tête et lui pose un bandeau sur les yeux.

– Excuse-moi Justine, mais tu comprends que je cherche à limiter les risques, d’ailleurs..

Il fait glisser son manteau sur ses épaules, le lui enlève et elle sent que ses poignets sont pris dans ce qu’elle croit être des menottes. Son cœur s’emballe et elle commence à transpirer.

Le cauchemar absolu. Je suis aux mains de ce malade… je ne sais pas ce qu’il a prévu, mais sans doute rien de très cordial… je ne vais pas m’en tirer, cette fois-ci… et s’il pouvait arrêter de me parler avec cette voix douce, c’est encore pire…

– Vas-y, avance, fais comme chez toi… J’allume un peu pour ne pas risquer de tomber et je suis à toi.

Il la lâche et elle entend une série de bruits, comme s’il disposait des objets dans une pièce. Aux chuchotements qu’elle perçoit, elle devine qu’ils ne sont pas seuls. Rachel panique et, ses jambes devenant molles, tombe à genoux dans un souffle.

– Déjà? mais on n’a pas commencé…

Elle se sent partir et souhaite s’évanouir pour laisser le temps vivre à sa place les moments à suivre.

– Tu ne vas pas te trouver mal, rassure-moi? Ne t’inquiète pas, Marie, j’ai de quoi te redonner de l’énergie.

Il l’aide à se relever et la guide encore un peu. Malgré l’affolement, Rachel se situe à peu près dans le salon. Elle sait que, face à elle, trône une grande table de bois et se souvient des fauteuils et du canapé qui sont disposés le long des murs latéraux. Si une autre personne est là, elle est sans doute assise et lui fait face. Personne ne doit se trouver dans son dos.

– Bon, je crois que le moment est venu de te débarrasser de ce qui te gène…

Joignant le geste à la parole, Thomas dégrafe les lanières de ses sandales et l’aide à les enlever. Elle commence à envisager le pire et regrette son décolleté plongeant, mais il ne touche pas sa robe et finit pas dénouer son bâillon, puis la débarrasse du bandeau qui lui obstrue la vue.

– J’ai fait tout ça pour toi…

Rachel titube.
Le salon est plongé dans le noir, à l’exception de quelques bougies qui diffusent une lueur sombre et rouge. Assis sur la table, elle reconnait le chat qui semble se délecter de l’horreur qu’elle vit. Le mobilier a été recouvert de tissu noir. Quand ses yeux se sont accoutumés à l’obscurité, elle décèle une silhouette qui lui fait face. Malgré elle, elle se sent gémir.

– Ah… tu viens de réaliser que nous ne sommes pas seuls. Sois tranquille, je te présenterai en temps voulu…

Une capuche noir recouvre un visage penché en avant. Le silence est soudain bousculé par ce que Rachel identifie immédiatement comme le requiem de Mozart.

– La colère de Dieu… Je suis sûr que tu reconnais. Bien trouvé, tu ne crois pas? On va attendre la fin de ce passage, que j’apprécie beaucoup.

Rachel, accablée et terrifiée, laisse la musique envahir son cerveau.

*

Ménage à trois – Part 5 – Je garde Kiki –

Un trio d’arnaqueurs composé d’une femme de ménage diabolique (Delphine), d’une bimbo qui n’a pas froid aux yeux (Rachel) et d’un consultant en on-ne-sait-pas-quoi-mais-on-s’en-fout (Léo) piège des hommes presque innocents. Dans l’aube naissante qui suit sa nuit avec sa dernière victime, Rachel se précipite au domicile de son amant d’une nuit, pour le dépouiller de ses biens précieux. Sur place, elle se fait griffer par le chat du propriétaire. En partageant le butin, elle se sent coupable d’avoir dérobé une montre à forte valeur sentimentale, mais réalise qu’elle ne connait pas le nom de famille de l’homme et ne peut pas restituer le bijou. Plus tard, un médecin lui conseille d’emmener le chat, dont la griffure s’est infectée, se faire examiner par un vétérinaire. Les trois complices organisent le kidnapping du chat pour faire tester l’animal. La mission est menée à bien, mais en direct par visio-conférence…

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Partie 4

*

– 1258 vues…

Delphine, atterrée, rafraîchit l’écran de son téléphone, qui indique une impitoyable augmentation.

