Archives du 12 novembre 2009
Elle n’est pas pareil à la cantine…
Elle n’est pas pareil à la cantine…
Posé comme ça, ça peut paraître une affirmation étrange. Dans une conversation aussi, remarquez. Mais je l’ai néanmoins entendue, à plusieurs reprises en plus.
Il était question d’une collègue de travail dont le comportement « au bureau » n’est pas le même que son comportement « à la cantine ». D’où « elle n’est pas pareil à la cantine ». Sous-entendu « son attitude au bureau est différente de son attitude à la cantine ».
Le comportement d’un individu et la perception qu’en ont les autres seraient donc relatif à un environnement. Me voilà plongée dans les affres d’une réflexion nocturne. Si on part du principe que l’on se présente sous un jour nouveau suivant l’endroit ou le contexte dans lequel on évolue, on peut imaginer quantité infinie de déclinaisons du concept :
– Elle n’est pas pareil dans la rue
– Elle n’est pas pareil dans les transports en commun
– Elle n’est pas pareil dans sa salle de bains
– Elle n’est pas pareil au cinéma
– …
Et pourquoi pas élargir, quitter le strict environnement :
– Elle n’est pas pareil en tenue de ski
– Elle n’est pas pareil avec les cheveux courts
– Elle n’est pas pareil quand elle chante
– …
Récemment, un groupe d’amis géologues (qui s’ils me lisent se reconnaîtront aisément) m’expliquaient ce que sont les lames minces. En substance j’en ai retenu, sans vouloir me lancer dans des explications que je ne maîtrise pas, que les lames minces sont de très très fines tranches de roches que l’on fixe sur des lamelles de verre pour les étudier au microscope.
Si on procède par analogie (certes un peu tirée par les cheveux), on peut imaginer que chacun des comportements d’un individu, lié à un endroit, un environnement social ou professionnel, etc, fait l’objet d’une lame mince. Et que c’est cet empilement de lames minces qui constitue l’individu. Qui en fait un tout plus ou moins cohérent.
En me représentant cela, je me suis mise à extrapoler l’image ; si une de ces lame induit un comportement, la superposition de plusieurs lames peut induire des mélanges de comportements ; comme si on empilait plusieurs lames sur le microscope. Une bleue sur une rouge donne une violette dont l’intensité dépend des intensités conjuguées des 2 susnommées (j’aime bien les longues phrases pleines de mots). Traduction : le comportement « à la cantine » suivi du comportement « dans les transports en commun » ne sera pas le même suivant ce qui s’est passé ou non à la cantine (un plat de pâtes à la sauce tomate renversé sur son pantalon, par exemple) et ce qui se passera ou non dans le métro (on y croise l’homme ou la femme de sa vie, on se fait houspiller par un contrôleur parce qu’on ne se tasse pas assez dans la rame, …) . Ce précepte posé, toutes les déclinaisons sont possibles.
Continuons l’extrapolation: les mélanges vont créer de nouveaux comportements ; je pense objectivement que la superposition « au bureau » et « à la cantine » donnera un résultat aux antipodes de la superposition « en tenue de plongée » suivi de « au salon de thé ». « en tenue de ski » suivi de « dans sa salle de bains »sera à 10.000 lieues de « en tenue de ski » suivi de « dans la salle d’attente du médecin ». Les combinaisons sont infinies. Et non limitées en superpositions. Donc en comportements humains.
Et l’ordre doit induire des subtilités. « Chez le dentiste » + « avant un rendez-vous amoureux » n’a rien à voir avec « avant un rendez-vous amoureux »+ « chez le dentiste ». Il faut être dangereusement psychopathe pour donner ses rendez-vous amoureux chez le dentiste. Ou il faut être dentiste (c’est pareil).
Il y a des superpositions impossibles ; par exemple « en tenue de ski » et « au bureau » ou « à la cantine » et « en vacances » (sauf pour ceux qui s’ennuient terriblement, ont un placard désespérément vide et sont adeptes de la malbouffe. Il paraît que ça existe.)
Néanmoins, il me semble impossible d’établir des règles. Tout le monde a le droit de se rendre à la cantine en tenue de plongée. Le tout est d’assumer. Le ridicule. Et les racontars. Si on commence à établir des règles, le manuel d’utilisation sera si compliqué que même Bill Gates ne s’y retrouverait pas. Pourtant il a l’entraînement.
Donc un individu serait composé d’un tas infini de lames, chacune symptomatique d’un état, et dont les mélanges génèreraient d’autres états.
Question suivante : qui décide de l’ordre d’empilement ? Y a-t-il une main céleste qui chaque matin bat les lames minces comme autant de cartes à jouer et décide ainsi de l’humeur des individus ? Ou chacun serait-il responsable de l’agencement des lames qui le composent, en en façonnant l’ordre par ses actes et pensées ?
Autre question : comment acquiert-on ses lames ? Chacun vit avec une série de lames différente, la série définissant l’unicité de son propriétaire. Comment se procurer des lames ?
