Archives Mensuelles: février 2016
Le selfie tue…
Lecteur-Chéri-Ma-Choucroute, sache que tu véhicules le danger. Le danger est dans ta poche, dans ton sac, sur ta table de nuit… partout autour de toi! Enfin, surtout si, tel Narcisse, la chasse à ton image est ton sport favori. Mais le mythe l’a démontré : jamais, au grand jamais, tu ne pourras te pécho.
Et pire : ça va te conduire tout droit à la grande faucheuse, dans une ultime chute au fond de ton absurde connerie.
Prend peur, citadin porteur de perche, amateur d’autoportraits à gros pif, éphèbe au sourire plein de persil, car le selfie tue !
Certains pays prennent des mesures. En Inde, des sites sont interdits au selfie, en Russie, sur chaque selfie figure Depardieu en string à l’arrière-plan (ils sont forts ces Russes). Statistiquement, on peut dire cette année que le selfie tue plus que les requins:
http://mashable.com/2015/09/21/selfie-deaths/#cjzmTUQcGkq3
Après Jaws, jaws 2, jaws 3 , jaws 4 et même un jaws 5 italien qui a l’air de la meilleure facture, je propose donc « Screen », un film d’horreur horrifique et terrifiant, dans lequel on verrait de pauvres citoyens se faire happer par un téléphone portable géant, ivre de vengeance et d’électronique, qui les broierait afin d’alimenter ses circuits assoiffés de neurones (et donc, là je n’explique pas pourquoi il a besoin de tout tout tout plein d’amateurs de selfies…)
Dans un univers kafkaien où se côtoieraient de vieux fonctionnaires poussiéreux armés de fax, de folles jeunes filles en tutu enroulées dans de la fibre optique et de hideux ours polaires albinos parlant esperanto mais chantant en morse, notre héros évoluerait, passant de circuit imprimé géant en labyrinthes de plumes d’oies frisées, à la recherche du dictateur du mal, le grand Dark-Von-I-Faune. Lequel serait de bakélite noire et couvert de plumes de paon. De gros télex à mille-pattes déferleraient sur la ville, écrasant tout sur leur passage.
On pourrait voir des humains se tordre sous les morsures des téléphones, puis devenir fous, le cerveau vrillé par des beeps incessants qui seraient comme autant de pics à glace enfoncés dans leur boîte crânienne. D’autres pourraient se soumettre à la dictature et se convertir au phonisme, greffant des coques noires ou blanches au bout de leurs mains aux doigts rendus crochus et insensibles à force de taper sur les touches.
Il y aurait une guerre pour le contrôle des batteries, élément rare mais indispensable à la vie du grand Dark-Von-I-Faune. Les forêts seraient détruites et brûlées pour alimenter ces batteries. Les humains, réduits à être de vils esclaves, se battraient pour leurs téléphones, préférant piétiner des enfants affamés que risquer manquer une mise à jour.
Rapidement, l’eau et le pain manqueraient et seuls les êtres hybrides, mi-homme, mi-coque, le visage de forme carrée et les yeux tactiles, pourraient vivre.
Notre héros, à l’orée d’une mort atroce par ingestion forcée de claviers obsolète, serait sauvé par l’amour d’une jeune femme au corps couvert de touches dièse.
A deux, ils priveraient le grand Dark-Von-I-Faune d’électricité, le condamnant à une mort lente et exécutant devant ses yeux glauques des polkas endiablées au son du dernier titre de Kenji Jirac. Sous les cris rauques du tyran déchu, ils s’accoupleraient sauvagement, dans un final de feux d’artifice (Hitchcock a déjà fait le coup du train et je ne trouve pas mieux…)
Au générique, on dirait que Monsanto a été sacrifié pour récupérer des fonds pour produire le film. Et on demanderait à Di Caprio de défiler en peau de bête, son (futur à ce jour) Oscar à la main.
Et on prendrait soin de mettre en préambule que toute ressemblance avec des évènements ayant existé serait pure coïncidence…
En attendant ce chef d’oeuvre, Lecteur-Chéri-Mon-Amour-A-Moi, tu peux écouter ce jeune troubadour qui a le chic pour bien me faire marrer: https://www.youtube.com/watch?v=zqo28tcrHvM
Creepy fan
L’image est saisissante. Elle représente un assassinat sur fond de paysage enneigé. Une femme est sauvagement poignardée par un homme, le sang vermillon répand sa chaleur poisseuse sur la blancheur immaculée du sol.
Léger malaise.
