D’air et d’eau
Spéciale dédicace à qui se reconnaîtra…
– Ben qu’est-ce qu’il a, aujourd’hui, le p’tit?
Stanislas, sa grosse tête hors de l’eau, contemple le petit prince qui s’approche du bassin, un masque à oxygène plaqué sur le visage.
– Tu ne te souviens pas que quand il était tout petit, il avait parfois du mal à respirer? la pollution, tout ça… avec cette météo bizarre pour une fin d’hiver et la calotte grise qui nous chapeaute, ça m’étonne pas… pov’gamin… regarde, ça ne l’empêche pas de sourire, il est mignon ce petit!
Le gamin, son petit visage avalé par un masque transparent, a le regard pétillant malgré son air fatigué. Il plonge son index droit dans l’eau et dessine des ronds en manière de salut aux deux carpes. Puis il sort de sa poche un reste de pain qu’il émiette pour ses amis poissons, les observe un moment gober les petits bouts avant de s’assoir sur la margelle.
– Il est en petite forme… c’est l’air qui lui fait ça?
– Je sais pas trop, les humains ne sont pas comme nous…
– Moi, j’aime comprendre, surtout quand ça touche au gamin.
Et Stanislas agite sa queue turquoise pour se hisser au bord du bassin, sort sa tête de l’eau et la pose contre la pierre grise
– Mais ça va pas? qu’est ce que tu fous encore?
– J’expérimente, môssieur, je me rapproche de mon sujet d’observation! Je vis ce que ça fait d’être dans l’air! D’ailleurs, c’est pas plus mal d’avoir un champ de vision aérienne aussi large… ça m’ouvre l’esprit, de me sentir proche de l’humain, tu devrais essayer!
A ses côtés, le gamin s’amuse de cet inhabituel comportement de son ami écaillé. Il profite de l’occasion pour grattouiller gentiment la tête corail. Le poisson se tortille d’aise et se met à osciller sa grosse tête de gauche à droite, en poussant des grognements de joie.
– Et ça va durer longtemps? Tu n’es pas le roi de l’apnée, je te signale…
– Pffff…. la jalousie t’étouffe!
Stanislas ricane, mais dans l’air, le bruit se transforme en un grognement lugubre.
– Tu vois? Tu commences à être mal!
Têtu, le poisson a décidé de continuer à se laisser caresser le sommet du crâne. Il est content de sa proximité avec le petit prince et se contrefiche des conséquences de son exposition prolongée à l’air. Roulant des yeux satisfaits, il se laisse aller contre le bord du bassin. Assez vite, il ressent une gêne respiratoire, mais refusant d’admettre que son compagnon a raison, préfère ignorer la brûlure qu’il ressent au niveau des ouïes.
– Mais arrête, c’est bon, j’ai compris, tu t’éclates… reviens maintenant, c’est pas drôle…
Roger monte à la surface pour asticoter Stanislas, dont la queue bat mollement. L’enfant a cessé sa caresse, il se sent fatigué et préfère s’occuper à des jeux d’intérieur. Il pose un petit baiser sur la nageoire turquoise et part en chantonnant. Stanislas n’a pas bougé. Il se sent faible et préfèrerait que Roger soit occupé ailleurs pour descendre s’enfouir dans la boue, mais il se croit encore assez en forme pour faire mine que tout est normal. Quand son ami le pousse d’un coup de dos, il glisse et s’immerge en proie soudain à une terrible douleur.
– Ah bah bravo, c’est malin, tu fais un malaise, maintenant…
Trop inquiet pour engueuler la carpe inconsciente qui dérive vers le fond du bassin, Roger s’agite, créant un remous dans l’eau avec l’espoir d’oxygéner son ami. Quand Stanislas fini par ouvrir les yeux, c’est pour que son regard se pose sur la tête congestionnée par l’angoisse de Roger, dont les tâches turquoises on viré au vert sous l’effet de la panique.
– Rhahahahah, parvient à crachoter le malade pour se donner une contenance, tu te transformes en extra-terrestre, attention…
– Je n’ai pas envie de rire, tu n’écoutes rien et après tu es mal et tu m’inquiètes, tu es pire qu’un gamin…
Gêné, Stanislas essaie de dissimuler qu’il toussote avec peine.
– Méééééé, je voulais un masque, comme le p’tit…
– Tu vas l’avoir, crois moi.
Roger découpe dans les algues un triangle gluant, qu’il dispose et noue solidement autour de la tête de son compagnon.
– Arrête, tu m’oppresses!
– C’est ça, fais ta tête d’oppressé, tu ne m’inspire pas pitié… Et si tu continues, je te prive d’apéro
– Nooooon, pas l’apéroooooooooooooooo…
– Promets-moi que tu n’essaierai plus de respirer comme les mammifères
– Promis
– Promets-moi que tu seras raisonnable!
– Il fait beau aujourd’hui tu ne trouves pas?
– Très beau, promets-moi que tu seras raisonnable!
– Oh regarde! le gamin revient…
Exaspéré, Roger sert un peu plus le masque de Stanislas, qui se met à geindre.
– Promets-moi que tu seras raisonnable!
– Ayeuuuuuuuuuuuuuuuu… ça va, ça va, je promets…
– Répète après moi: « je suis un poisson, ma place est au fond du bassin »
– « Je suis un poisson qui rêve de voler »
– J’ai dit, répète après moi: »Je suis un poisson, je respire l’air de l’eau »
– « Je suis un poisson, l’eau me fait tourner la tête quand j’en absorbe trop, comme l’apéro »
Et Stanislas explose de rire, crachote et s’essouffle, la mine piteuse
– Oui, je sais, tu as raison, mais c’est pas très drôle, admets…
– Le jour où ce sera drôle d’être une carpe qui parle coincée dans un blog blanc et bleu, on sera informés, je te jure. En attendant, essaye d’être raisonnable, tu te donnes en spectacle, tout le monde te regarde… Tiens, tu devrais prendre exemple sur un confrère utile: par là
Publié le 16 mars 2019, dans Extrapolations, Roger et Stanislas, et tagué air, carpes, histoire courte, respirer. Bookmarquez ce permalien. 2 Commentaires.
C’est ça ton boulot du jour ! Atmosphère atmosphère ! Est ce que j’ai une têted’atmosphère !!!:-))
Envoyé de mon iPhone
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Heuuu… Il attend depuis dimanche dernier, je voulais pas offenseron pauvre Stanislas essoufflé 😉