Méfiez-vous des perruches voleuses de robes
Lecteur chéri-mon-gilet-arc-en-ciel, en ces temps troubles, il va sans dire que le bizarre, le surnaturel, voire l’irréel, prennent une tournure, comment dire, mystique…
Prends par exemple les perruches vertes au tour de cou rouge qui se sont installées en banlieue parisienne. Une légende urbaine veut que ce soit suite à l’accident d’un camion qui les transportait vers cages et volières et les a libérées par mégarde, d’autres sources disent qu’elles se sont enfuies des aéroports du coin. En tout état de cause, elles ont fui pour retrouver une liberté dont l’homme (et aussi la femme, hélas) voulait les priver.
Elles se sont plutôt bien adaptées. Près de 50 ans après, elles ont la taille de perroquets moyens, s’en prennent aux vergers et pillent les nids des oiseaux plus petits. Une sorte de mafia volante, jolie à regarder, pas terrible à entendre. Le problème, c’est qu’elles sont jolies. Du coup, les avoir sur son balcon fait plaisir.
J’en discutais avec Roger, l’autre jour à l’apéro (ndlr, Roger est une carpe qui parle et lit dans les pensées). Comme il est gros, il ne se sent pas en danger, mais il pense que les poissons plus petits, comme les poissons célestes de l’école d’à côté (lire ici ) doivent avoir peur de ce type de bestioles. Il craint aussi que ces oiseaux ne soient chapardeurs et portent préjudice aux autres animaux. Et là, Roger, il flippe carrément.
– Tu comprends, déjà qu’on est tous plus ou moins condamnés à disparaître vu la façon dont toi et tes congénères (là, il parlent de nous, Lecteur-chéri-ma-caille-farcie) traitez la planète. Les abeilles sont en train de crever, ce qu’il reste des papillons est parti se cacher en campagne, les coccinelles se sont mises au krav-maga pour se battre contre les frelons asiatiques… Vous, vous n’en n’avez strictement rien à faire, à part trouver des trucs bidons pour mettre des vidéos sur internet. Il ne reste que les moustiques, mais je ne les aime pas. Au sens littéral. Je les trouve trop sucrés ou trop gras, ils me donnent mal au ventre.
Là, Roger s’est tu et son regard s’est chargé de reproches.
– Tu te rends compte que c’est vous qui nous empoisonnez, en plus?
Oui, je sais. J’ai honte. Je commence à avoir du mal à regarder Roger dans ses yeux globuleux. Je me sens responsable de la montée des eaux, de la disparition de villages, de la chaleur étouffante de l’été dernier, de l’extinction des orangs-outans et de la fonte des glaces. Responsable de la détresse de l’ours polaire. Venise s’enfonce, les côtes reculent et moi… Ben moi, rien. Je trie et je recycle, mais ça, l’ours polaire il s’en bat les c… J’arrête. Si j’utilise des bouteilles de verre, est-ce que l’ours reprendra un peu de gras? Va falloir en utiliser un paquet, de bouteilles de verre…
– ça va?
– Ouaip, t’inquiète, je pensais à l’ours polaire…
– il va pas fort, le pauvre, aux dernières nouvelles, ce qui lui arrivait au dîner, c’était du saumon fumé, tellement il fait chaud. Ca le rend malade. Comme moi les mouches confites. Mais on parlait des perroquets de carnaval, les perruches immigrées qui te plaisent tant. Vous êtes compliqués, vous les humains. Vous privilégiez des critères esthétiques pour orienter vos choix. Mais figure-toi que tes critères et les miens n’ont rien à voir. Moi, par exemple, j’aime les asticots dodus et je trouve sexy les sardines. Bref. J’ai entendu dire que ces idiots verts aiment les robes à fleurs. Ca leur rappellerait leurs racines. Moi, j’comprends, par exemple, mon kiff ce sont les peintures sur rouleau de soie, mais j’en vole pas…
Là, Roger se rapproche de moi et prend un air conspirateur.
– il paraît qu’ils ont piqué des robes à la piscine. C’est facile pour eux de rentrer et de se faire passer pour des maîtres nageurs, ils ont les mêmes t-shirts. Alors ils rentrent et ils font les casiers des nageurs. Il ne prennent que des vêtements à fleurs, surtout les robes en coton.