– Bientôt 1300 personnes m’auront vues kidnapper un chat… Et je ne vous parle pas des commentaires…
– A la fin du week-end, tu seras célèbre!
– On va essayer de me tuer, oui…
– Mais non, t’inquiète, demain un abruti va faire un truc encore plus con et plus personne ne pensera à toi… et avec cette casquette, on ne te reconnait pas…

Léo se veut rassurant, mais l’idée que, sous le couvre-chef bleu, le visage de sa complice fasse le tour des réseaux sociaux le plonge dans un stress qu’il a du mal à contenir.

– Je ne vais plus pouvoir aller bosser…
– Parce que tu crois que tes employeurs surfent sur des vidéos de chats?
– Pas trop envie de prendre le risque… si ça devient viral…
– La bonne nouvelle, c’est qu’on n’a pas fait ça pour rien… ce chat est bien malade…

Rachel agite sous le nez de Léo les résultats de la prise de sang de l’animal.

– Je vais filer chez le médecin et me faire prescrire les médicaments. Pour ceux à administrer au chat, j’ai déjà une ordonnance, on va pouvoir commencer son traitement. On s’organisera pour rendre après…
– Après quoi? Tu veux dire, une fois que ma tête sera placardée dans tout Paris? Et tu appelles comment quelqu’un qui restitue un otage, une retro-cat-kidnappeuse ?

*

Assise face au petit paquet, Rachel hésite.

Clef? Pas clef? De toute façon, je ne vais pas aller récupérer le vélo, Léo a raison c’est beaucoup trop risqué. Et ce serait idiot de laisser ce vélo rouiller pour rien. D’un autre côté, si je joins la clef à la montre, j’avoue avoir participé au vol et à ce cat-kidnapping… Même s’il n’a aucun moyen de remonter jusqu’à moi, ce n’est peut être pas très malin… Leo va devenir timbré avec mes conneries… Allez, pas clef. Et je vais envoyer ça depuis chez ma sœur la prochaine fois que j’irai la voir .

Elle repose la petite clé d’antivol sur la table et finit d’emballer la montre, puis recopie l’adresse et le nom du destinataire sur le papier kraft. Quatre jours après la mise en ligne sur YouTube, par le propriétaire du chat, de la vidéo de Delphine, que les réseaux sociaux ont baptisée « The mysterious blue cap cat captor » en référence à la casquette bleue qu’elle portait le jour du rapt, le nombre de vues a dépassé les dix mille.

*

– Tu prévois de rendre le chat quand?
– Si tu crois que j’ai envie de courir le moindre risque alors que la vidéo a passé les 20.000 vues… de toute façon, je garde Kiki.
– Quoi?
– Tu m’as très bien entendue, je garde Kiki!
– Mais tu es folle, tu ne peux pas faire ça! – les yeux de Léo semblent vouloir sortir de leur orbite –
– Et pourquoi pas? Il est très bien ici. Il se laisse soigner, il s’est bien habitué à l’appartement…
– Dis surtout que c’est toi qui t’es bien habituée à lui… bon, on arrête de rigoler, on rend ce chat dès aujourd’hui. Rachel, tu vois ça comment?
– Ben, à moins de déposer la caisse sur le paillasson du type, je ne vois pas trop.
– Avec un mot d’excuse aussi « excusez-moi pour le chat, j’en avais trop envie, surtout après avoir vidé votre appartement de tous les objets précieux qu’il contenait »?
– Non, plutôt « Ce chat était malade, nous vous le rendons soigné, le reste des médicaments est dans la caisse » , signé « le gang des soigneurs »
– Le gang des soigneurs?
– Comme ça on détourne l’attention…
– mais je rêve, « Le gang des soigneurs » ?
– …
– Vous ne m’avez pas comprise? JE GAR-DE KI-KI!!
– Impossible… La voix de Leo est trop calme, comme s’il allait se mettre à hurler sur les deux femmes.
– Et pourquoi Kiki, au juste? – Rachel tente de faire diversion après le flop de sa proposition de gang des soigneurs –
– C’est le nom de mon premier chat. Ma mère me l’avait offert pour mes quatre ans. Je l’ai adoré. Depuis, je n’ai eu que des Kiki…
– Je comprends.
– Moi, je m’en fous. On le rend. Kiki ou pas Kiki. et vous savez quoi? On fait une vidéo de la restitution et on explique qu’on l’a pris pour le soigner. Je vous parie qu’on fait plus de 20.000 vues.
– Et on explique comment, qu’on savait que ce chat en particulier était malade?
– On l’explique pas. On ne va pas faire d’interviews ni passer à la télé, c’est juste pour … détourner l’attention… Delphine, tu as repris tes esprits?
– Je t’en offrirai un, moi, de Kiki, si ça peut te faire plaisir…

L’offre de Rachel semble apaiser la femme de ménage, qui a pris le chat sur ses genoux et s’accroche à l’animal comme si sa vie en dépendait.