Une voix s’élève dans la pénombre « Moi, mon rêve, c’est d’avoir cette image chez moi ! Dans ma chambre!». L’exclamation est accompagnée d’un geste vif, bras dressé, le doigt tendu vers l’image.
Gros malaise.
La voix et le bras appartiennent à mon voisin de rangée.
Je suis au cinéma, pour voir « l’oiseau au plumage de cristal » (film de Dario Argento, 1970, racontant une série de crimes commis contre de très jeunes et très belles femmes). Mon voisin, lui, est dans la vraie vie. Depuis le début, il s’adresse à l’écran, vit totalement l’intrigue et donne à tout bout de champ son avis sur les scènes. Il est flippant. Il se penche toutes les 50 secondes vers son sac à dos, glissé sous le siège, comme si le sac animé d’une vie propre allait décider d’un coup de se sauver. En plus, il porte une veste de ski. Qu’il n’a pas ôtée.
Ce type peut avoir 55 ans, il est venu avec son ami imaginaire et sa collection de DVD gores (qu’il a déballés avant le début de la séance, décrivant chaque film à son ami –imaginaire donc- avec force commentaires, puis remis dans son sac à dos, sous le siège). J’avais décidé de l’ignorer superbement, mais quand il s’est mis à s’adresser directement aux personnages, c’est devenu compliqué.
Lecteur-chéri-ma-crêpe-au-nutella, revenons en un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, et faisons comme dans les livres dont toi et moi étions les héros. (c’est fun, cette semaine)
Si tu veux le récit de mon fantasme, vas au 2. Si tu veux le récit de la réalité, va au 1. On se retrouve au 3.
1 – La réalité
J’ai hésité longtemps à lui demander de se taire, sachant que son état mental ne lui permettrait sûrement pas de comprendre le sens de ma suggestion. Et pour être parfaitement honnête, j’avais la trouille qu’il ne me suive pour me planter un couteau dans le dos, vu qu’il avait l’air de totalement mélanger fiction et réalité. Je n’avais pas super-envie d’être la preuve de l’utilité des effets spéciaux. Mais j’ai aussi une patience limitée, qui avait laaaaaargement été entamée… Je lui ai donc planté un DVD en travers de la gorge et ai piétiné son sac à dos avant de lui coller une série de baffes propres à le scalper.
Après quoi j’ai repris mon cornet de pop-corn.
2 – Mon fantasme
Gros coquin, je te vois, l’œil brillant et la bave aux lèvres, dans une expectative fébrile. Je te livre donc, tout de go, le récit de mon fantasme.
Le cri du geek a sonné le glas de son existence vile. Son geste fut le papillon de trop, entraînant le tsunami de ma vengeance. Ne pouvant en supporter plus, j’ai décidé de faire une mise en abîme du film et, dans un mouvement à la précision suisse, ample et mystique, j’ai dégainé le trousseau de clés de mon cheval de feu. La clé de l’antivol est parfaite pour une rencontre précipitée avec un globe oculaire torve. Je l’ai plantée sans réfléchir, toute à la ferveur de mon acte salvateur, dans la pupille dilatée de concupiscence de mon voisin extatique.
Sur l’écran, un dernier crime répondait au mien et l’espace d’un instant, j’ai senti le souffle chaud de la victime 2D répondre à celui, fétide, de mon voisin 3D.
Le gueux a poussé un couinement de goret et s’est affaissé sur son sac de DVD, rendant un dernier soupir gluant. Toute la salle s’est levée pour m’applaudir et j’ai été portée en triomphe dans la rue. Le cinéma m’a attribué une carte d’abonnement à vie.
3 – Ce qui amène à s’interroger sur la personnalité de certains fans.
Pour avoir récemment fréquenté la cinémathèque, je sais maintenant que c’est un lieu où se croisent des individus étranges, ni hommes ni femmes, sans forme précise, aux cheveux longs et filasses, très souvent arrimés à un sac à dos informe, le même que tu avais dans les années 80 mais que toi, tu as renié depuis des lustres. Ces êtres ont l’air vivant, même si leur teint blafard le dément. Ils portent pour vêtements un mix de tenues de sport et de ville de couleur indéfinie et parlent un langage à peine compréhensible, fait de références que même le darknet ne connaît pas.
Ils errent sans fin dans un monde parallèle aux frontières troubles, aux repères fuyants et dont la réalité n’a pas de limites.
Si la cinéphilie mène à ça, je vais reconsidérer mon intérêt pour le 7ème art…
Sur-ce, je te bise, Orson Welles m’attend.