– et qu’est-ce qu’ils en font?
– va savoir… je me suis laissé dire qu’ils ont formé une secte, ils ont appelé ça le Macramé Maudit. Avec des chaînes fabriquées à partir de pailles en plastique, ils tissent des pièges à humains. Les humains attrapés sont mis dans des cages fabriquées à base de frigos de récupération. Ils sont répartis sur les étagères, comme des poules de batterie, toi vois le message (là, Roger m’adresse un regard lourd dans lequel je me risque à distinguer un rien d’agressivité). Il paraitrait qu’ils attirent les hommes en accrochant des robes à fleurs à des branches et qu’avec le vent on dirait des jeunes femmes qui dansent. Ils auraient poussé le vice jusqu’à imiter le chant humain pour parfaire l’illusion.
– c’est dingue..
– ce qui est dingue, c’est que ça a l’air de marcher. Ils détiennent des humains quelque part sous terre, de temps en temps, ils les sortent des cages pour leur faire creuser des grottes en prévision de la fin du monde.
– pour les humains, les grottes?
Roger se marre. C’est bizarre, un poisson qui rit, ça fait des bulles qui délivrent leur son en éclatant à la surface.
– non, ma belle, qu’est-ce tu crois? Pour eux… Ils ont entendu parler d’un mec qui aurait sauvé tous les animaux du déluge en embarquant un couple de chaque sur une arche, ils veulent faire pareil. Sauf que eux, ils veulent faire payer. Si tu veux sauver ta peau, ça va te coûter.
– de l’argent?
– non, ils sont pas cons à ce point. Il faudra payer avec de l’oxygène et de l’eau potable…
La vision de perruches énormes entreposant des barils d’air et d’eau dans des grottes creusées par des prisonniers humains pour préserver la vie terrestre m’a semblé aussi insupportable qui l’idée de me retrouver à la piscine sans mes vêtements pour rentrer chez moi.
– Mais qui a les moyens parmi vous?
– Pour l’instant, à part le caniche roux, la licorne et une sorte spéciale de dindon, personne… Et encore, le dindon, ils lui ont fait un prix parce qu’il n’a pas besoin d’eau pour survivre…
– Et l’homme dans tous ça?
Le silence de Roger fut clair. L’homme n’a pas de place dans le dispositif imaginé par les perruches.
– Et si on porte des robes à fleurs?
– Là… j’dis pas… ça pourrait marcher…
J’ai quitté Roger sur ces derniers mots. J’ai filé m’acheter une robe à fleurs.
Lecteur-chéri-mon-truc-en-plumes, ton salut passera par l’air, l’eau et les fleurs. C’est important de le savoir. Méfie-toi des perruches, et par extension de tout ce qui t’attire par une beauté de surface. La beauté est enfouie à l’intérieur de la surface (j’aime assez énoncer ces conneries très développement personnel…)
Les perruches envahisseuses ne sont pas un mythe, c’est là: https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/invasion-perruches-collier-1069125.html
Publié le 14 décembre 2018, dans Capillotractions, et tagué perruche, perruches, robe à fleurs, Roger. Bookmarquez ce permalien. 5 Commentaires.
Excuse-moi si j’ai été moins assidu à lire tes derniers posts, toujours si pleins d’humour et de farfelu. J’ai été occupé par le bouclage d’un bulletin que je publie tous les 6 mois. Je te ferai quelques remarques sur tes derniers messages dès que possible. PS : Je ne savais pas que les perruches vertes avaient envahi Paris. Après les Gilets Jaunes, ça va animer l’hiver toujours un peu grisounet sur la capitale…
Hello, ami lointain
Tkt, y pas de contrat d’assiduité 😉
Au plaisir de te relire !
Toujours aussi déjanté (mais sympathiquement déjanté) ! Je te signale au passage, paragr. 2, deux petites erreurs à rectifier : Prend (ajouter un « s »); elles ont fui (pas de « t »). Amitiés et bonnes fêtes !
C’est corrigé, merci 😉
Et bonnes fêtes à toi aussi!
Ciao. Et une bise au Petit Prince…