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Rébellion quantique – Part 7
Roxanne participe à des opérations menées par une organisation illégale dirigée par Franck, l’Asso. Ils empêche le gouvernement d’obliger les populations les moins aisées à quitter les villes pour le 3e cercle de banlieue. Roxanne pose des bombes dans des immeubles en construction, tout en étant sûre de ne pas se faire prendre: elle est un individu quantique, dont la vie se déroule à cheval sur plusieurs réalités. Sa nouvelle mission la conduit à organiser l’enlèvement du ministre de la vie en ville, pour faire plier le gouvernement. Le kidnapping réussi, elle effectue un bond dans le temps pour échapper à ses poursuivants.
Le début se trouve par ici
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– Je n’arrive pas à y croire ! Tu fais n’importe quoi, tu mets l’Asso en danger, tu te mets en danger, sans compter ce gosse !
Comme me retrouve face à Franck qui me fixe avec fureur, je suppose La patate m’a envoyée dans un nouveau monde. Nous sommes installés comme d’habitude, à une terrasse de café, mais cette fois-ci l’ambiance est morne. Cernés par la nuit, nous sommes à peine éclairés par un étrange lampadaire aux allures de feu les lucioles, avec son haut massif équipé de caméras sphériques et son bas qui diffuse une lumière verdâtre dont je suppute qu’elle me donne une mine affreuse. La table et les chaises sont fixées au sol, les boissons (un gruau brunâtre pour moi et un verre de liquide transparent (de l’eau ?) pour Franck, n’ont rien d’engageant. Je me sens faible, les sauts rapprochés dans le temps et l’espace ne me valent rien de bon. J’ai mal au cœur, aucune envie de me faire engueuler, surtout après avoir réussi ma mission. Après tout, le ministre est capturé, c’est ce qu’il voulait, non ?
– Oui, je confirme
Je n’ai pas l’impression d’avoir parlé à voix haute. Franck s’aperçoit de mon étonnement.
– Dans ce monde, avec un peu de moyens, on peut lire les gens. Ça simplifie les rapports. Non, arrête tout de suite avec ce vocabulaire ordurier.
Dans un autre monde, il aurait ri de sa moquerie. Quelque chose de sourd en moi s’alarme et achève de me réveiller. Alors que mon regard s’arrête sur un groupe de gens a l’air éteint, je sens un poids en mouvement sur mon ventre. Je sursaute et pousse un petit cri. L’enfant. Le petit garçon affamé qui s’est jeté sur moi avant le saut. Il est toujours sur mes genoux et me fixe avec angoisse. Il tient à la main un morceau de patate et je me rends compte que mes doigts sont encore crispés sur l’assiette dans laquelle le sandwich tout fin vient de faire un saut spatio-temporel
– Je peux la manger ?
J’entends Franck prononcer la phrase la plus étrange puisse adresser à un petit enfant:
– Evite cette patate, j’ai peur qu’elle ne te fasse disparaître… Prends plutôt le sandwich. Ca va ? Tu te sens comment ?
– J’ai faim… on est où, là ? On va me rendre ma maman ?
– Ta maman est partie faire une course, on va la retrouver. En attendant, tu vas aller avec Roxanne te mettre au chaud, tu es d’accord ? Elle va te raconter une histoire, tu vas voir, Roxanne est très forte pour inventer des histoires…
Le petit a l’air content à la perspective de partir avec moi et je ne suis pas d’humeur à relever la dernière bassesse de Franck, qui reprend le cours de la conversation.
– A toi de te débrouiller avec ça. Tu as gardé la caméra ? Celle qui était derrière les cannettes ?
– Oui… elle doit toujours être dans mon sac, je la sens contre mon dos…
– Très bien. Cette caméra venant d’une époque plus ancienne, elle n’est pas détectable par les systèmes de ce monde. Tu vas pouvoir t’en servir pour filmer le ministre sans danger et on diffusera les images via un réseau crypté.
– Tu veux dire que le ministre est ici aussi ?
– Oui, il est plus vieux, mais tu vas le reconnaitre.
*
Il a bien pris vingt ans. Ses cheveux sont blancs et son visage est plus froissé que dans le monde d’avant, mais c’est lui. Quand je m’approche, la caméra à la main, je me demande s’il va me reconnaître. Je le vise et fais la mise au point. Il semble dormir. Je capture 10 secondes de son sommeil d’otage et éteins la caméra. Le petit groupe qui m’a guidée jusqu’à lui me fait signe de reculer et de parler bas.
