Archives Mensuelles: janvier 2016
Le parisien est maso
Lecteur-Chéri-Mon-Amour, si tu es parisien et prends le métro, tu n’auras pas manqué de faire un constat édifiant. (Si tu es en province ou à l’étranger ou sur une autre planète, je te rassure le même constat va venir vers toi -au passage, si tu es d’une autre planète et me lis, je te fais ici une vibrante déclaration d’amour virtuel. Sache néanmoins que je ne suis pas représentative de la moyenne, ne t’inquiètes pas. Les autres sont beaucoup plus tordus-)
Pourquoi le métro? Par ce que c’est l’endroit par excellence où on a le temps de regarder les affiches publicitaires. Spécialement les grandes mosaïques qui présentent les spectacles en cours. Si tu es parisien mais ne prend pas le métro, tu auras aussi peut-être fait ce constat, mais pour ça, il faudrait que tu t’intéresses aux colonnes Morris. Le problème, c’est que tu as moins de temps de cerveau disponible pour t’en imprégner, vu que tu est totalement absorbé par la bordée d’insultes que tu envoies (ou reçois), le coup de fil que tu passes (ou reçois), le regard de velours que tu envoies (ou reçois) au type qui occupe la place de l’abribus que tu convoites (la place, pas le type).
Donc, le théâtre à Paris.
Si on aborde le sujet d’un point de vue statistique, c’est un tantinet effrayant. 80% des spectacles actuellement proposés aux parisiens traitent
1) des vicissitudes de la vie de couple,
2) des vicissitudes de la vie de célibataire.
Sachant que ces derniers ne visent qu’à former un couple, par transitivité on est au 1). Le reste sont des one-man/one-woman shows qui s’expriment globalement sur eux, leur vie de couple, leur vie de célibataire et parfois sur l’actualité, mais comme ça demande à être renouvelé, c’est moins fréquent. Bravo au passage à Frederick Sigrist pour son spectacle, qui m’a fait hurler de rire. Même si (je confesse) il parle un peu de sa vie de couple.
La preuve de ce que je raconte, Lecteur-Chéri-Mon-Loukoum? la voilà, aimablement fournie par un lecteur assidu, que je nommerai PTPL et qui se reconnaîtra peut-être. Sache, lecteur assidu, que grande est ma gratitude pour ce cliché pris au péril de ta vie.
C’est triste, non? La folle vie nocturne de la capitale tourne autour de la pénibilité du couple. Comme on n’oblige pas le public à aller au théâtre, on peut imaginer que le dit public aime, lorsqu’il sort le soir, s’entendre raconter son quotidien, et plonger joyeusement le nez dans sa propre merdre. Il fait même ça de son plein gré. Un peu comme si, en sortant d’une réunion de travail bien pénible, on choisissait de prendre un café pour faire un break salvateur, mais avec les participants de cette réunion, pour « debriefer ». (Si ça fait résonner des trucs chez toi, Lecteur-Chéri-Ma-Pâte-à-crêpes, c’est normal. Ca fait AUSSI partie du quotidien).
On se plaint, mais on en redemande.
Ou alors, comme c’est tout ce qu’on maîtrise et que (c’est bien connu) l’inconnu fait peur, on marine dans le connu et on se sent en sécurité. Et, je te le donne en mille, on est content d’aller, le soir, s’assoir dans une salle aux fauteuils de velours rouge, rire plus fort que tout le monde à ce qu’on voit sur scène et qui présente ce qu’on n’ose pas dire à l’autre. (« L’autre » désignant pudiquement ici le conjoint, cet être honni qui se trouve assis juste à côté de soi et qui rit aussi, pour ne pas pleurer de désespoir).
C’est un cercle vicieux: Si le public n’aimait pas, on peut supposer qu’il n’irait pas voir ces spectacles et que donc, par effet de bord, les thématiques présentées changeraient. Mais ces spectacles fleurissent et attirent de plus en plus d’incontournables vedettes, qui se font donc le vecteur de la merde, vu que le public, ce gentil chien-chien obéissant, va où on lui dit d’aller et de préférence renifler le derrière des vedettes. Qui se prélassent dans les émissions de télé et de radio, attirant par là encore plus de public avide de merdes, et de vedettes avides de succès.
