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Flex-desk et détails
On est peu de choses, lecteur-chéri-mon-oeuf-en-chocolat
Je ne vais pas ici t’offenser en te faisant partager mon avis sur les grands évènements de l’actualité de cette semaine, déjà parce que je suis convaincue que mon avis, tu t’en fous (et tu as raison) en plus parce que des tas d’autres gens te noient de leurs avis, sans doute ô combien plus pertinents, étayés, fouillés et j’en passe, que le mien. C’est tout le but du oueb. Laisser la plèbe s’exprimer librement pour mieux l’inonder de pubs ciblées après. T’étonne pas, ma caille.
Partons sur des détails, donc. Des détails (je le jure, je le crache, si je mens j’embrasse Lucifer) de ces derniers jours.
A commencer par un groupe de 6 caille-rats (mélange audacieux d’un oiseau qui est aussi mangeable que sobriquet affectueux et de la bête ignoble qui hante les quartiers sales de ta ville, la nuit). Donc, 6 disais-je, dont 2 affalés sur mon splendide cheval de feu et les 4 autres buvant des bières autour, parlant fort et riant tout aussi fort. Mon cheval de feu ayant choisi de rester stoïque, je décidais d’en faire autant, prête pourtant à en découdre (faut pas déconner avec mon cheptel, merde). Mais l’heure avancée, la fatigue et le nombre des potentiels ennemis eurent raison de mon ire. Bien m’en a pris, et nous sous sommes quittés sur des « attention sur la route, m’dame » et « bisous ». Oui, « bisous ». Je n’ai pas les souvenir de 6 jeunes gens de bonne famille me gratifiant de « bisous » au milieu de la nuit.
A la suite de quoi, je découvre le flex-desk, cette tendance qu’ont les entreprises de parquer leurs employés dans des lieux dont le design jeune et tendance n’est qu’un mirage pour mieux déguiser le principe ultime de la négation du droit au confort au boulot. L’idée, c’est de ne plus avoir de bureau, mais plutôt un casier trop petit pour y faire rentrer autre chose que tes capsules de café et ton ordi portable. Le matin, tu es « libre » de t’installer où tu préfères, sachant que tu ne peux décemment rien préférer vu que toutes les places sont standard et minuscules, que tu seras incapable de t’isoler pour réfléchir et que tu seras, de fait, entouré de gens que tu n’as pas choisis. Et ne t’avise pas de te plaindre: si tu veux t’isoler, tu as des « bulles », mini-espaces de plexiglas dans lesquels tu pourras, au vu de tous, passer un coup de fil ou pondre le document de synthèse du siècle. Tu vois à quoi ressemble le bocal rond d’un poisson rouge? Ben la bulle, c’est pareil, sauf que tu n’as même pas la place d’y tourner en rond et que personne ne te donnera de granulés pour te nourrir. Aujourd’hui, bosser au bureau, c’est oublier qu’on est humain et devenir une entité productrice. Productrice de beaucoup de merde, soit dit au passage, mais productrice. Oublie « deviens qui tu es », pense « deviens ce qu’on te fait faire » et réfléchis à ce qu’on te fait faire.
Mais vraiment.
Genre à l’échelle universelle.
Alors? Convaincu?
Le flex-desk, ou la totale négation de l’individu. Maintenant, quand tu intègres une boîte, tu fais partie d’une masse informe et molle, qui s’exprime par anglicismes débiles et concepts masquant le manque de talent. Contraint de t’unir à ce grand tout, tu lui dédies jusqu’à tes moments de pause et une partie de tes soirées. Et on te prie d’afficher joie et épanouissement. Ce que tu produis? Si c’est important ou bien fait, quelqu’un de plus politique, mieux placé ou avec plus de relations t’en démettra sans scrupules, avant de te pousser sans ménagement vers la sortie (flex-desk=chaises musicales). Si c’est sans importance ou mal fait, de toute façon on te fera refaire et refaire jusqu’à ce que tu sois moitié cintré et quand on verra que tu as atteint le seuil dangereux du non-retour (c’est ce moment ou frapper tes collègues de travail à grands coups de clavier te semble la chose la plus saine du monde), on s’empressera de te faire faire un autre boulot tout en négligeant de se servir du précédent. L’idée, c’est que tu n’en ai plus (d’idées).
Déprimant.
Quand je pense que l’âge de la retraite ne fera plus que s’allonger, j’en ai mal au bide.
A moi Terry Gilliam et son cultissime Brazil.
Mais poursuivons ensemble sur les détails d’une semaine ordinaire.
On y croise un humoriste décapant qui m’a fait tellement rire que j’en ai perdu la voix (Frédérik Sigrist ), un chanteur rock à la voix de miel (Calexico à l’Elysée Montmartre ) et une jeune femme avec un tupperware en guise de sac à main.
Il y a une vie en dehors des open-space.