– d’accord… On rend le chat…
– OK, Va chercher ta casquette bleue, qu’on boucle cette histoire.

*

La vidéo de restitution affiche près de 25.000 vues quand Rachel jette un œil, amusée par les proportions prises par l’affaire du chat. Par prudence, ils ont décidé de suspendre leur arnaque, craignant un témoignage ou un appel à la prudence du propriétaire de l’animal, mais deux semaines ont passé et tout semble à nouveau calme. Un employeur de Delphine est parti pour un déplacement professionnel de trois jours et ce soir, ils vont reprendre leur activité. Léo a insisté pour choisir le lieu, une brasserie qu’il affectionne et fréquente régulièrement.

Perchée sur ses hauts talons, un manteau long dissimulant sa robe noire au décolleté flatteur, Rachel fait son entrée dans le bar à vingt heure et s’installe à une petite table d’où elle peut avoir vue sur toute la salle. Jugeant qu’aucun des hommes présents ne peut faire office de cible, elle sort de son sac un magazine et entreprend les mots croisés en attendant qu’un serveur la remarque.

– Vous avez vite retrouvé la ligne, pour une femme qui a accouché si récemment… vous permettez?

L’homme qui se tient à sa droite lui sourit en même temps qu’il s’installe face à elle. Tétanisée, elle le regarde prendre son temps pour déployer la carte et en profiter pour agiter la montre bleue qu’il porte au poignet.

– Merci pour la montre et le chat.

Ménage à trois – Part 4 –

Un trio d’arnaqueurs composé d’une femme de ménage diabolique (Delphine), d’une bimbo qui n’a pas froid aux yeux (Rachel) et d’un consultant en on-ne-sait-pas-quoi-mais-on-s’en-fout (Léo) piège des hommes presque innocents. Dans l’aube naissante qui suit sa nuit avec sa dernière victime, Rachel se précipite au domicile de son amant d’une nuit, pour le dépouiller de ses biens précieux. Sur place, elle réalise qu’elle ne se sent pas taillée pour ce type d’arnaque et se fait griffer par le chat du propriétaire. En partageant le butin, elle se sent coupable d’avoir dérobé une montre à forte valeur sentimentale et après avoir quitté abruptement ses complices, elle décide de retourner chez sa victime pour lui restituer la montre. Sur place, elle réalise qu’elle ne connait pas le nom de famille de l’homme et ne peut donc glisser le bijou dans sa boîte à lettres. Quelques heures après, un médecin lui conseille d’emmener le chat, dont la griffure s’est infectée, se faire examiner par un vétérinaire.

Début
Partie 2
Partie 3

*

-Tu veux monter un kidnapping de chat? Chez un type qu’on vient de cambrioler? Mais tu es dingo!!
– Je n’aurais jamais dû vous raconter ça… laissez tomber, je vais me débrouiller…
– Te débrouiller??? Mais non! Surtout ne fais rien! Je ne sais pas… prend des antibio…

Léo, furieux, s’agite dans le salon de Delphine où les trois complices se sont donné rendez-vous à la demande de Rachel.

– Mais dis quelque chose, toi! Fais lui comprendre que c’est de la folie!

Autant Rachel pensait pouvoir compter sur Léo pour l’aider, autant elle est convaincue que Delphine va l’atomiser en quelques mots bien choisis. Aussi, elle ne peut s’empêcher de couiner quand la petite femme boulote aux cheveux désormais châtains répond avec calme.

– Non, je suis OK pour le kidnapping du chat. J’aime bien les chats. Ca va me faire plaisir d’en avoir un pendant quelques jours. Mais je comprends ton point de vue, t’inquiète. On va pouvoir s’en sortir à deux, j’ai une idée.
– Quoi? Mais je fais équipe avec deux folledingues! Je vais retourner faire le consultant, moi, à ce rythme! Au moins , les risques étaient limités à la mort lente par ennui profond…
– Tu peux nous donner ton idée, Delphine?

Rachel est tellement soulagée d’avoir une alliée qu’elle se retient de serrer sa complice dans ses bras et de l’embrasser.

