Rébellion quantique – Part 6

Roxanne participe à des opérations menées par une organisation illégale dirigée par Franck, l’Asso. Ils empêche le gouvernement d’obliger les populations les moins aisées à quitter les villes pour le 3e cercle de banlieue. Roxanne pose des bombes dans des immeubles en construction, tout en étant sûre de ne pas se faire prendre: elle est un individu quantique, dont la vie se déroule à cheval sur plusieurs réalités. Sa nouvelle mission la conduit à organiser l’enlèvement du ministre de la vie en ville, pour faire plier le gouvernement.

Le début se trouve par ici

*

Franck m’énerve, avec cette manie désagréable de me raccrocher au nez. Comme je n’ai rien de plus intelligent à faire, je sors la boîte d’œufs de mon sac, y prélève de quoi faire une omelette et me mets aux fourneaux. C’est la façon la plus étrange de préparer un kidnapping. Les œufs ont des coquilles bleues et le jaune rouge. En d’autres circonstances, cet assemblage primaire m’aurait enchantée, mais là, je trouve la plaisanterie de mauvais goût. L’odeur qui se dégage de la mixture une fois mise dans la poêle chaude est désagréable et me fait tourner la tête. Je vacille.

Je reprends conscience avec la sensation bizarre de ne pas être moi-même. Cette omelette doit avoir un rapport avec ma mission et quelque chose a dû changer en moi. Je me lève avec difficulté et, les jambes flageolantes, m’approche du miroir de l’entrée. En avançant dans l’appartement, je réalise qu’il s’agit de celui de la réalité d’avant. Je me sens stupide de penser que cette omelette serait un canal spatio-temporel qui m’a renvoyée dans le monde d’avant, mais un regard par la fenêtre me convainc que je suis revenue en arrière. Il doit y avoir une raison. A part l’omelette, je ne vois pas… Je regarde l’heure, il est 13h27. 33 minutes avant le kidnapping. Pour la première fois depuis que j’ai joint l’Asso, je vais échouer. Comme pour surligner cette offensante réalité, le visiophone couine et il ne fait pas de doute pour moi que ce sont des policiers qui viennent m’arrêter pour m’exécuter. Je n’ai même pas à appuyer sur le bouton du visiophone: les forces de l’ordre ont le droit de rentrer où elles veulent à toute heure du jour ou de la nuit. Je n’ai plus qu’à les attendre, résignée. La porte s’ouvre et j’hésite à tendre les mains pour qu’ils me menottent, mais à ma grande surprise, c’est un homme en costume élégant qui entre.

– C’est bon, tu es prête ?

Comme je ne réponds rien, il me prend par le bras et me pousse devant lui.

– Tu es encore sous tranquillisants ? Tu aurais pu faire attention, tu sais à quelle point cette cérémonie est importante pour moi…

Mais qui est ce type et que me veut-il ? Il est déjà dans la pièce d’à côté, et fouille dans un placard pour en sortir une jupe et une veste.

– Tu ne peux pas y aller comme ça, change-toi s’il te plait

13h28. Pas trop de temps pour m’interroger sur les circonstances qui m’ont amenée à me laisser dicter une façon de m’habiller. J’ai appris à faire confiance à l’Asso. Ce type doit avoir un rapport avec ma mission dans l’autre monde.

– Roxanne ? Réveille-toi, s’il te plait, nous sommes en retard pour la cérémonie. Le chantier est à 20mn, je suis l’invité d’honneur, je ne peux pas me permettre d’arriver en retard ! On dirait que ça te fait plaisir de me foutre dans la merde. Je me demande ce que je fais avec toi, tu n’es même plus journaliste…

Donc, en suivant la logique très bizarre dite « de l’omelette », je suppose que voilà le ministre de la vie en ville et que j’ai été un jour journaliste. Je ne veux surtout pas savoir comment, mais on se connait assez pour qu’il se croit autorisé à fouiller mes placards. Je crois que, sur le coup, ça m’énerve encore plus que le fait qu’il se permette d’obliger des gens à quitter les villes. 13h29. J’ai toujours à la main la poêle qui m’a servi à cuire l’omelette qui permet de changer de monde. L’homme est de dos, il tripote des sous-vêtements. Tant pis pour lui. Je m’approche en silence et lui assène un coup de poêle sur le haut du crane. Il s’effondre en silence, les doigts pleins de bas et collants que je lui ôte des mains afin de le ligoter. En quelques minutes, je l’immobilise et lui fourre une chaussette (propre) dans la bouche. Je viens de kidnapper le ministre de la vie en ville. Me restent 15 minutes pour le ramener dans le monde d’où je viens, de préférence sous les caméras. Pour la première fois, je dois voyager avec quelqu’un et vers une destination précise. Je connais assez l’Asso pour savoir qu’ils ne laissent rien au hasard.

