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Canicule

Lecteur-chéri-mon-étuve,

Ce n’est, hélas, que le début de la fin. Il va falloir s’habituer à supporter le souffle de four du vent citadin dans tes bronches allergiques, la brûlure impitoyable du bitume qui colle tes pieds sales à tes sandales et la glu de pollution qui pique ton regard fatigué par un quotidien où tout semble pesant. Ta peau tannée par un soleil qui n’est pas ton ami pendant cette période estivale que, pourtant, tu appelles de tes vœux depuis au moins la fin du mois de janvier est là, sur toi, à clamer l’indécence de toute station prolongée dans un lieu sans ombre.

En ce temps mesquins ou Coca-cola prive d’eau des villages mexicains (c’est ), je suis étonnée que personne n’aie encore songé à taxer l’ombre. Dans un simple but de survie je vais creuser l’idée: mettre en cannettes des m3 sombres de fraîcheur, les vendre à des prix répréhensibles et privatiser dans la foulée tout ce qui peut procurer un abri du soleil. Après j’irai voir Macron, victorieuse, pour légaliser le processus. Je finirai ministre et pourrai abuser du 49.3 pendant les congés de Noël.

Mais je ne te dérange pas pendant ta sieste pour te faire part de mes projets  d’avenir, plutôt pour te proposer une fulgurance surréaliste, issue de mon exposition prolongée à des températures que mon cerveau, cette pauvre chose, n’assume plus depuis des lustres.

***

Les anneaux brûlants du serpent rouge se nouent autour de mon cou, rendant toute respiration impossible. Réduit à un sifflement asthmatique, mon souffle ténu entre et sort de ma gorge, en rappant au passage la chair à vif. Ma langue se colle à mon palet sec sans parvenir à l’humecter et l’effort nécessaire à la décoller devient de plus en plus difficile à faire. Les gouttes médicales bientôt introuvables ne parviennent pas à apaiser mes yeux, rouges depuis des semaines, et qui brûlent à chaque battement de paupière, comme si du sable s’y embusquait en permanence. Mon corps est lourd et gonflé, tout geste lui est une souffrance, tout vêtement lui est insupportable. A l’instar des quelques survivants, je vis nu, protégeant mon intimité d’un tissu lorsqu’une rencontre avec un autre humain est incontournable. Mais leur nombre s’amenuise chaque jour et bientôt toute précaution pudique sera inutile. A quoi bon se voiler devant des corps calcinés…

Seule, la femme en maillot rose semble supporter la température.
Plantée au milieu de ce qui fut la place du marché, elle harangue ce qu’il reste de vivants jour et nuit, les contraignant à subir un discours sans queue ni tête, dont le principal sujet est elle. Elle s’offre une psychothérapie au vu et au su de tous, inconsciente de la tension qu’elle génère en moi à force de débiter des âneries.
Collé à  mon canapé, sur lequel je passe la plupart de mon temps conscient, je n’entends qu’elle. Elle n’a cessé de jacasser depuis le début de cet été sans fin. 3 mois que je subis son discours incohérent où se mêlent considérations stupides sur la vie, conseils de magasines people et tentatives de réflexion basée sur des principes sectaires. Parfois, lassée d’elle-même, elle se plaint d’avoir raté sa vie et chante une mélopée Corse d’une voix de fausset. Aveugle aux gens qui s’éteignent autour d’elle, elle semble hypnotisée par le son de sa voix. Je ne sais pas comment elle se nourrit ni si elle dort.

