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Le petit prince s’amuse
Lecteur-chéri-mon-choux-vert, le début de cette épopée est par là:
https://geckobleu007.com/2016/05/01/le-petit-prince-a-pas-dit
La suite est là https://geckobleu007.com/2016/06/19/le-petit-prince-a-un-reve/,
puis si tu aimes vraiment, tu peux aussi lire ça: https://geckobleu007.com/2016/07/31/le-petit-prince-veut-voyager/
Si tu n’as pas exactement le temps de le remonter (le temps), tout ce que tu as besoin de savoir est que le personnage principal est un enfant, petit prince mutique. Il se tient régulièrement au bord d’un bassin habité par deux carpes koï, Roger et Stanislas, qui présentent la particularité de parler (et de ne jamais rater l’apéro). Roger est par ailleurs capable de lire les pensées humaines. Ces carpes sont sentimentales (bien que fort viriles) et si elles pleurent, celui qui boit leurs larmes sucrées voit sa vie se prolonger de l’exacte durée de son honnêteté. Voilà, tu sais l’essentiel
– AAAaaaaaahhhh!!!
Roger, les yeux exorbités, se sent happé par le filet.
– Aaahhhhh ! Je déteste ce filet, il abîme mes écailles et froisse ma queue !
Stanislas, à côté de lui dans un autre filet le regarde d’un œil impavide.
– Mais lâche l’affaire, de toute façon tu n’y peux rien… Relaxe ton corps et essaye de ne pas gâcher ton oxygène.
Les deux carpes échangent un regard et avant que Roger n’ai le temps de réagir, chacun d’entre eux est projeté dans un bocal rond.
– Ah non ! Pas le bocal ! Je déteste ce truc rond qui nous donne l’air de poissons rouges débiles qui ne savent que tourner dans un sens en faisant des bulles stupides !
– Tu vas te calmer ? Là non plus, tu ne peux rien faire. Laisse tomber. Espérons que nous serons de retour pour l’apéro…
Les poissons prisonniers ne se quittent pas des yeux pendant qu’on les arrime solidement à ce qui semble être un cheval pour Stanislas et un éléphant pour Roger.
– On va encore se faire balloter, j’en ai marre, c’est pas une vie…
Quelques flocons d’une délicieuse mixture interrompent les récriminations de Roger, qui préfère suspendre ses râleries pour se gaver. Des petits doigts potelés d’enfant s’agitent au-dessus des bocaux, distribuant généreusement de quoi calmer les carpes.
– Il est sympa, le môme, quand même…
Une musique rétro couvre la fin de la phrase de Stanislas, qui ferme les yeux et cesse de bouger pour l’apprécier. La musique est tellement belle qu’il se sent littéralement transporté, comme s’il flottait. Un sourire béat se forme sur sa bouche pleine de flocons, il va se mettre à fredonner la mélodie quand un cri d’effroi le fige au fond de son bocal. Il ouvre les yeux pour voir passer Roger dans son bocal, sur l’éléphant, à la verticale devant lui. Roger s’agite et tempête, troublant son eau, vociférant, pestant, crachant des insultes. Parvenu à un ce qui semble être un point fixe en altitude, il redescend, toujours aussi agité. Le spectacle est sidérant. Les yeux écarquillés, Stanislas voit passer son ami de bas en haut puis de haut en bas.
Sans voire d’où il vient , il entend le rire cristallin du petit prince et comprend qu’ils ne sont pas en danger.
– Roger ! Tu vas te calmer, oui ? Profite, mon gros, pour une fois que tu bouges à la verticale ! Et sur un éléphant en plus !
Son rire moqueur est brutalement interrompu par le mouvement de bas en haut qui anime son propre bocal.
– Ehoh ! Qu’est ce qui se passe ? Jamais vu un cheval voler, moi ! Les éléphants, oui, mais les chevaux, non !
Les deux poissons en sont réduits à se croiser au rythme des sauts de leurs montures respectives. Profitant d’un moment d’altitude, Stanislas repère le petit prince, qui pilote très sérieusement un avion bleu. Son cheval semblant perdre de la vitesse, la grosse carpe en profite pour échafauder un plan.
– Eh, Roger, qu’est que tu dirais de rejoindre le gamin dans l’avion ? Ce serait plus tranquille, tu ne crois pas ?
– Tu veux qu’on saute, c’est ça ? mais on va crever hors de l’eau ! Et encore, il faut être sûrs de notre coup!
