« Génial cette fuite! on va pouvoir rencontrer les voisins »

Une des pubs les plus débiles du moment. A mon avis, bien sûr. Mais aussi très représentative d’une époque, sans doute.Il s’agit d’un assureur, tellement efficace que grâce à lui les soucis les plus ennuyeux de notre quotidien se transforment en fête. A notre époque, la vie urbaine est si anonyme qu’il faut un prétexte pour rencontrer ceux qui vivent à proximité. De préférence une raison incontournable. Une fuite d’eau, c’est incontournable.Imaginez: vous rentrez chez vous un soir, après une journée de boulot et 2h de transports en commun. Vous avez pris 30 mn pour faire quelques courses, vous avez en main des sacs fragiles et chargés à la hâte, votre courrier fraîchement récolté glisse de sous votre bras et la baguette du dîner est humide de la pluie de fin de journée. Vous êtes fatigué (e), vous avez envie de vous débarrasser de vos atours de working-man (girl), rêvez d’un bain, d’un verre de vin, d’un peu de bonne musique choisie par vous (ça inclue Patrick Juvet, pourquoi pas). Vous ôtez vos chaussures, ce qui vous procure un bref moment d’extase.Quand vous entrez dans votre cuisine, vous voyez des OFNI (objets flottants non identifiés) éparpillés dans un mélange de textures et couleurs étranges et peu ragoutant. Il vous faut quelques minutes pour réaliser que vos pieds nus dans vos chaussettes trempent dans l’eau froide de la vaisselle lancée avant de partir. Ou de la lessive, au choix. Si vous êtes comme moi, à ce moment précis vous ne voulez pas y croire ; vous envisagez que c’est un mauvais rêve, que ce n’est pas possible, que vous avez des hallucinations ou que vous êtes décidemment trop fatigué(e). Vous fermez les yeux, plein(e) d’espoir; les ré-ouvrez doucement tout en sachant au fond de vous que la probabilité d’une disparition du lac temporaire  abrité par votre cuisine est proche de zéro.Las, il faut vous rendre à l’évidence, il va falloir éponger, nettoyer et … et espérer que les dégâts se limiteront à une soirée un peu humide. Mais là, un éclair vous traverse le cerveau. Oui! Mais quelle aubaine! Si vous avez un dégât des eaux devant vous, vous tenez enfin une occasion de descendre congratuler vos voisins d’avoir votre remarquable personne au dessus de chez eux! Génial! Vous cherchiez comment manifester votre joie d’être arrivé(e) dans l’immeuble depuis plus de 2 ans et vous ne saviez comment vous y prendre… là, vos voisins, non seulement vous ouvriront sans problème leur porte, mais de plus ils ne tenteront pas de fuir le dialogue! Que d’la balle… avec un peu de chance, ils monteront d’eux-mêmes, tout à leur joie de vous rencontrer. Le temps de remettre de l’ordre dans votre cuisine puis dans votre tenue, vous vous armez de votre plus beau sourire et vous descendez d’un étage, le cœur battant, tout plein de la savoureuse envie de vous faire de nouveaux amis. Vous sonnez, la porte s’ouvre tout grand… avant même de regarder le visage de votre futur meilleur complice, vos yeux se portent sur le coin gauche du plafond, là ou l’eau a stagné toute la journée dans votre appartement. Quel soulagement de constater qu’une énorme auréole marron aux contours noirs orne le blanc pur de la peinture! Vous pouvez tourner votre regard vers le visage de votre hôte, tranquillement, sûr(e) de vous et de votre succès: vous êtes sur le point de débuter une réelle amitié…. évidemment, vous êtes reçu(e) comme un pape (heu… pas d’équivalent féminin, je crois), tambours et trompettes célestes résonnent toute la soirée et vous dînez tous ensembles dans un grand élan fraternel. Ils vous préparent même votre plat préféré, que vous dégustez sous les marques marronnasses et humides du plafond. Voilà.La vie selon les publicitaires. Les mêmes qui nous vantent les mérites de manger 5 fruits et légumes par jour, de s’habiller en pouffe ou de rouler en smart. Ceux qui veulent nous faire croire qu’il existe des crèmes rajeunissantes, du maquillage qui tient toute la journée et que grâce au hamburger notre vie sera meilleure. Bien sûr, ça part d’un bon sentiment: la rencontre dans son lieu de vie. Autrement que par l’échange de courriers anonymes (là, je suppose que vous m’ayez lue chronologiquement, c’est un piège).Imaginez la scène: vous aménagez dans un immeuble de 5 étages et souhaitez organiser une petite fête « d’arrivée dans l’immeuble ». Comment lancer les invitations? Mais c’est très simple: en faisant déborder la baignoire, en abattant un pan de mur de soutient ou en faisant un feu dans une cheminée non ramonée. Ainsi tout l’immeuble rappliquera et vous passerez tous une mémorable soirée de rencontres saines et chaleureuses…  Ce qui m’attriste, c’est que ce genre d’idée est forcément basée sur certaines formes de réalités. En l’occurrence, qu’il est de nos jours difficile d’entrer en contact avec d’autres représentants de notre belle humanité. Il faut un prétexte. Et de préférence, un prétexte béton. 

Publié le 23 novembre 2009, dans Extrapolations. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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