– C’est simple: il faut l’obliger à quitter son appartement le temps de choper le chat. Donc soit on a de la chance et il a besoin d’une femme de ménage, soit on invente un truc pour le faire quitter les lieux en laissant la porte ouverte.
– Et comment tu accomplis cet exploit avec un type qui vient de se faire dépouiller?  – Léo a l’air de se retenir de crier –
– Un enfant ou une femme enceinte.
– Quoi, « un enfant ou une femme enceinte »?
– Ben un individu vulnérable qui va sonner chez lui pour lui demander de l’aide et l’entraîner dans l’escalier assez longtemps pour laisser à son complice le loisir de localiser l’animal…
– Et quel prétexte l’individu vulnérable va-t-il avoir?
– La femme enceinte s’est trompée d’étage, elle se rend chez une personne pour lui vendre un vélo. Mais il ne rentre pas dans l’ascenseur et il est trop lourd pour son état, elle a laissé en bas dans l’entrée. Elle demande de l’aide, l’homme l’accompagne, mais assez bêtement, elle ne parvient pas à retrouver le papier sur lequel elle avait noté l’étage et le nom de l’acheteur…  Quant à l’enfant… je ne sais pas trop… il faudrait déjà en avoir un sous la main…
– Parce qu’on a une femme enceinte sous la main?

Delphine fait un mouvement de tête en direction de Rachel.

– Avec un bon coussin, elle peut faire illusion…
– T’es jamais à court quand il s’agit d’arnaquer, hein? Mais ça va pas? Tu crois qu’il ne va pas la reconnaître? – Léo s’étrangle et postillonne de rage-
– Arrête de me cracher dessus. Tu lui vires son maquillage, tu lui mets une perruque, des fringues informes et des lunettes, le tour est joué.
– Mais elle n’y arrivera jamais, elle va flipper!
– Hé! ho! vous pouvez arrêter de parler de moi comme si je n’étais pas là? C’est dingue, ça! Bien sûr que j’y arriverai! De toute façon on va faire ça sans toi, alors la ramène pas!
– Parce que tu crois que je vais laisser faire ce désastre? Très bien, on la joue « femme enceinte au vélo »! Mais je viens avec vous!
– Et sous quel prétexte?
– Le protocole prévoit qu’on ne fait rien de manière isolée. Je serai dans la rue, en cas de pépin, j’improviserai. Vraiment? Une femme enceinte qui transporte un vélo?
– Pourquoi pas?
– Et pour le chat? Tu crois qu’il va se laisser faire comme ça?
– T’inquiète, le chat, je m’en occupe… J’aime bien les chats, je te dis. Et toi, tu vas nous servir de messager: dès que j’ai le chat, je fonce dans l’escalier de secours et je t’envoie un sms. Tu n’auras qu’à taper sur la porte, comme si tu avais oublié le code. Rachel t’entendra, elle pourra arrêter son cirque. Avec un peu de chance, il ouvrira et elle en profitera pour s’éclipser. Toi, tu improvises un truc.

Comme Delphine a l’air sûre d’elle, Léo et Rachel ne bronchent pas.

*

Ce samedi matin, vers neuf heure, quelqu’un sort enfin de l’immeuble, laissant à Delphine la possibilité d’y entrer. Après avoir laissé le temps à sa complice de monter au delà du second étage et de se tenir prête à intervenir, Rachel, dans sa tenue de femme enceinte et un vélo à la main, s’avance vers la porte. Léo est posté sur le trottoir d’en face, manipulant nerveusement son téléphone. Ils sont en embuscade depuis sept heure trente, à surveiller les fenêtres du second étage. Ayant vu la silhouette de l’homme derrière les fenêtres, ils sont sûrs qu’il est chez lui.

Au grand étonnement de Rachel, le plan de Delphine fonctionne à merveille: l’homme, à peine surpris de trouver une femme enceinte sur son palier, ne pose aucune question, ne prend même pas le temps de troquer son pyjama contre un autre vêtement et suit Rachel dans l’escalier, disposé à lui donner un coup de main.

Merde, il est vraiment gentil. Je me sens moche de faire ça. Et je ne vais même pas pouvoir lui rendre sa montre. A moins de trouver une raison de lui demander son nom…

Prenant son temps pour descendre les marches, elle s’accroche à son faux ventre.

