Tout à coup, un inconnu vous offre des fleurs…

… ceux d’entre vous qui ont plus de 35 ans se souviennent sans doute de cette pub dans laquelle une jeune femme marche allègrement vers un avenir souriant, fleuri et de gauche, le pas léger et le corps libre. Soudain, surgi d’on ne sait où, un homme s’approche d’elle et lui tend un bouquet de fleurs. C’est l’effet magique de … beep … pas de pub ici.

Je ne sais pas si mon modeste lectorat compte des personnes qui se sont vues offrir des fleurs comme ça dans la rue; moi, jamais. Pourtant, j’ai imaginé maintes fois qu’un inconnu succombe à mon charme exotique et me couvre de cadeaux divers (suivant l’optimisme de la journée, des fleurs, des livres rares, un bijou, un voyage à Bali…) comme ça, librement et sans attendre quoi que ce soit en retour. Le truc dingue, digne d’un roman de science fiction. Jamais. Tout au plus un vague compliment. Et encore.

 

Ce soir, au hasard de la circulation parisienne, mon cheval de feu se trouve au même niveau qu’une auto verte, grand format, au volant de laquelle un homme me souri. Plutôt sympathique personnage, la bonne quarantaine, le genre à écouter France Culture dans les embouteillages. Pas Fun ou Skyrock.

Je suis toujours surprise quand on me sourit alors que je roule; en effet, le port du casque qui écrase le visage et transforme les cheveux dépassant en col de fausse fourrure de mauvaise qualité, sans compter le vent qui fait couler le mascara, offrent plutôt un spectacle pittoresque que séducteur. D’ailleurs, la dernière fois que des gens m’ont sourit alors que je roulais, j’avais oublié mon casque. Ils ont dû être épatés par mon esprit libre et frondeur. J’étais simplement tellement absorbée par des pensées quotidiennes et fatiguée par les mêmes que j’avais omis l’essentiel. Comme quoi, tout est question d’appréciation.

 

Donc, l’individu me sourit. Je lui retourne son sourire (ça démarre fort). Là, il se met à farfouiller dans ses affaires. Manifestement, il veut me montrer quelque chose, un plan (il est perdu), une pétition (il milite), un journal (gros titre : « la gauche est unie »); ou peut être me faire écouter son air préféré à la radio (« Où sont les femmes? »)… bref, il cherche à communiquer, sans portable, sans oueb, sans msn, sans sms. C’est très louable.

Tout en continuant à me sourire (il a l’air extrêmement réjoui), il extirpe de ce qui semble être un fameux bric à brac un petit sac en papier de pharmacie. Ah.

Que veut-il? Que je lui fasse une piqûre, là, au feu rouge? Il veut me montrer sa marque de préservatifs habituelle ? Il est malade? La grippe? C’est un sauvage, il cherche à me contaminer? Pourtant, il a l’air plutôt pacifique…

Le temps que toutes ces questions se bousculent intensément sous mon casque, il fini par extraire de son sac un … un… alors là, je sèche… un scalp? Un jouet en peluche? Une pelote de laine? Je lève un sourcil interrogateur… il perçoit mon manque de compréhension et ouvre la fenêtre, sans cesser d’agiter le « truc ».

 

Avant qu’il ne se mette à parler, j’ai identifié le trophée: il s’agit de cheveux. C’est Jason sans les Argonautes. Il a récupéré la toison d’or brune au péril de sa vie.

 

Comme je l’ai déjà évoqué dans un billet récent, le cerveau tourne rapidement parfois. Surtout le mien. Enfin, je ne sais pas pour le cerveau des autres, mais le mien, il carbure.

Avant que l’homme n’ai articulé la première syllabe, j’ai déjà supposé:

– qu’il va se déguiser pour une fête, c’est une perruque.

– qu’il est acteur, c’est sa fausse barbe.

– qu’il vient de scalper un homme politique (de préférence de droite).

– qu’il cherche un magasin de farces et attrapes.

 

Mais bon, je ne voit pas pourquoi il voudrait partager tout ça avec moi, ni pourquoi ça le mettrait tellement en joie. Il a l’air d’exulter. Ca m’amuse assez.

Et là, il me dit, en se marrant franchement « ce sont mes cheveux ! ». Dingue.

Un type se coupe les cheveux et les transporte avec lui ; je viens de tomber sur un fétichiste du cheveu. Il va peut être vouloir couper les miens, ceux qui dépassent du casque ; il est vrai que leur couleur fait des envieux. Vivement que le feu passe au vert… nan, j’rigole… Même pas peur.

Je lui conseille de les conserver précieusement, ça peut toujours servir. Il acquiesce et précise « c’est ma copine qui vient de les couper ! Avant je les avais là » (« là » accompagné d’un geste désignant le milieu de son bras et d’un très joli mouvement de tête mettant en valeur ce qu’il reste de sa gloire capillaire) ; je comprends sa liesse : moi aussi j’ai fait des expériences avec mes cheveux, et les couper a toujours représenté un moment important de ma vie. Un tournant, un changement. Normal qu’on souhaite le partager. Mais pas forcement avec des gens dans la rue.

 

Je le félicite chaleureusement, lui réitère mon conseil de les garder et le feu passe au vert, nos destinées se séparent.

 

Je dois être la seule personne au monde à qui un inconnu brandi une touffe de cheveux dans la rue. Je ne suis pas sûre que ce soit mieux ou pire que des fleurs. Mais ça a tout de même un petit effet magique.

 

 

 

 

 

Publié le 16 novembre 2009, dans Extrapolations. Bookmarquez ce permalien. 1 Commentaire.

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