Autour de mon cou, le serpent serre un peu plus ses anneaux.
La femme a entamé une plainte dans laquelle il sera encore question de fautes et d’erreurs.
Je suffoque, la tête me tourne. J’essaie de me concentrer sur mon souffle, de trouver aux tréfonds de moi la force de combattre les anneaux rouges. Mes oreilles se mettent à siffler, mais la voix de la femme au maillot rose est plus forte.
Je refuse de crever avec dans les oreilles, pour dernières paroles, les conneries de cette folle.
Cette perspective me donne la force de me lever, de repousser pour quelques précieuses minutes le serpent brûlant formé par l’air vicié. Il reste une balle dans le chargeur de mon beretta. Je la gardais pour empêcher la chaleur de gagner. Il me faudra trouver une autre façon d’en finir.
Pour l’instant, je dois concentrer mon résidu d’énergie sur le corps gras d’une femme mûre, sanglé dans un maillot de gamine. J’aurais dû lui dire depuis longtemps que c’est ridicule, comme tenue. Tant pis.
Je tends le bras, ajuste le tir.
Elle s’effondre avant d’avoir fini sa phrase. Il y était question d’inconscient. J’espère l’avoir aidée à le rejoindre.

Le serpent rouge m’attends dans un coin, mais il ne me fait plus peur. Je vais pouvoir profiter du silence revenu.

***

Sinon j’ai découvert, un jour où les pleurs des cieux m’ont autorisé une échappée dans la ville lumière (nous parlerons plus tard des méfaits de la pollution lumineuse), cet artiste fabuleux qu’est Alphonse Legros, dont les gravures d’une finesse hallucinante avaient échappé à mes radars.
Je kiffe grave.

Pour en finir, tout n’est pas perdu, Monsanto commence à avoir chaud aux fesses… par   si tu n’as pas suivi

L’homme 2.0, vers un super-héro du quotidien, mais en veut-on vraiment?

Lecteur-chéri-mon-soleil-de-Juillet, tu n’es pas sans avoir remarqué que c’est l’été.

L’été, saison de toutes les révélations… révélation des corps mous et blancs au sortir de l’hiver, des jambes poilues et des cheveux filasses au sortir de la piscine, des maillots de bain soudain trop petits (c’est fou comme le tissu qui les compose rétréci au lavage) et toutes ces sortes de choses qui font de la période pré-plage une succession de grands moments de solitude.
Mais depuis quelques années, l’été est aussi le moment privilégié du crétinisme de base. Le moment que choisit l’homme 2.0 pour se rappeler à nous.
Mais, me demanderas-tu, tes grands yeux pleins d’une noble envie d’apprendre, qu’est-ce donc que l’homme 2.0?
La réponse tient en quelques mots (et c’est déjà trop): « Celui qui est au cœur de son époque ». En pleine Macronmania, je te laisse te gausser.
L’homme 2.0 est avant tout un caméléon hybride de mode. Actuellement, il est barbu et ses cheveux sont bien coiffés. Sanglé dans un costume bleu foncé qui ne laisse rien ignorer de son athlétique carrure, il te toise sous ses verres juste assez fumés pour que tu voies qu’il te toise.
Il est facile à repérer: le premier à la salle de sport, il exhibe ses tatouages dépourvus de sens sur les appareils de musculation, à l’heure du déjeuner. Le soir, il roule au dessus du coude sa chemise blanche,  pour te faire admirer une vague, un lion ou un dragon, toutes choses dans lesquelles il projette ses fantasmes de lecteur de magasines qui ne dépasseront pas le 10è numéro.
Su la route, il pilote une moto ou un scooter 3 roues flambant neuf, qui a passé l’hiver bien au chaud (pendant que toi, tu endurais le froid, la pluie et les cons sur le périph au quotidien). Il est plein d’énergie, lui, il redécouvre la vitesse, il se sent grand, beau, fort. Homme avec un grand H.
A la piscine, il vient faire la promo de ses muscles bien dessinés, ceux dont tu sais à coup sûr qu’ils sont bidons (parce que s’il avait un job qui façonne son corps de naze, il n’aurait pas cette perfection huileuse). Plein d’énergie, il envahi ta ligne d’eau des éclaboussures de celui qui pense  l’avoir louée pour lui tout seul. Parce que son univers, c’est lui tout seul.
Dans le bois, il te pousse de ton parcours de footing et te laisse, seule et crachotante, dans un nuage de poussière grise, admirer son sac à dos et ses tatouages au mollet (au cas ou tu ne les aurais pas vus au bureau, à la salle de sport ou à la piscine)
L’homme 2.0 a maintenant de quoi occuper son été: les stages « survivor », au cours desquels il partira dans la forêt, sobrement vêtu, pour apprendre à s’orienter, à faire du feu (sans briquet, ni allumette, ni appli i-phone) et à se nourrir de racines et d’insectes. C’est pas des blagues et ça a l’air de marcher à fond. Même que l’épreuve la plus dure, c’est de laisser son i-phone à la maison.
Mais, mec, fait le ménage, occupe-toi d’une association, va jouer au foot avec les gamins du quartier… Heu, je sais pas moi, lis? Des livres, je veux dire…
Afin d’illustrer le propos, quelques illustrations sur les dérives d’un monde qui nous échappe et nous laisse augurer du pire pour la reproduction humaine…