– OK, c’est déjà ça, pas plus de 15 secondes… on va diffuser
– Vous ne voulez pas le réveiller ? Ca prouverait qu’il est en vie…
– Oui, mais plus tard, il est sous sédatif… là, on veut marquer le coup vite et de façon efficace.
Je sors la carte mémoire du boîtier et la donne à un jeune homme vêtu de noir qui manipule une série d’ordinateurs, d’écrans et de systèmes sophistiqués. Il la saisit avec avidité.
– Ah oui, quand même… on m’avait prévenu, mais je ne m’attendais pas à ça…
Pendant que je me demande en quelle année on est, il trifouille dans un tiroir et en sort divers connecteurs et câbles, finit par extraire un boitier de plastique gris sur lequel il souffle avant d’y glisser ma carte.
– On est en 2051. Ca fait plaisir de manipuler ces vieux trucs…
Je ne vais pas pouvoir m’habituer à ça, je préfère ignorer ces gens qui ont l’air de me lire à livre ouvert, d’autant que je croyais qu’il fallait des moyens pour ça, pas que tout le monde pouvait se targuer d’en être capable. Je désigne le ministre avachi sur sa chaise de bois.
– Tu parles de lui, là ?
Tout absorbé par la contemplation de la vidéo qu’il a déchargé de ma carte, il ne rit pas à mon humour décapant.
– C’est parti… Et non, je ne suis pas riche. Je suis doué en piratage, c’est tout. T’inquiète, nous ne sommes pas très nombreux ici, à lire les gens.
– Tu es sûr que ce sera intraçable ?
L’homme qui a parlé est plus âgé, il porte une tenue militaire usée et semble inquiet.
– Je nous voudrais pas qu’ils remontent jusqu’à nous… c’est notre dernière planque…
– Sois tranquille, ce truc est si obsolète qu’ils ne vont même pas comprendre comment on diffuse les images !
– Vous pouvez partir maintenant, vous reviendrez avec la caméra demain matin.
Je ne comprends pas de suite qu’il s’adresse à moi.
– Roxanne ?
– Hein ?
– Allez-y…
– Mais… je garde la caméra ? vous ne préférez pas l’avoir sous la main, au cas où…
Je préfère n’avoir aucun argument.
– Non, vous seule êtes un fantôme ici, la caméra reste avec vous. Débrouillez-vous pour la garder en état de marche et rester un fantôme.
Et il se tourne avant de quitter la pièce. Le jeune homme, ce qui ressemble à un casque audio sur les oreilles, me rend la carte mémoire et revient vers ses écrans. Je reste plantée au milieu de la salle, incapable de savoir quoi faire. A quelques mètres de moi, le ministre dort toujours, les traits empreints de la vulnérabilité conférée par le sommeil.
– Vous devriez y aller, sinon vous n’aurez pas le temps de rentrer chez vous avant le couvre-feu.
– Avant le quoi ?
– Le couvre-feu, il vous reste moins d’une heure pour regagner votre appartement… Avec un peu de chance, vous trouverez de quoi manger sur le chemin, nous n’avons rien à vous donner, désolé.
L’homme qui s’adresse à moi me tend mon sac et ma veste, ainsi qu’un rectangle de carton orange.
– C’est un ticket pour le tram. Ne l’utilisez que si vous ne pouvez pas faire autrement, nous n’avons droit qu’à un ticket tous les deux jours.
– Et celui-ci, vous l’avez eu comment ?
– C’est mon dernier…
Il sourit et me pousse gentiment vers la sortie.
– Prenez soin de vous et de la caméra, toute l’Asso compte sur vous. Merci
La porte claque et je me retrouve seule dans la rue déserte. Si je suis un fantôme, cet endroit est aussi lugubre qu’un cimetière. Je le reconnais, pourtant : dans un monde qui me semble effroyablement lointain, ce coin de rue était sur mon chemin pour aller me promener au bois. Je sais que je dois marcher 40 minutes pour rentrer à la maison. Il ne faut pas traîner. Je préférais plastiquer des immeubles et m’échapper en sautant dans le temps. Je déteste ce monde et cette histoire de kidnapping me déplait au plus haut point.