– Franck ? C’est fait. Comment je rentre, s’il te plait ?
– Tu trouveras une poule rôtie dans le frigo. Prends-en un morceau et débrouille-toi pour que le ministre en mange aussi. Surtout, accroche-le à toi.

Vu que je suis venue du futur en mangeant des œufs, il y a une forme de logique à ce que j’y retourne en avalant une poule. En temps normal, voyager dans le temps grâce à de cuites gallinacées m’aurait amusée, mais là je trouve ça limite méprisant. J’aurais préféré du champagne… J’avale une cuisse rôtie froide, sans ketchup, et choisis un bout d’aile pour le ministre. Il a repris conscience et me regarde avec des yeux effarés. Je lui fais signe de rester calme et, comme il opine du chef, ôte la chaussette qui lui décore le sourire.

– Vous allez être bien gentil, vous allez manger ce bout de viande
– Mais enfin Roxanne, tu es devenu complètement folle ?
– Pourquoi ? Vous seriez végétarien ?

Sans attendre de réponse, je lui fourre la viande dans la bouche et attrape une de ses main. Je n’aime pas qu’on me tutoie sans me demander mon avis. 13h55. Une douce torpeur me prend. Le ministre a du mal à mâcher, mais il a l’air d’avaler un peu de viande. Je m’accroche à sa main avec force, lui plantant mes ongles dans la paume. Il couine et je m’évanoui.

*

Je suis assise dans de la boue, ma main serre une chose molle et tiède, qui s’évère être celle du ministre, dont les yeux exorbités trahissent peur, incompréhension et un légère incrédulité. Il a encore dans la bouche un morceau de viande blanche, ce qui lui confère un air stupide en plus. Je le comprends, mais le moment est mal venu de s’apitoyer. A quelques mètres se trouve une estrade garnie de micros, le tout survolé par des drones. 13h58. L’enlèvement. Cette estrade doit être celle d’où il va prononcer le discours dans lequel il justifie le besoin d’éloigner de braves gens de leurs lieux de vie.

Mais je n’ai pas trop de temps pour réfléchir. Un frémissement dans la foule précède des voix qui s’élèvent et quelques personnes commencent à courir dans notre direction. Le vol des drones a changé de direction, ils seront sur nous dans une poignée de secondes. Un gémissement de désespoir se fraie un chemin entre mes amygdales. Je rassemble mes forces pour me lever et tenter de partir en courant quand des bras sortis de nulle part me soulèvent du sol et me trainent dans ce qui ressemble à un souterrain. « Accroche-toi, c’est bientôt fini ». Je m’accroche (à la main du ministre) et me laisse emmener. Nous dérivons dans un tunnel boueux, portés par plusieurs personnes. A mes pieds, un groupe tire sur les drones pendant que quelques personnes bouchent l’entrée du tunnel. On dirait que le kidnapping a été un succès.

Les bras me posent sur une chaise et une main m’oblige à lâcher le ministre. Nous nous trouvons dans un espace sombre qui s’apparente à une cave ou à un bout de souterrain. Je sens autour de moi des gens qui s’agitent et commentent, mais je ne parviens pas à les distinguer.

– Merci, vous devez repartir vite, maintenant, il ne faut surtout pas qu’on vous trouve ici, ça pourrait compromettre l’opération.

Je suis encore groggy par un double saut (au poulet) dans l’espace-temps et ces types veulent se débarrasser de moi. D’un autre côté, je préfère leur laisser gérer la situation.

– Mais vous pouvez manger et boire un peu, si vous le souhaitez, on ne sait pas où vous aller atterrir et trouver de la nourriture devient difficile.

En effet, les gens qui m’entourent ont l’air plutôt pâles et maigrichons. Une femme s’approche avec une assiette de pommes de terre et un sandwich assez fin pour qu’on puisse voir au travers. Elle est accompagnée par un petit garçon aux yeux noirs qui me regarde porter une patate à ma bouche. Son air exténué me fait pitié, il doit avoir faim pour qu’une patate bouillie lui fasse cet effet.

– Dépêchez-vous, s’il vous plait, vous nous mettez en danger.

C’est la femme qui s’est exprimée, d’une voix rude. Comme je m’exécute et commence à grignoter le tubercule, le gamin se jette sur l’assiette. Un réflexe me fait saisir la main du petit et l’attirer à moi pour le protéger du coup que va lui asséner la femme. Il tombe sur mes genoux et un cri de désespoir accompagne notre chute.

*

La suite : par là

Publié le 7 mars 2020, dans histoire courte, et tagué , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 1 Commentaire.

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