Jérémie et le vent 1/2

Le cœur prêt à rompre la barrière de ses côtes, elle finit par s’assoir sur le petit tabouret de Jérémie. L’enfant adore ce siège de bois rouge qui lui vient de son grand-père, il le traîne chaque soir entre le télé et ce qu’il appelle son bureau, la table basse sur laquelle il passe des heures à faire des dessins et à inventer des histoire fantasques.

Deux heures qu’elle le cherche, qu’elle crie son nom dans la maison, le jardin, la grange, les champs avoisinants. Le petit semble s’être volatilisé. Elle n’a plus de voix, ses membres tremblent, la sueur colle ses vêtements dans son dos, les larmes ruissellent sur ses joues.

Le regard d’Audrey se fixe sur les feuilles couvertes des griffonnages du petit. Pour un enfant de six ans, il est plutôt habile à représenter les animaux et le jardin,  ses sujets de prédilection. Sans y réfléchir, elle soulève les dessins l’un après l’autre. Dans le tas de vaches, canards roses à rayures, poissons avec un bonnet, un gribouillage sombre et torturé attire son attention. Devant la maison, identifiable aux trois fenêtres ornées de volets jaunes, ce qui ressemble à une tornade grise et brune se contorsionne de façon menaçante. Elle saisit la feuille et observe les lignes sauvagement appuyées, comme si leur auteur avait voulu manifester de la colère en les imprimant autant sur le papier que dans le bois de la table. Elle remarque que des traits violents surgissent des lettres maladroites. Jérémie ne sait écrire que son prénom, mais il maîtrise les voyelles et certains sons.

…AAAA, OOO…

Elle s’arrache à la contemplation de ce qui ressemble à des cris dans la tempête et hurle le prénom du gamin. Le silence lourd qui enveloppe sa supplique est rompu par la sonnerie de son portable.

Audrey se lève brutalement, envoyant balader le tabouret de bois. C’est Jacqueline, la voisine qu’elle a essayé de joindre mille fois. Elle saisit l’appareil et son stress est tel qu’il lui faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour décrocher.Audrey ? C’est Jacqueline, désolée, j’étais occupée à la la cuisine, je n’ai pas mon téléphone sur moi quand je travaille. Non, je n‘ai pas vu Jérémie depuis hier, quand il est venu discuter avec pépé au sujet de la voix du vent.

– Audrey ? C’est Jacqueline, désolée, j’étais occupée à la la cuisine, je n’ai pas mon téléphone sur moi quand je travaille. Non, je n‘ai pas vu Jérémie depuis hier, quand il est venu discuter avec pépé au sujet de la voix du vent.
– Avec pépé ? La voix du vent ?

Audrey se mord les lèvres. Elle n’a pas prêté attention à l’excitation du petit hier, quand il essayait de partager avec elle des histoires délirantes de vent qui lui parle. un pincement de cœur l’avertit qu’elle aurait dû.- Oui, il voulait entendre la légende locale, tu sais au sujet du vent qui vole les paroles…
– Oui, il voulait entendre la légende locale, tu sais au sujet du vent qui vole les paroles…
– Heu… non… je ne la connais pas…
– Je fais vite : il se dit que dans la région, le vent vole les paroles des personnes qui se promènent à la plage, pour les restituer ensuite à ceux qui se sentent seuls, dans leurs maisons. Jérémie est arrivé tout content, il prétendait avoir entendu des voix de nouveaux copains… Je crois que ton fils se sent un peu isolé, parfois. La vie à la campagne, quand tu viens de la ville, ça peut être rude.
– Donc pas depuis hier ?
– Non. Tu le cherches depuis quand ?
– Deux heures
– J’arrive.

 Les deux femmes ont arpenté le village et ses alentours jusqu’à la nuit, entraînant avec elles la plupart des habitants du village auxquels elles ont montré la photo du petit garçon.

Désespérée, Audrey a fini par appeler la police et les pompiers. Des gyrophares sillonnent le coin, blessant de leurs griffures indécentes la nuit ordinairement paisible.

Un agent lui ayant conseillé de rentrer chez elle pour accueillir l’enfant s’il revenait, elle s’ est assise sur le tabouret rouge, incapable d’articuler une pensée.

Sur la table, le dessin de tempête et de cris semble vouloir lui indiquer quelque chose.

Au-dessus de la cheminée, une gravure ancienne représente un Eole barbu aux longs cheveux qui souffle sur la mer, créant les vagues d’une tempête.

La voix du vent.

– Pépé ? vous voulez bien me dire ce que Jérémie vous a raconté hier ?
– Votre fils est venu me parler des voix qu’il entend dans la grange. Il est sûr que des copains lui murmurent des nouvelles de tous les pays du monde, colportent des aventures de pirates ou des récits de poissons asiatiques qui lisent les pensées.
– Et que lui avez-vous répondu ?
– Je lui ai conseillé de dessiner ces histoires, pour plus tard, quand il saurait écrire, qu’il puisse en faire un livre. Je me suis dit que c’était une bonne façon de l’intéresser à l’école…

*

La suite est par là

Publié le 16 janvier 2021, dans histoire courte, et tagué , , , . Bookmarquez ce permalien. 1 Commentaire.

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