A l’aller, occupée à manipuler la caméra dans la voiture qui était venue me chercher, je n’avais pas prêté attention aux changements. A pied, j’ai tout le loisir d’observer. Là où de jolies maison de meulière aux fenêtres décorées de mosaïques et de céramiques prenaient l’air dans des jardins aux arbres élégants, de gros blocs de béton incongrus pris place. La moindre parcelle de nature a été éradiquée. Le ruban gris des trottoirs n’est brisé que de loin en loin par des blocs hérissés de pointes. Aucun espace n’est laissé libre pour se grouper, s’assoir ou converser. Des caméras semblent ausculter le moindre centimètre carré de rue. Comme je me hâte vers chez moi, je réalise à quel point le silence est pesant. Rien. Pas de véhicule, pas de piéton. Pas d’oiseau, pas même un chat errant.
Tous les six ou sept mètres, des panneaux rétro-éclairés diffusent des messages alarmants ou il est question de respecter le couvre-feu, de ne pas s’exposer à la contamination et surtout de ne pas chercher à entrer en contact avec des personnes inconnues.
La contamination ? Un frisson me parcourt le dos. Ah… et sur ce chemin, il n’y a aucun endroit pour trouver à manger… En général, l’Asso prend soin de remplir les placards, ça devrait aller. De toute façon, je n’ai pas le temps de dévier de mon trajet.
Devant moi, le buste d’une femme penchée par-dessus une rambarde secoue une nappe. Comme j’arrive à son niveau, elle me fusille du regard et referme précipitamment la fenêtre, comme si ma simple présence représentait un danger. Je me sens pestiférée. Une vibration dans ma poche, mon téléphone portable se manifeste. Sur l’écran, un message s’affiche « il vous reste moins de 15 minutes avant le couvre-feu. Si vous êtes trop loin de chez vous, prenez immédiatement contact avec les autorités et restez où vous êtes. Vous serez collecté.e et mis.e en quarantaine dans un sas de sécurité. N’opposez aucune résistance et n’essayez pas de vous dérober à la loi . Vous connaissez les risques en cas de non-obtempération ». Je ne connais pas les risques, mais je n’ai pas trop envie de les découvrir. Je hâte encore le pas, puis me mets à courir.
Quelques minutes plus tard, à l’abri de ma cuisine, je retrouve le petit garçon brun, occupé à vider avec beaucoup de concentration un paquet de biscuits qu’il enduit de pâte au chocolat, ce qui me rassure quant au remplissage de mes placards. Captivé par son activité, il ne m’a pas entendue rentrer. Je décide de mettre de côté le sujet désagréable de la contamination et de m’occuper de cet enfant d’un autre temps
– Tout va comme tu veux, petit ?
Il sursaute à peine et lève vers moi un visage barbouillé au milieu duquel se dessine un sourire radieux.
– Je vois que tu as trouvé de quoi t’occuper
Il se lève et me tend un biscuit après l’avoir tartiné de chocolat
– C’est bon ! Tu en veux ?
– Merci, c’est pas de refus
Ce gamin n’avait jamais goûté au chocolat. Je vais le laisser vider le pot, si ça lui fait plaisir. Comme nous nous asseyons sur le canapé, j’envoie valser mes chaussures à l’autre bout de la pièce.
– Je peux allumer la télé ?
– Oui, bien sûr, si tu trouves comment on fait…
J’avais essayé quelques heures plus tôt, mais n’avais réussi à mettre la main sur aucune télécommande, prise ou autre système de mise sous tension et renoncé. Le petit me jette un œil offensé et claque des doigts en disant « 2 ». L’écran scintille et, à ma grande horreur, apparaît en grand format la vidéo du ministre endormi, sous-titrée « de dangereux extrémistes menacent la vie d’un membre du gouvernement – signalez tout comportement suspect autour de vous »
– Pourquoi y a papi à la télé ?
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La suite est par là
Rébellion quantique – Part 6
Roxanne participe à des opérations menées par une organisation illégale dirigée par Franck, l’Asso. Ils empêche le gouvernement d’obliger les populations les moins aisées à quitter les villes pour le 3e cercle de banlieue. Roxanne pose des bombes dans des immeubles en construction, tout en étant sûre de ne pas se faire prendre: elle est un individu quantique, dont la vie se déroule à cheval sur plusieurs réalités. Sa nouvelle mission la conduit à organiser l’enlèvement du ministre de la vie en ville, pour faire plier le gouvernement.
