Rébellion quantique – Part 10
Roxanne participe à des opérations menées par une organisation illégale dirigée par Franck, l’Asso. Ils empêche le gouvernement d’obliger les populations les moins aisées à quitter les villes pour le 3e cercle de banlieue. Roxanne pose des bombes dans des immeubles en construction, tout en étant sûre de ne pas se faire prendre: elle est un individu quantique, dont la vie se déroule à cheval sur plusieurs réalités. Sa nouvelle mission la conduit à organiser l’enlèvement du ministre de la vie en ville, pour faire plier le gouvernement. Le kidnapping réussi, elle effectue un bond dans le temps pour échapper à ses poursuivants. Dans sa nouvelle réalité, elle n’existe pas encore et doit profiter de son statut de fantôme pour aider l’Asso à diffuser des vidéos du ministre kidnappé. Lors de son dernier saut dans l’espace-temps, elle a emmené avec elle un petit garçon qui se révèle être le petit-fils de l’otage. Pire, elle découvre qu’elle est un agenda double-double: son « moi local » se sert de ses relations avec le ministre pour lui voler des informations utiles à l’Asso et son « moi quantique » exécute les instructions des rebelles. Alors qu’elle découvre que la mère de l’enfant la connaît dans un autre monde, elle doit préparer son prochain saut dans le temps et l’espace. Cette fois-ci, elle ne sera pas seule.
Le début se trouve par ici
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A la télé et sur les réseaux, la nouvelle tourne en boucle : un nouveau ministre de la vie en ville a été nommé, l’ancien ayant accepté de se sacrifier à l’état. Dans un état de sidération proche de la transe, je regarde défiler les images et les reportages qui montrent le nouveau ministre, fier et le sourire carnassier, prendre ses fonctions. Tout semble se passer comme si l’ancien n’avait pas existé.
Si je dois quitter ce monde, c’est sans doute que je n’y sers plus à rien.
Devant moi, sur la table basse, le colis dépêché par Franck. Pas besoin de l’ouvrir, je sais qu’il contient un portable, des plans (fournis par moi) et une heure d’intervention. A la pensée de mon « moi réel de ce monde », l’idée me traverse qu’il est peut-être en danger. Cette idée est immédiatement suivie d’une autre idée, dont je me garderai bien d’informer Franck : et si je me sauvais de ce monde en m’emmenant avec moi ? En y réfléchissant bien, il suffirait peut-être que je me place à une distance raisonnable de moi pourque nous soyons projetées dans deux réalités différentes…
« Bonjour, j’espère que vous allez croire à ce qui suit. Vos activités vous ont mise en danger. Rendez-vous ce soir, 22h30, sur le chantier de la ville identifié 39-4, placez-vous à gauche de la grue jaune sous la bâche grise, c’est un code 10-108, 10-35 *»
J’ai pris deux risques : celui de passer reconnaître le site de mon futur forfait et celui de contacter une personne étrangère à mon cercle. Maintenant, je vais me faire oublier jusqu’à ce soir.
*
Manuel a les yeux collés par le sommeil, mais il est excité comme une puce à l’idée d’enfin visiter un chantier. Je lui ai promis qu’il verrait de grosses grues et plein de camions bleu. Nous sommes sortis en prenant de multiples précautions et nous marchons en silence, en évitant toutes les zones éclairées. Le petit se tait, mais je sens qu’il a envie de m’inonder de questions et je lui sais gré de son comportement raisonnable. Il nous faut près de trois quart d’heure pour rejoindre le chantier, et quelques minutes pour trouver la brèche ménagée dans la barrière qui le protège des intrusions. Pour éviter de me croiser, j’ai préféré arriver en avance et après avoir, comme d’habitude, récupéré les charges et les avoirs déposées aux endroits stratégiques, nous sommes installés dans un coin du site d’où nous avons une vue plongeante sur la grue jaune où je me conseillé de me cacher.
– Pourquoi tu as posé des paquets dans les caves ?
– Parce qu’on me paye pour ça
– Qui te paye ?
– Franck, que tu as déjà vu
– Et ça sert à quoi ?
– Je ne sais plus, mon chéri…
– Pourquoi tu ne sais plus ?
Comment expliquer à un enfant que l’humanité est devenue déviante au point de parquer les plus pauvres, de sacrifier les plus fidèles à ses principes et de rendre la vie impossible à ceux qui lui sont soumis ?
– Et je vais bientôt voir maman ?