– Ca ralenti, on devrait s’arrêter bientôt. Un coup de queue et on s’envole pour atterrir à côté du petit. Il ne nous a jamais laissés tomber. Je suis sûr qu’il saura quoi faire.
– Tu aimes vivre dangereusement, mais j’ai trop peu de rater l’apéro. Tiens, ça s’arrête. J’y vais en premier.
Roger fixe le dos du petit prince et se concentre. Il prend son élan, amorce un cabrage et va donner un coup de queue pour voler vers l’enfant
– Nooooon, fais pas ça !
La carpe corail et turquoise arrête son geste juste à temps.
– Il n’est plus dans l’avion ! Et mon cheval repart ! Ton éléphant va sûrement se remettre en route, il faut trouver autre chose !
Roger souffle et se tourne vers le bocal de Stanislas
– Tu as voulu me tuer ! je suis sûr que tu l’a fait exprès ! Ce plan foireux était juste pour te débarrasser de moi !
– Mais non, quel intérêt ?
– Tu veux récupérer toute la bouffe des apéros, tu crois que je ne te connais pas ?
– Mais tu es idiot ou quoi ? on s’en fout de la bouffe, on… Ah ! Il est là, avec les flics, regarde !
Roger et Stanislas se tournent dans la direction indiquée par Stanislas. En effet, l’enfant est monté dans une auto de police et se tient au volant, tout fier. Il appuie sur un bouton rouge et un gyrophare se met en marche.
– Les flics ! S’il est chez les flics, c’est qu’on a un problème. Je suis sûr qu’il a trouvé ma réserve d’alcool, il va nous dénoncer, c’est pour ça qu’on est là, coincés comme deux cons, dans des bocaux séparés : il se débarrasse de nous !
Roger est tétanisé par les paroles de son ami. De grosses larmes coulent sur ses joues blanches et corail
– Je ne veux pas le quitter, le môme, je l’aime, moi, cet enfant ! c’est pas possible qu’il nous livre…
L’éléphant et le cheval se remettent à monter et descendre.
– Tu vois ? Ils nous empêchent de communiquer ! On va passer le reste de nos vies chez les flics, dans des bocaux crados, sur des bureaux poussiéreux, avec de la bouffe bas de gamme ! Au secours !
Stanislas perd son calme et se met à tourner comme un forcené dans son bocal. Ses yeux fous s’agrandissent et ses nageoires brassent désespérément l’eau. Roger commence à craindre que son ami ne fasse un malaise quand leurs montures ralentissent et s’arrêtent doucement. Devant eux, le petit prince sort de la voiture de police. Il sourit de toutes ses petites dents de lait. Il s’approche du cheval en gazouillant et plonge l’index dans l’eau du bocal de Stanislas. Aussitôt, la carpe se calme et vient se coller sur le doigt de son maître. Une déferlante de tendresse le secoue. L’enfant sait tranquilliser ses poissons. Il caresse un moment la tête corail et détache le bocal.
Les deux carpes se retrouvent en sécurité sur un banc où l’enfant les a posés. Les deux bocaux ont été généreusement garnis de délicieuses plantes aquatiques. En mâchonnant, Roger fait un clin d’œil à Stanislas.
– T’a flippé, hein ? Allez, admet que t’as flippé ? Moi, j’ai toujours su que le gamin nous aime trop pour nous laisser chez les flics. Tiens, regarde, il est monté dans un sous-marin… il est mignon, c’gamin, un vrai aventurier…
Stanislas préfère ignorer les railleries de son ami. De son poste d’observation, il profite du spectacle offert par cet enfant délicat qui les aime tellement qu’il veut partager avec eux toutes ses activités. Sous son bonnet de laine vert, les yeux brillants d’excitation, le petit actionne l’hélice de son sous-marin. Le manège redémarre dans un éclat de rire.
Le petit prince veut voyager
Le début de cette épopée est par là https://geckobleu007.com/2016/05/01/le-petit-prince-a-pas-dit
La suite est là https://geckobleu007.com/2016/06/19/le-petit-prince-a-un-reve/
Néanmoins, Lecteur-chéri-mon-culbuto, nulle obligation de rétropédaler dans le temps, surtout que ce modeste post te trouve sans doute débordé. Tout ce que tu as besoin de savoir est que le personnage principal est un enfant, petit prince mutique. Il se tient régulièrement au bord d’un bassin habité par deux carpes koï, Roger et Stanislas, qui présentent la particularité de parler (et de ne jamais rater l’apéro). Roger est par ailleurs capable de lire les pensées humaines. Voilà, tu sais l’essentiel.