Le début se trouve par ici
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Franck m’énerve, avec cette manie désagréable de me raccrocher au nez. Comme je n’ai rien de plus intelligent à faire, je sors la boîte d’œufs de mon sac, y prélève de quoi faire une omelette et me mets aux fourneaux. C’est la façon la plus étrange de préparer un kidnapping. Les œufs ont des coquilles bleues et le jaune rouge. En d’autres circonstances, cet assemblage primaire m’aurait enchantée, mais là, je trouve la plaisanterie de mauvais goût. L’odeur qui se dégage de la mixture une fois mise dans la poêle chaude est désagréable et me fait tourner la tête. Je vacille.
Je reprends conscience avec la sensation bizarre de ne pas être moi-même. Cette omelette doit avoir un rapport avec ma mission et quelque chose a dû changer en moi. Je me lève avec difficulté et, les jambes flageolantes, m’approche du miroir de l’entrée. En avançant dans l’appartement, je réalise qu’il s’agit de celui de la réalité d’avant. Je me sens stupide de penser que cette omelette serait un canal spatio-temporel qui m’a renvoyée dans le monde d’avant, mais un regard par la fenêtre me convainc que je suis revenue en arrière. Il doit y avoir une raison. A part l’omelette, je ne vois pas… Je regarde l’heure, il est 13h27. 33 minutes avant le kidnapping. Pour la première fois depuis que j’ai joint l’Asso, je vais échouer. Comme pour surligner cette offensante réalité, le visiophone couine et il ne fait pas de doute pour moi que ce sont des policiers qui viennent m’arrêter pour m’exécuter. Je n’ai même pas à appuyer sur le bouton du visiophone: les forces de l’ordre ont le droit de rentrer où elles veulent à toute heure du jour ou de la nuit. Je n’ai plus qu’à les attendre, résignée. La porte s’ouvre et j’hésite à tendre les mains pour qu’ils me menottent, mais à ma grande surprise, c’est un homme en costume élégant qui entre.
– C’est bon, tu es prête ?
Comme je ne réponds rien, il me prend par le bras et me pousse devant lui.
– Tu es encore sous tranquillisants ? Tu aurais pu faire attention, tu sais à quelle point cette cérémonie est importante pour moi…
Mais qui est ce type et que me veut-il ? Il est déjà dans la pièce d’à côté, et fouille dans un placard pour en sortir une jupe et une veste.
– Tu ne peux pas y aller comme ça, change-toi s’il te plait
13h28. Pas trop de temps pour m’interroger sur les circonstances qui m’ont amenée à me laisser dicter une façon de m’habiller. J’ai appris à faire confiance à l’Asso. Ce type doit avoir un rapport avec ma mission dans l’autre monde.
– Roxanne ? Réveille-toi, s’il te plait, nous sommes en retard pour la cérémonie. Le chantier est à 20mn, je suis l’invité d’honneur, je ne peux pas me permettre d’arriver en retard ! On dirait que ça te fait plaisir de me foutre dans la merde. Je me demande ce que je fais avec toi, tu n’es même plus journaliste…
Donc, en suivant la logique très bizarre dite « de l’omelette », je suppose que voilà le ministre de la vie en ville et que j’ai été un jour journaliste. Je ne veux surtout pas savoir comment, mais on se connait assez pour qu’il se croit autorisé à fouiller mes placards. Je crois que, sur le coup, ça m’énerve encore plus que le fait qu’il se permette d’obliger des gens à quitter les villes. 13h29. J’ai toujours à la main la poêle qui m’a servi à cuire l’omelette qui permet de changer de monde. L’homme est de dos, il tripote des sous-vêtements. Tant pis pour lui. Je m’approche en silence et lui assène un coup de poêle sur le haut du crane. Il s’effondre en silence, les doigts pleins de bas et collants que je lui ôte des mains afin de le ligoter. En quelques minutes, je l’immobilise et lui fourre une chaussette (propre) dans la bouche. Je viens de kidnapper le ministre de la vie en ville. Me restent 15 minutes pour le ramener dans le monde d’où je viens, de préférence sous les caméras. Pour la première fois, je dois voyager avec quelqu’un et vers une destination précise. Je connais assez l’Asso pour savoir qu’ils ne laissent rien au hasard.
– Franck ? C’est fait. Comment je rentre, s’il te plait ?