Ici, le modèle de base 2017, équipé de toutes ses options.
Très diffusé. Bientôt soldé.

Là, le modèle bas de gamme, assez courant,
aussi qualifié de « futur dont on ne peut imaginer qu’il soit réel »

Pour finir, ce vers quoi on tend, si on n’arrête pas les conneries. Flippant.

Estivale promiscuité…

En été (quand la météo le permet, s’entend…) avec l’ouverture des terrasses on se retrouve facilement très (très) près de gens qui parlent très (très) fort. L’inconvénient majeur résidant dans le volume sonore et son direct comparse : l’intérêt de ce qui se trouve à la source sonore, soit ce qui est dit. Paradoxalement, l’avantage majeur réside justement dans ce qui est dit.

Exemples tirés de ma modeste expérience de la semaine :

  • Les protagonistes : un trio de personnes entre 22 et 26 ans qui ont l’air de travailler ensemble dans le restaurant à la terrasse duquel ils sont installés.
    Le sujet : la vie sexuelle (ou plutôt l’inexistence de vie sexuelle) de l’une des filles.
    L’objet du débat : un nouveau collègue au charme qui semble bouleversant.
    La conversation (dont le niveau sonore dépasse largement le nécessaire pour être audible) :
    –          Ouahhhhh… il est trop mignooooon… mais comment j’fais pour le brancher ?
    –          Ben facile : tu lui parle, tu lui dis qu’il te plaît…
    –          Oui, mais ça avec moi, ça marche jamais ! j’peux t’dire que j’ai essayé ! j’comprends pas…

Petite digression : moi je vais t’expliquer : tu es vulgaire, tu débordes  de ton slim trop court, le bleu électrique de ton haut fait ressortir tes boutons et surtout, tu as dans le regard cette infinité de vide qui laisse augurer d’une connerie abyssale. En plus de quoi tu as une voix de canard (si les canards parlaient, ils le feraient comme Donald Duck, nous sommes tous d’accord ?)

–          Ouais, mais j’te jure, je suis allée le frôler plein de fois et ça n’a rien donné
… sic… si des frôlements suffisaient, ça se saurait…
–          Nan mais vas-y carrément, c’est mieux ! (Conseil de fille, décidemment la gent féminine a bizarrement évolué)

On suivit toute une liste de considération du même bord, hautement instructives. Petit florilège :
–          J’ai trop les boules que je vois les vergetures sur mes seins ! (ma préférée ! à l’heure du dîner et devant un plateau de tapas, ça fait son petit effet…)
–          C’est comme un petit bouton au milieu de la figure : tu as l’impression que tout le monde le voit, mais y a que toi qui le vois ! (vu le tour présumé de la poitrine susnommée, je doute que ce soit « comme un petit bouton », l’image est fleurie mais sacrément inadaptée…)
–          J’fais du karaté (hahahaha !!! j’ai du mal à y croire), j’ai pas peur, j’ai l’habitude de m’battre !! (hahaha, kung-fu panda qui se prend pour Bruce Willis !)
–          Etc etc…