En prélevant une tranche de vécu chez un autre ? le cas échéant, l’autre en perd-il le souvenir ?
En décidant de générer une lame à partir d’un vécu ? Ou sans le décider, générant ainsi des lames inconscientes, lames de fond…
Peut-on prêter une lame à quelqu’un, la récupérer, la modifier, en voler une ?
Toute la logistique de gestion des lames est-elle unique ou varie-t-elle suivant les pays, la température, la musique qui passe à la radio (imaginez un peu « à la cantine » + « sur une musique de Patrick Juvet »)
Et peut-on appréhender toute cette science des lames ? Existerait-il des personnes douées de plus de compréhension, sachant doser les intensités, reconstituer un mélange rien qu’à l’étude d’un individu, rééquilibrer un comportement en modifiant l’ordre des lames? Des médecins de lames ?
L’étude de lames me semble insondable et génératrice de questionnements infinis.
Surtout, ne souriez pas!
Ainsi donc, nous voilà parvenus en des temps ou modernité, technologie et mode technique rivalisent pour nous rendre accros à tous les moyens de communication ; nous pouvons en un clin d’œil échanger les informations les plus personnelles, accompagnées de nos photos les plus travaillées( et donc les moins représentatives de nos petite personnes à l’ego tellement dimensionné qu’il en deviendrait quasi palpable), de nos musiques favorites, jusqu’à la liste de nos innombrables amis saupoudrés partout sur le globe, amis qui trépignent d’impatience rien qu’à l’idée de connaître nos derniers points de vue sur le monde et son avancée, nos turpitudes les plus récentes ou plus basiquement notre dernier lieu de villégiature.
Oui, nous sommes tout en un et un pour tous, cruellement dépendants, réseautés jusqu’à la moelle, adeptes du toujours plus beau, plus fort, plus loin, plus vite… plus petit, moins lourd, plus performant, plus mince, plus … plus… plus ennuyeux et de surcroît virtuel, concept-fait homme dont la vie en ligne présente plus d’intérêt que la vie en vrai.
Mais … il existe encore sur cette terre une machine qui, plus forte que les autres, nous dicte une conduite à laquelle nous n’adhérons pas de notre plein gré et au joug de laquelle nous sommes néanmoins contraints régulièrement. Il s’agit du photomaton.
Et oui, je vois à travers les pixels scintillants de mon écran vos yeux écarquillés et votre sourcil droit relevé. Le photomaton. Enfin, les dernières versions du photomaton. Cette innocente machine, sujet de beaucoup d’amusements en des temps plus libéraux, est devenue à elle seule la représentation, le condensé efficace d’une époque ou liberté, libre-arbitre et droit à la pensée sont autant de concepts virtuels que trouver l’amour sur le web . Si tant est qu’il existe (l’amour, pas le web. Le web existe, je l’ai rencontré : il vit seul et isolé dans une chambre bleue au 2ème étage d’un hôtel vermoulu de Fort Dauphin, vêtu d’un pagne mordoré, ses cheveux bouclés descendant au bas du dos et il se nourri exclusivement de crèmes caramel. Il boit des mojitos aussi). Mais revenons-en au sujet qui nous préoccupe.
Aujourd’hui, si on entre dans un photomaton, pour obtenir une simple image de son faciès à des fins administratives, on se trouve immédiatement soumis à tant d’obligations que l’envie de partir en courant et en hurlant des chansons de Patrick Juvet traverse notre cerveau sans l’aide de puissants psychotropes. Et ce n’est pas peu dire.
Tout d’abord, il est formellement interdit de sourire. C’est vrai, on a déjà tant d’occasions de sourire de nos jours. Là, on peut bien faire l’effort de faire la moue. A croire que les visages moroses sont tellement monnaie courante que leur représentation sera plus fidèle triste et affligée.
Ensuite, pas de chapeau, casquette ou autre couvre-chef. Un rien d’élégance pouvant nuire. Passons
Pas de coiffures exubérantes telles que chignons, queues de cheval, bandeau… Hum, pas de sourire et les cheveux plats. Pas de lunette. Pas de bijoux voyants…
Toutes ces consignes sont répétées à satiété, par une voix monocorde (appartenant sans doute à une très lointaine cousine démédullée de l’hôtesse dont la voix faisait frémir les ados à peine pubères à une époque pas si lointaine) ; comme si, en plus d’être désireux de faire une photo moche de soi, on était ramollis du cerveau…
Et à quand la tenue obligatoire pour la photo, comme par exemple une chemise noire ou une blouse bleue ? Et pourquoi pas enlever toute forme de maquillage, porter des lunettes à monture « sécurité sociale », serrer les lèvres… façon photo anthropométrique… entrer dans un photomaton comme pour se préparer à purger une peine… quoique certaines démarches administratives en soient proches, mais ce sera pour une autre fois…
Sans vouloir plagier, j’oserai presque écrire "nous vivons une époque moderne"… mais ce serait par trop excessif…