– Oui, je vois bien, c’est une montagne…
Stanislas suivait du regard le doigt potelé du petit prince, qui lui désignait une ligne brisée en forme de triangle sur la feuille de papier qu’il tenait au-dessus du bassin.
– C’est bien, tu as fait des progrès… mais tu ne veux pas plutôt m’apporter des trucs pour l’apéro ? ça a l’air sympa, tes beignets, là-bas…
Le gamin était venu avec un plateau de friandises, paris lesquelles la carpe avait immédiatement identifié des beignets moelleux couvert de sucre glace. De quoi le rendre prêt à tout, même à admirer des dessins d’enfants.
– Roger, tu ne veux pas m’aider à lui faire comprendre qu’il pourrait nous émietter ces délices ?
Roger arriva d’un coup de nageoire corail, en maugréant contre la gourmandise de son compagnon.
– Tu es vraiment en dessous de tout ! On s’en fiche, des beignets, regarde plutôt ce qu’il a amené : un chien à bascule ! Il est magnifique, tout en fourrure grise, avec un collier doré ! Je crois bien que c’est le fameux Bijou dont tout le monde parle. Il parait que c’est le jouet préféré du gamin ! C’est un grand honneur, qu’il l’ait amené jusqu’à nous…
– Mais oui, mais oui, mais moi, je préfèrerais avoir l’honneur des beignets… regarde… ils m’appellent de leur sucre mignon…
Roger sorti sa tête bicolore de l’eau, pour jeter un œil au dessin du petit prince.
– Dis-donc, il a drôlement progressé, ce dessin est d’une pureté incroyable… Tu sais pourquoi il nous le montre avec tant d’insistance ?
– Non, je comptais sur toi pour nous le dire,
– Ah oui, c’est vrai, c’est moi qui suis doué..
En éclatant de rire, Roger s’approcha de l’enfant pendant que Stanislas, vexé, regagnait le fond du bassin à grands coups de queue furieux.
Il regarda les yeux sombres, concentra toute son attention sur le front doré de l’enfant, projeta sur lui toute son énergie. Rapidement, il se senti emporté par les pensées joyeuses du gamin. Il se mit à virevolter dans un espace lumineux, argenté, dans lequel semblaient flotter des sphères transparentes. Dans cette exubérance colorée, il lui sembla discerner le projet du petit : aller découvrir la montagne, et les associer à cette découverte.
– Ah Stanislas, tu vas encore râler ! il veut nous emmener à la montagne !
– Mais il est fou, on vit ici, dans ce bassin, on y est bien ! Comment il veut nous transporter ?
– Euh… Je crois qu’il veut que nous partions tous sur le dos de Bijou..
– N’importe quoi, ce chien est un jouet ridicule, on il nous emmènera pas plus loin qu’un arc de cercle et tout ça va nous faire rater l’apéro ! Mais qu’est-ce qui se passe ?
Avant que les deux carpes aient pu réagir, une épuisette les avait cueillis et délicatement transvasés dans un gros bocal. Roger et Stanislas, immobiles, les yeux exorbités par la surprise, se sentirent soulevés et se retrouvèrent sur le dos du chien Bijou. En battant des mains pour manifester sa joie, le gamin se mit à califourchon derrière le bocal et regarda fixement Roger.
– Ah, je crois qu’il veut me dire quelque chose…
Le poisson se laissa aller, essayant autant que possible de se détendre, pour favoriser la communication avec l’enfant. Depuis le bocal, c’était moins facile que depuis le bassin et ils passèrent de longues minutes à se regarder, les yeux bleu clair de la carpe scrutant les étoiles d’or des pupilles noires du bambin
– Stan’, je crois qu’il faut que nous fermions les yeux…
– Ah non, je ne vais pas me laisser dicter ma conduite par un enfant, aussi mignon soit-il !
– Ne soit pas ridicule et ferme les yeux…
Les deux carpes Koï fermèrent les yeux, et le gamin, satisfait, fit de même.
*
– Aaaaaah…. Mais c’est quoi ?
Stanislas se trouvait face à de la neige. La couverture blanche et légère sur laquelle reposait le bocal en refroidissait le fond.
– Mais non ! je veux retourner au bassin !
Des flocons se mirent à tomber dans l’eau et Roger, hypnotisé, essaya de les gober.