Le parisien est maso
Lecteur-Chéri-Mon-Amour, si tu es parisien et prends le métro, tu n’auras pas manqué de faire un constat édifiant. (Si tu es en province ou à l’étranger ou sur une autre planète, je te rassure le même constat va venir vers toi -au passage, si tu es d’une autre planète et me lis, je te fais ici une vibrante déclaration d’amour virtuel. Sache néanmoins que je ne suis pas représentative de la moyenne, ne t’inquiètes pas. Les autres sont beaucoup plus tordus-)
Pourquoi le métro? Par ce que c’est l’endroit par excellence où on a le temps de regarder les affiches publicitaires. Spécialement les grandes mosaïques qui présentent les spectacles en cours. Si tu es parisien mais ne prend pas le métro, tu auras aussi peut-être fait ce constat, mais pour ça, il faudrait que tu t’intéresses aux colonnes Morris. Le problème, c’est que tu as moins de temps de cerveau disponible pour t’en imprégner, vu que tu est totalement absorbé par la bordée d’insultes que tu envoies (ou reçois), le coup de fil que tu passes (ou reçois), le regard de velours que tu envoies (ou reçois) au type qui occupe la place de l’abribus que tu convoites (la place, pas le type).
Donc, le théâtre à Paris.
Si on aborde le sujet d’un point de vue statistique, c’est un tantinet effrayant. 80% des spectacles actuellement proposés aux parisiens traitent
1) des vicissitudes de la vie de couple,
2) des vicissitudes de la vie de célibataire.
Sachant que ces derniers ne visent qu’à former un couple, par transitivité on est au 1). Le reste sont des one-man/one-woman shows qui s’expriment globalement sur eux, leur vie de couple, leur vie de célibataire et parfois sur l’actualité, mais comme ça demande à être renouvelé, c’est moins fréquent. Bravo au passage à Frederick Sigrist pour son spectacle, qui m’a fait hurler de rire. Même si (je confesse) il parle un peu de sa vie de couple.
La preuve de ce que je raconte, Lecteur-Chéri-Mon-Loukoum? la voilà, aimablement fournie par un lecteur assidu, que je nommerai PTPL et qui se reconnaîtra peut-être. Sache, lecteur assidu, que grande est ma gratitude pour ce cliché pris au péril de ta vie.
C’est triste, non? La folle vie nocturne de la capitale tourne autour de la pénibilité du couple. Comme on n’oblige pas le public à aller au théâtre, on peut imaginer que le dit public aime, lorsqu’il sort le soir, s’entendre raconter son quotidien, et plonger joyeusement le nez dans sa propre merdre. Il fait même ça de son plein gré. Un peu comme si, en sortant d’une réunion de travail bien pénible, on choisissait de prendre un café pour faire un break salvateur, mais avec les participants de cette réunion, pour « debriefer ». (Si ça fait résonner des trucs chez toi, Lecteur-Chéri-Ma-Pâte-à-crêpes, c’est normal. Ca fait AUSSI partie du quotidien).
On se plaint, mais on en redemande.
Ou alors, comme c’est tout ce qu’on maîtrise et que (c’est bien connu) l’inconnu fait peur, on marine dans le connu et on se sent en sécurité. Et, je te le donne en mille, on est content d’aller, le soir, s’assoir dans une salle aux fauteuils de velours rouge, rire plus fort que tout le monde à ce qu’on voit sur scène et qui présente ce qu’on n’ose pas dire à l’autre. (« L’autre » désignant pudiquement ici le conjoint, cet être honni qui se trouve assis juste à côté de soi et qui rit aussi, pour ne pas pleurer de désespoir).
C’est un cercle vicieux: Si le public n’aimait pas, on peut supposer qu’il n’irait pas voir ces spectacles et que donc, par effet de bord, les thématiques présentées changeraient. Mais ces spectacles fleurissent et attirent de plus en plus d’incontournables vedettes, qui se font donc le vecteur de la merde, vu que le public, ce gentil chien-chien obéissant, va où on lui dit d’aller et de préférence renifler le derrière des vedettes. Qui se prélassent dans les émissions de télé et de radio, attirant par là encore plus de public avide de merdes, et de vedettes avides de succès.
Le public serait donc un maso qui aime se rouler dans la boue formée par ce que sa vie à de moins enviable? (D’un autre côté, on ne l’oblige pas non plus à lire Marc Levy et Paulo Coelho… )
Corollaire: les salles sont pleines de gens qui viennent se repaître de la merde des vedettes (qui on peut le supposer, sont comédiens, et donc ne vivent pas, eux, ces situations) avant de rentrer chez eux réfléchir à l’intrusion soudaine de l’art dans leur salon (voir leur chambre à coucher). Car oui, à ce niveau, on peut dire que l’art (si c’en est) a une vertu, thérapeutique, à l’instar de l’eucalyptus pour le koala. Cette forme d’art crée une accoutumance qui permet de s’immuniser.
Mais alors, si on veux s’immuniser contre les cons, me feras-tu remarquer, Lecteur-Chéri-Ma-Fleur-En-Sucre, toi qui penses à tout, c’est simple, il faut s’entourer de cons et de conneries?
Je te laisse seul juge de ce que tu fais de ta vie…
Sur ce, j’te bise…