Le public serait donc un maso qui aime se rouler dans la boue formée par ce que sa vie à de moins enviable? (D’un autre côté, on ne l’oblige pas non plus à lire Marc Levy et Paulo Coelho… )
Corollaire: les salles sont pleines de gens qui viennent se repaître de la merde des vedettes (qui on peut le supposer, sont comédiens, et donc ne vivent pas, eux, ces situations) avant de rentrer chez eux réfléchir à l’intrusion soudaine de l’art dans leur salon (voir leur chambre à coucher). Car oui, à ce niveau, on peut dire que l’art (si c’en est) a une vertu, thérapeutique, à l’instar de l’eucalyptus pour le koala. Cette forme d’art crée une accoutumance qui permet de s’immuniser.
Mais alors, si on veux s’immuniser contre les cons, me feras-tu remarquer, Lecteur-Chéri-Ma-Fleur-En-Sucre, toi qui penses à tout, c’est simple, il faut s’entourer de cons et de conneries?
Je te laisse seul juge de ce que tu fais de ta vie…
Sur ce, j’te bise…
Tout n’est que question de point de vue…
Lecteur-Chéri-Ma-Tartiflette, laisse moi commencer par te la souhaiter bonne. Par ce que ça se fait et parce que, toi et moi, on n’est pas des sauvages.
Maintenant que la tradition a été respectée, je propose que nous entrions dans le vif du sujet. A savoir l’angle sous lequel on se place pour réfléchir ou émettre un jugement.
Pour bien commencer l’année, laisse-moi te conter une parabole que j’appellerai « la parabole de la piscine ».
A la piscine où je me rends religieusement chaque samedi, le bassin dit « Olympique » (le saint des saints, cet endroit mystique qui fleure la testostérone et dans lequel on ne rentrer qu’en franchissant une grille -façon entrée dans l’arène- et un portillon -façon je suis un gladiateur, mais j’ai pas été assez entraîné et je vais rencontrer les lions et j’ai peur et j’ai froid et je rentre mon ventre pour faire comme si j’avais le droit d’être là et je serai mieux sous la couette quelle idée débile de venir se cailler là dedans-), bref, le bassin donc, est divisé en 3 espaces: nageurs débutants, moyens, rapides. Je passe l’espace « palmes », je ne suis pas un canard. Je te rappelle que je suis un gladiateur au corps musculeux, super-puissant, sans peur et sans reproche. J’ai été capturé alors que je devrais être roi d’un pays mystérieux où le chocolat ne fait pas grossir. Je vais me battre pour sortir de là la tête haute. Et toujours accrochée à mes épaules, si possible. Et aussi, j’ai été faire le marché et j’ai trouvé du bon poisson.
Mais je m’égare, revenons à la piscine (on peut laisser le poisson à la maison). Ce qui nous intéresse, ce sont les espaces « moyens » et « rapides ». Quand on entre dans le bassin et qu’on n’est pas débutant, il faut choisir si on se considère comme « moyen » ou comme « rapide ». Sauf que la frontière entre les 2 est floue. Si encore on faisait passer un tests d’aptitude, ce serait simple. Mais non, il est laissé au bon jugement de chacun de décider s’il est moyen ou rapide.
Laisse-moi te dire que quand tu as fait l’effort de te lever, de sortir dans le froid, de t’enfoncer un bonnet ridicule en latex sur le crâne et de patauger dans l’eau froide du pédiluve dégueu au lieu de rester au lit avec un bon bol de café, tu n’as aucune, mais aucune envie de te considérer comme « moyen ». Tu te sens déjà super-héroïque.