Ce petit n’a que des questions auxquelles je ne sais pas répondre.
– Tu veux un gâteau ?
Je me sens pitoyable et lâche, mais il a l’air content de pouvoir prendre un goûter au milieu de la nuit.
– Roxane, regarde ! il y a quelqu’un qui vient !
Mon cœur bat plus vite quand je me vois progresser lentement en direction de la grue jaune. Je me suis donc fait confiance… Je m’observe me tapir sous la bâche et attend que le calme total soit revenu avant de sortir mon téléphone de mon sac à dos.
*
Cramponnée à la petite main de mon mini-assistant, assourdie par la déflagration, je vois les bâtiments en construction trembler sur leurs bases et pencher les uns vers les autres. Les charges ont été posées de façon à ce que les murs se rejoignent avant de s’effondrer, broyant par la même occasion tout le matériel présent sur le chantier. Un (trop) bref moment de jubilation est suivi d’une explosion lumineuse vive, puis d’un étrange moment de flottement, que je n’avais encore jamais subi.
*
– Vous voulez du sucre, avec votre café ?
Devant moi, un petit déjeuner affriolant dévoile ses croissants, ses confitures et son jus de fruit sur une nappe blanche.
– Je peux avoir un chocolat au lait?
Le petit garçon a déjà pioché un pain au chocolat dans la corbeille de viennoiseries et il guette mon assentiment. Malgré un début de migraine et de nausée, je prends un croissant et encourage mon valeureux mini-ami
– Mais bien sûr, tu peux avoir tout ce qui te fait envie
Satisfait, le gamin retourne à sa concentration culinaire et le serveur à sa cuisine.
– Tu es contente de toi ?
Franck est assis devant une sobre tasse de thé, j’ai l’impression qu’il a un peu rajeuni, mais je n’en mettrais pas ma main à couper.
– Vu l’endroit, je suppose que tu es content de moi…
– Tu nous as foutus un sacré bordel, Roxane, nous avons dû te renvoyer dans le passé, à une période où…
– Continue, le petit est de confiance…
Le regard torve que Franck me lance ne m’impressionne pas. Pour une fois, j’assume à fond de leur avoir désobéi. Je n’allais pas me laisser crever, tout de même.
– Je sais. D’ailleurs, ici il va pouvoir retourner avec sa maman.
Manuel laisse en suspension sa viennoiserie rendue spongieuse par le chocolat au lait.
– Maman ? elle est où ?
– Retourne-toi mon chéri…
En miroir avec le garçonnet, j’opère une rotation du bassin et me retrouve face à une femme au sourire fatigué que j’ai l’impression diffuse de connaître.
– Bonjour, je m’appelle Inès.
La voix.
Cette femme, Inès, la mère de Manuel et ma soi-disant amie est la voix.
– Dans cette … réalité… nous ne nous connaissons pas encore et … – elle s’interrompt pour serrer contre elle le petit garçon qui s’est blotti entre ses bras – et…
– … Et le petit n’est pas né.
La voix de Franck s’est adoucie.
– Nous n’avions pas d’autre solution. Désolé.
– Pourquoi es-tu désolé ?
– Ici, tu es recherchée pour meurtre…
– Hein ? Mais…
– Roxane, tu n’aurais jamais dû prévenir la Roxane de l’autre monde… Elle a atterri dans un passé proche, en pleine crise contre le gouvernement, s’est engagée dans un groupe de résistants différent du nôtre et a profité de son statut de « fantôme » pour assassiner le président… depuis, les rebelles la considèrent comme leur leader et tous les mercenaires du pays la traquent. Ici, tu es un leader rebelle et tu es traquée.
– Tu veux dire que je me suis projetée dans le passé, avant ce passé-ci… Et que nous sommes toujours deux dans le même monde…
– Entre autres, mais ce n’est pas le pire…
– Je vois pas comment ça pourrait être pire…
– Dans ce monde, tu existais déjà….
Je vais m’évanouir.
– Roxane viens avec moi, je vais t’expliquer. Nous sommes dans un hôtel et j’y ai une chambre.
Inès me prend la main avec douceur et je la suis vers l’escalier.
*
*10-108 = « officier en danger », 10-35= « confidentiel »
La suite se trouve au bout de cette phrase: là
Publié le 17 avril 2020, dans histoire courte, et tagué kidnapping, rébellion, surveillance, urbanisation, urbanisation sauvage. Bookmarquez ce permalien. 1 Commentaire.
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