  •  Les protagonistes : deux jeunes femmes dont une se déplace avec une béquille et un petit chien en laisse (ce qui peut sembler périlleux).
    Le sujet : la vie sexuelle (ou plutôt l’inexistence de vie sexuelle) de l’une des filles.
    L’objet du débat : mais que faire ? (Notez au passage que si des solutions existaient, elles seraient diffusées par tous les médias existants ou en passe d’exister et feraient la fortune de leurs découvreurs)
    La conversation:

–          Viens là mon cœur, on est arrivé, tu seras bien installé ici !
…sic… elle parle au chien…
–          Ah non ! pas au soleil ! je vais faire une insolation ! (oui, mais là il s’agit du premier rayon de soleil de l’été, on peut l’apprécier, peut être… on est presque fin Juillet…)
–          Oh ! mais cette carte est pleine de viande (c’est souvent le cas dans les restaurants qui affichent « cuisine traditionnelle »)
–          Ma vie c’est n’importe quoi : je pars une semaine en vacances, seule…
–          Oui, mais ça va changer, tu vas rencontrer quelqu’un et tu pourras partir avec lui (essaye de frôler tes collègues de boulot, ça a l’air dans le vent…)
–          Pfff… tu parles… l’an dernier je suis partie avec mon père ! ça fait 5 ans que ça dure !
–          Oui, mais crois-moi, CA VA CHANGER, c’est pas possible autrement !
–          Oui, mais ça fait 15 ANS QUE J’ATTENDS QUE CA CHANGE… c’est pas normal, je ne comprends pas… oh, mon cœur, tu as chaud !  (-toujours au chien – ben là, sans vouloir sombrer dans un délire psy, j’ai un embryon d’explication… )
–          -Bon, je mangerais bien du poisson, moi, allez on s’en va, hein mon cœur ?

  •  Les protagonistes : une jeune femme maquillée comme un camion tout neuf et apprêtée comme si elle allait participer à une émission de téléréalité destinée à lui trouver un mari et un homme de 2 fois son âge, habillé à la cool et très accroché à ses lunettes de soleil (ils sont à l’ombre)
    Le sujet : la vie artistique à venir de la fille. (Mais il s’avère assez rapidement qu’il s’agit, en fait, de sa vie sexuelle en devenir…)
    L’objet du débat : comment lancer une carrière.
    La conversation:

–          Lui (sourire carnassier et chemise hors du pantalon) : tu va voir, la scène, c’est rapidement une habitude…
–          Elle (rajuste modestement sa jupe pour masquer une portion de cuisse) : oui, c’est sûr, il va falloir que je me convainque…
–          A après, avec tous les scénarios qui vont arriver, tu pourras choisir ce qui te convient le mieux (ah bon ? c’est simple comme ça ?)
–          Oui ! c’est sûr !! il va falloir que je m’adapte !! (sourire ingénu)-          Oui, c’est sûr !! mais je ne connais pour l’instant sans doute pas les bonnes personnes… (ta daaaaaa ! je t’annonce que tu viens de trouver !!)
–          Etc etc…

Un autre petit inconvénient de la promiscuité estivale m’a été révélé hier soir : lors d’un spectacle de théâtre par ailleurs très bien (« Le bourgeois gentilhomme » mis en scène par D.Podalydes), une odeur plutôt très désagréable et plutôt très reconnaissable a envahi brusquement mon environnement culturel.
Une odeur de pieds.
Impossible que ce fut moi (mes pieds savent se tenir) alors… qui était responsable du désagrément ? Un discret coup d’œil a permis de constater qu’il s’agissait de ma voisine de gauche, qui avait ôté ses chaussures et partait manifestement du principe que dans le noir, les pieds n’ont pas d’odeur. Distinction, quand tu nous tiens…

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