– Mais t’es con, on ne peut pas gober la neige, elle fond dès qu’elle touche l’eau !
– Lâche-moi deux minutes, je veux jouer aussi, moi !
Vexé, Stanislas parti bouder dans le fond du bocal, laissant Roger faire des petits sauts pour attraper les flocons que répandait le petit prince sur le bocal.
– Tu vois ? On a voyagé en fermant les yeux ! Ce chien est magique !
– M’en fous, on est en train de rater l’apéro ! Et moi, je voudrais voir la mer !
Le visage collé au bocal, le gamin observa les deux poissons. Ses yeux et son nez paraissaient énormes et son rire rebondissait sur les parois de verre. Un peu désorientés par toutes ces nouveautés, les carpes se tapirent au fond et attendirent. Un battement de paupières plus tard, ils étaient face à un récif de corail. Autour d’eux, des poissons multicolores s’ébattaient et des algues ondulaient gracieusement au rythme d’un courant léger.
– Ah… ca c’est mon gamin ! On n’est pas mieux, là ? Regarde ! Des cousins !
Pour la première fois de leur vie, Roger et Stanislas, à l’abri de leur bocal, purent prendre l’apéro en compagnie d’autres poissons, sous le regard attentif de l’enfant, toujours juché sur son chien Bijou.
– Dis-donc, et si on essayait un truc ?
Et Stanislas, mis en joie par l’alcool de coquille d’huitres que lui avaient fait goûté ses nouveaux amis, chuchota à l’oreille de Roger :
– La lune…
Roger n’eut pas le temps de protester et un battement de paupières plus tard, le bocal, ses deux occupants, le chien Bijou et le gamin dévalaient la pente d’un cratère gris. Dans le ciel au-dessus de leurs têtes, ils distinguaient une sphère bleue.
– La terre! Regarde, c’est la terre …
La gamin jubilait, son rire léger s’égrenait dans l’eau du bocal. Roger était stupéfait. Il ne cherchait pas à comprendre.
Ils avaient demandé la lune. Un petit garçon rêveur et délicat venait de leur offrir.
Le petit prince a pas dit
Lecteur-Chéri-Ma-Boule-De-Cristal, cette semaine je te propose un jeu. Ca faisait longtemps. Comme le WE dernier célébrait les 400 ans du décès du barde de Stratford (connu aussi sous le nom de Shakespeare, ou Big Will pour les amis), je vais tirer au hasard 5 phrases (ou vers) du livre de poche que j’ai présentement sous les yeux et qui contient « Le marchand de Venise », « Comme il vous plaira » et « Beaucoup de bruit pour rien ».
Classiquement, je me donne 20 mn pour créer une histoire à partir de ces 5 extraits.
Tu n’es pas obligé de me croire, mais sache que j’ai du mal à mentir à mon dentiste. Alors à la terre entière… (Parce que oui, j’aime à croire que la terre entière est en capacité à me lire, ça s’appelle « la magie du oueb »). Donc les 5 extraits sont parfaitement random et les 20 mn un réel objectif.
Extrait 1 « Ce sang ne vient-il pas, comme un pudique témoin, déposer de son innocence ? »
Extrait 2 – « Quand je vous l’ai donnée, vous m’avez juré que vous la porteriez jusqu’à l’heure de votre mort et qu’elle ne vous quitterait pas même dans la tombe »
Extrait 3 – (Qu’est-ce qu’on se marre…) « J’ai rencontré un fou dans la forêt, un fou en livrée bariolée… »
Extrait 4 – « En vérité, belle dame, vous avez le cœur joyeux »
Extrait 5 – « Il est dans mon fourreau, dois-je l’en tirer ? »
Moment de concentration, roulement de tambours, coassement de grenouilles gavées d’étoiles et surfant sur l’air bleu de la galaxie fantôme qui jouxte notre univers en perdition.
Top chrono ! Il est 15h20. Je sens ton cœur qui bat à l’unisson du mien (OK, c’est totalement virtuel, mais je trouve l’idée inspirante et la communion via la toile me sied en ce jour ensoleillé).
Ce matin, en courant dans les bois, j’ai rencontré un petit prince. Rond et doux, les cheveux en désordre comme un poussin au sortir de l’œuf, il était tout entier absorbé par la contemplation d’un bassin dans lequel s’ébattaient deux carpes aux reflets argent et turquoise. Au coin de la bouche de l’un des deux poissons, blessé par un hameçon, perlait une goutte vermillon. L’enfant semblait tétanisé par cette goutte rouge. Ce sang ne vient-il pas, comme un pudique témoin, déposer de son innocence ?