Pas super-érotique pour deux sous par contre. (rapport au bonnet de latex, aux lunettes de natation et à l’absence de tout artifice type « maquillage », « soutien-gorge push-up », « brushing », « chaussures à talons », etc. La piscine, c’est le jeu de la vérité)
Donc, choisir « moyen » est un déchirement. Perso, je ne peux pas. En plus, modestement, j’ai tendance à considérer que je suis plus rapide que la moyenne. Donc que le moyen, par extension. Et c’est vrai. 15 ans de tests en bassin l’ont prouvé. Je suis rapide, le samedi avant 13h30.
Si je viens en semaine à midi, il y a dans l’arène des gladiateurs super-motivés capables de me noyer d’un coup de paume bien asséné. En semaine, je ne me pose pas la question: je suis moyenne. Pourquoi? C’est là que ça devient intéressant. Je pourrais considérer que:
1 – le samedi, ayant mieux dormi, je suis plus en forme
2 – 13h30 est plus mon heure que midi
3 – la position de la planète par rapport à l’alignement des trous noirs de notre galaxie est plus propice à mon hydrodynamisme le samedi (question d’ascendant)
Alors que, bêtement, le samedi les gens qui viennent ne sont pas les mêmes qu’en semaine à l’heure du déjeuner.
Donc, le samedi à 13h30, je suis rapide, par rapport à mon système de valeurs à moi. Malgré un alignement favorable des planètes.
Au même titre que, seule visiteuse du repas de Noël de la maison de retraite du coin, je suis super-jeune. Seule dans ma salle de bain, je suis une chanteuse qui fait hurler les foules et se déchaîner la toile. Derrière mon écran d’ordinateur, je suis invincible en orthographe.
Question de point de vue ou de système de repères.
Exactement comme à l’expo « Splendeurs et misères – images de la prostitution 1850-1910 » au musée d’Orsay en ce moment.
Dans cette belle expo, il y a 2 endroits interdits aux mineurs. On s’attend à y trouver de sulfureuses images (un peu comme les trucs ridicules présentés à l’expo Jeff Koons, qui s’exhibait avec la Cicciolina en tenues d’Adam et d’Eve ). Ce sont surtout des vues assez crues « en action » dans des bordels. Devant ces images, les gens s’agglutinent et semblent prendre un certain plaisir.
Questions:
1 – Sous couvert que nous sommes dans une expo, dans le très respectable musée d’Orsay, le fait de se rincer l’œil devant des images pornos peut-il être considéré comme « acte culturel »?
2 – Tous ces spectateurs bien habillés et bien pensants auraient-ils le même sourire joyeux et la même frisure de la pensée si on leur mettait sous le nez un magazine pudiquement considéré comme « de charme » ou « masculin »?
3 – Par opposition, le gros pervers qui reluque Playboy en douce au kiosque en bas de chez moi peut-il être taxé de faire un acte de rébellion culturelle en sortant l’art des musées?
4 – Les quelques 130 ans qui nous séparent des modèles représentés à l’expo sont-ils le gage de la distanciation nécessaire?
Je ne sais pas et je dois aller dîner, donc je vais te laisser répondre tout seul comme un grand, mais j’aurais bien aimé qu’au terme de l’expo, comme ça se fait de plus en plus, un espace « faites-le vous même » soit mis à la disposition du public, pour permettre aux gens de faire eux-mêmes leurs images au bordel… en photographe, on pourrait proposer le pervers du kiosque.
En conclusion, je t’engage, Lecteur-Chéri-Ma-Biquette, à bien contextualiser ta réflexion avant d’émettre un jugement: quelle heure est-il, ai-je bien dormi, sommes-nous en semaine ou le week-end, où suis-je, qui sont les gens qui m’entourent et combien d’années se sont écoulées depuis les évènements?
Penses-y demain, à la réunion de service, lors de ton prochain RDV avec ton banquier ou ton dentiste et dimanche, lors du déjeuner en compagnie de ta belle-famille… Quoi qu’il en soit, adopte le point de vue qui fait de toi le gladiateur de ton existence (parce que, j’en suis sûre, sous tes airs « France-Inter », toi aussi, tu aimes les films de gladiateurs) …