– Tu trouveras une poule rôtie dans le frigo. Prends-en un morceau et débrouille-toi pour que le ministre en mange aussi. Surtout, accroche-le à toi.
Vu que je suis venue du futur en mangeant des œufs, il y a une forme de logique à ce que j’y retourne en avalant une poule. En temps normal, voyager dans le temps grâce à de cuites gallinacées m’aurait amusée, mais là je trouve ça limite méprisant. J’aurais préféré du champagne… J’avale une cuisse rôtie froide, sans ketchup, et choisis un bout d’aile pour le ministre. Il a repris conscience et me regarde avec des yeux effarés. Je lui fais signe de rester calme et, comme il opine du chef, ôte la chaussette qui lui décore le sourire.
– Vous allez être bien gentil, vous allez manger ce bout de viande
– Mais enfin Roxanne, tu es devenu complètement folle ?
– Pourquoi ? Vous seriez végétarien ?
Sans attendre de réponse, je lui fourre la viande dans la bouche et attrape une de ses main. Je n’aime pas qu’on me tutoie sans me demander mon avis. 13h55. Une douce torpeur me prend. Le ministre a du mal à mâcher, mais il a l’air d’avaler un peu de viande. Je m’accroche à sa main avec force, lui plantant mes ongles dans la paume. Il couine et je m’évanoui.
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Je suis assise dans de la boue, ma main serre une chose molle et tiède, qui s’évère être celle du ministre, dont les yeux exorbités trahissent peur, incompréhension et un légère incrédulité. Il a encore dans la bouche un morceau de viande blanche, ce qui lui confère un air stupide en plus. Je le comprends, mais le moment est mal venu de s’apitoyer. A quelques mètres se trouve une estrade garnie de micros, le tout survolé par des drones. 13h58. L’enlèvement. Cette estrade doit être celle d’où il va prononcer le discours dans lequel il justifie le besoin d’éloigner de braves gens de leurs lieux de vie.
Mais je n’ai pas trop de temps pour réfléchir. Un frémissement dans la foule précède des voix qui s’élèvent et quelques personnes commencent à courir dans notre direction. Le vol des drones a changé de direction, ils seront sur nous dans une poignée de secondes. Un gémissement de désespoir se fraie un chemin entre mes amygdales. Je rassemble mes forces pour me lever et tenter de partir en courant quand des bras sortis de nulle part me soulèvent du sol et me trainent dans ce qui ressemble à un souterrain. « Accroche-toi, c’est bientôt fini ». Je m’accroche (à la main du ministre) et me laisse emmener. Nous dérivons dans un tunnel boueux, portés par plusieurs personnes. A mes pieds, un groupe tire sur les drones pendant que quelques personnes bouchent l’entrée du tunnel. On dirait que le kidnapping a été un succès.
Les bras me posent sur une chaise et une main m’oblige à lâcher le ministre. Nous nous trouvons dans un espace sombre qui s’apparente à une cave ou à un bout de souterrain. Je sens autour de moi des gens qui s’agitent et commentent, mais je ne parviens pas à les distinguer.
– Merci, vous devez repartir vite, maintenant, il ne faut surtout pas qu’on vous trouve ici, ça pourrait compromettre l’opération.
Je suis encore groggy par un double saut (au poulet) dans l’espace-temps et ces types veulent se débarrasser de moi. D’un autre côté, je préfère leur laisser gérer la situation.
– Mais vous pouvez manger et boire un peu, si vous le souhaitez, on ne sait pas où vous aller atterrir et trouver de la nourriture devient difficile.
En effet, les gens qui m’entourent ont l’air plutôt pâles et maigrichons. Une femme s’approche avec une assiette de pommes de terre et un sandwich assez fin pour qu’on puisse voir au travers. Elle est accompagnée par un petit garçon aux yeux noirs qui me regarde porter une patate à ma bouche. Son air exténué me fait pitié, il doit avoir faim pour qu’une patate bouillie lui fasse cet effet.
– Dépêchez-vous, s’il vous plait, vous nous mettez en danger.
C’est la femme qui s’est exprimée, d’une voix rude. Comme je m’exécute et commence à grignoter le tubercule, le gamin se jette sur l’assiette. Un réflexe me fait saisir la main du petit et l’attirer à moi pour le protéger du coup que va lui asséner la femme. Il tombe sur mes genoux et un cri de désespoir accompagne notre chute.
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