– Je ne sais pas comment vous remercier… je me sens incongrue, avec ce problème de vélo…
– Ne vous inquiétez pas, ce n’est rien. Dites-moi seulement à quel étage il faut le monter.
– Je ne sais plus, je croyais que c’était le vôtre. Il faut que je reprenne mes notes…  – elle tente un petit rire confus, qui résonne tellement faux à ses oreilles qu’elle s’en veut immédiatement – je ne sais pas si c’est la grossesse, mais j’ai l’impression de perdre la tête… Vous avez des enfants?
– Non
– Ah. Vous n’avez jamais vécu…ça, alors – elle pointe son ventre-
– heu.. non-non..
– Excusez-moi, je vous ennuie avec mes histoires. Voilà le vélo, je cherche le papier.

Deux étages au dessus, Delphine se tient dans l’entrée de l’appartement, une caisse à chat à la main. Le chat gris lui fait face depuis le salon, à petite distance, et la regarde avec intérêt.

– Salut, chat. Tu viens me voir?

Elle s’est accroupie et agite une balle rouge devant elle. Le chat s’avance et vient lui flairer les doigts, mais elle n’a pas le temps de l’attraper qu’il s’éloigne en miaulant de mépris.

– Quoi? tu n’aimes pas ma balle?

Elle avance vers un grand tapis bleu et suit l’animal dans la pièce, tout en guettant le bruit dans le hall. Lui parvient la voix de Rachel qui semble s’excuser de sa lenteur.

– Allez… viens… regarde la baballe…

Elle fait mine de regarder ailleurs, tout en continuant à manipuler sa balle.  L’animal, méfiant mais curieux, avance lentement. Quand il est assez proche, elle l’attrape avec dextérité et le pousse dans la cage dont elle avait ouvert la porte. Il commence à protester, mais il est trop tard, la porte de la cage s’est refermée sur lui.

– Chuuut… s’il te plait…

Elle ressort de l’appartement en silence et prend la porte de l’escalier de secours. Le chat commençant à s’agiter et à faire du bruit, elle décide de ne pas s’attarder à cet étage et opte pour descendre vers le premier.
Pendant ce temps, Rachel a vidé son sac et l’a retourné deux fois, sans retrouver le papier qui pourrait la renseigner sur son acheteuse. Elle s’est confondue en excuse et s’apprête à quitter l’homme qui n’a pas fait montre d’impatience.

– Je suis confuse, je vous ai dérangé pour rien et en plus, je vais devoir rentrer chez moi avec ce satané vélo…
– Vous avez un cadenas?
– Oui…
– Je vous proposerais bien de le laisser dans le local, là… – il désigne une porte – comme ça vous n’aurez pas à le trimballer partout…
– Oh… Bonne idée… Mais…
– J’ai la clef. Je suis sûr que votre acheteuse l’a aussi. Ca ne pose aucun problème, elle pourra venir regarder le vélo, avec un peu de chance, vous n’aurez qu’à revenir avec la petite clé… c’est mieux qu’un gros vélo… Et de toute façon, vous devrez revenir, alors…

Il réfléchit vite, ce con… Qu’est ce que je réponds, moi?  Pas trop envie de revenir par ici… sauf si…

– Je ne vous force pas
– Non non.. je vais faire ça. Acceptez-vous de me donner votre numéro de téléphone, si jamais…

L’homme s’exécute sans broncher et Rachel est en train de noter le numéro quand elle entend frapper à la porte d’entrée.

Ahhhh… enfin… bon, finissons-en, qu’est-ce que je lui dis pour me sortir de là?

– Dites, vous ne craignez pas d’avoir laissé votre porte ouverte un peu trop longtemps? quelqu’un pourrait visiter votre appartement…
– Non, l’immeuble est calme. Et malheureusement l’appartement a été visité il n’y a pas longtemps….

Merde, c’est malin, comme prétexte…

– En plus, j’étais en visio avec ma mère, je l’ai laissée en plan quand vous avez sonné, mais mon bureau donne sur l’entrée, elle a vue sur la porte, si quelqu’un essaie de me jouer un tour, elle est aux premières loges!

Son rire franc glace Rachel jusqu’aux os.

*

– Tu lui as laissé mon vélo???

Léo est furieux.

– De toute façon, il va falloir ramener le chat…
– Et? Tu crois que tu vas pouvoir aller et venir dans cet immeuble toute ta vie?
– Sur le coup, ça m’a semblé une bonne idée…

Et surtout, j’ai son nom, je vais pouvoir lui rendre sa montre. Ca vaut bien ton vélo pourri.

– Mais il faut quand même que je vous dise un truc…

*