Ses grands yeux sombres laissaient entrevoir le puit sans fond du questionnement enfantin. Une matière noire et pure, abyssale, dont la dureté était compensée par le reflet doré des iris. L’enfant avait choisi de se taire. Son mutisme n’était pas une prison mais un rempart contre la vie dont il préférait ignorer les vicissitudes. (il est 15h27)
L’une des carpes, la plus grosse, celle qui n’était pas blessée, sortit la tête de l’eau et me demanda l’heure. Je lui répondis que je n’avais pas de montre, ce qui la fâcha au plus haut point. Elle répondit, sur un ton de mépris dont j’étais loin d’imaginer qu’il put émaner d’un poisson :
– Quand je vous l’ai donnée, vous m’avez juré que vous la porteriez jusqu’à l’heure de votre mort et qu’elle ne vous quitterait pas même dans la tombe .
J’ai dû lui expliquer que, pour courir au bois, une montre en or incrustée de pierres précieuses ne me paraissait pas idéale. L’animal acquiesça et, d’un mouvement de queue élégant retourna à ses aqueuses occupations, non sans avoir lancé un « tu vois Roger, je te l’avais dit, on ne peut pas faire confiance aux humains ».
Roger me regarda et jaugea ma tenue. L’enfant s’était approché et avait, de son petit doigt potelé, essuyé le sang de sa lèvre. Il prit la parole.
– J’ai rencontré un fou dans la forêt, un fou en livrée bariolée, il m’a dit que je pouvais faire confiance à ceux de sa caste, qui arpentent les bois le dimanche matin, courant derrière un avenir qui ne leur appartient plus. D’ailleurs (Roger s’était mis de côté pour mieux capter mon regard) je ne comprends pas cette manie que vous avez de vous agiter pour rien… regardez cet enfant : il est calme, se contente de ce qui l’entoure et ça a l’air de le rendre heureux…
En effet, il émanait du petit prince une aura de quiétude tranquille, totalement hors du temps. Il s’était un peu éloigné et cueillait des fleurs, choisissant avec soin les plus jolies, prenant mille précautions pour ne pas écraser les autres sous ses petites chaussures aux lacets brillants.
(Il est 15h37, je suis à la bourre)
Regarder cet enfant me comblait d’aise. Roger dû s’en rendre compte, car il m’adressa un clin d’œil (oui, je vous garantis que les carpes peuvent cligner de l’œil) et dit, d’un ton allègre:
– En vérité, belle dame, vous avez le cœur joyeux ! Oubliez la montre et restez avec nous, nous allions justement passer à l apéro !
Prendre l’apéritif avec deux carpes dissertes et un enfant mutique me semblait une bonne façon d’attaquer le mois de Mai. Je m’assis donc au bord du bassin, fis un geste vers le petit pour qu’il s’approche et fouillais mes poches, à la recherche d’une barre de céréales à partager. Je sorti la friandise et en proposais aux convives. Roger, salivant d’avance, tourna sa tête corail vers son compagnon (il est 15h42, zut) comme pour demander l’autorisation de goûter au fruit défendu. La grosse carpe (dont j’appris par la suite qu’elle répondant au nom de Stanislas) eu du mal à cacher son mépris et me fit remarquer que l’emballage risquait de ne pas être très digeste. J’avais décidé de rester calme, à l’image de l’enfant délicat qui me tendait ses fleurs.
– Il est dans mon fourreau, dois-je l’en tirer ? (oui, c’est un peu capillotracté, désolée)
Roger secoua la tête et Stanislas eut un mouvement que j’interprétais comme une invitation au partage. J’ouvris le sachet et découpais en parts égales son contenu. Les poissons se jetèrent sur leurs morceaux et pendant quelques secondes, le bassin fut agité remous comme si un combat s’y déroulait. Je me tournais vers l’enfant pour lui offrir sa part. Il avait disparu. Seules quelques fleurs roses et blanches témoignaient de son passage.
Le petit prince n’a pas dit…
(Il est 15h46…)
Lecteur-Chéri-Mon-Couscous, tu n’es toujours pas obligé de me croire, mais je poste de ce pas et sans corriger. Je te laisse un ciel dramatique, Shakespearien en diable, et des pensées de printemps. J’te bises