Accident de manège

Un cri d’angoisse déchire la nuit.
Il est suivi d’autres.
Des cris de peur. Des cris qui vrillent le cerveau.
Les silence se fait instantanément. Il n’a pas le choix.
Les manèges, petits trains, tirs à la carabine, se figent.
Les gens sont immobiles, ils osent à peine respirer.
Seul le grand huit continue de fonctionner.
Mais pas normalement. Le train avance à grande vitesse, puis stoppe, puis recule, puis accélère en arrière, puis stoppe, tout ça dans le plus grand désordre. A bord des wagonnets, les gens hurlent. Au sol, les autres gens les fixent, impuissants. Certains, ceux qui ont de la famille ou des amis qui gémissent dans les airs, veulent agir. Ils ne peuvent pas. Leurs bras ballants semblent peser des tonnes d’inutilité. Ils ne perçoivent que les battements de leurs cœurs fous et les sons inhumains venus du ciel.
Au sol, dans la cabine de contrôle de l’attraction, deux hommes se battent. Un grand blond suant, vêtu d’un débardeur fatigué, et un gros brun impassible, dont les bottes vernies reflètent les guirlandes lumineuses devenues obscènes. Insensibles à la détresse des passagers du train, il se battent pour le contrôle. Quand l’un repousse l’autre, il se jette sur le levier qui dirige le petit train et lui intime un ordre. Et le petit train d’obéir. Avance! Le train avance. Plus vite! Le train s’exécute, docile, insensible aux cris. Sourd à la terreur. Puis, c’est l’autre homme qui reprend le contrôle. Et l’ordre est contraire: recule! Le train s’immobilise brusquement, projetant les gens vers l’avant, puis repart dans l’autre sens. Plus vite! Il recule encore plus vite, aveugle aux passagers terrifiés qui s’accrochent avec l’énergie du désespoir. Mais les deux hommes s’en balancent. Ce qui leur importe, c’est de prouver leur force.
Au sol, les gens se concertent, ils voudraient bien forcer les deux hommes à arrêter… Ils essayent d’abord les paroles apaisantes. Stupide. Les deux fous ne les entendent même pas. Alors les gens prennent peur. Personne n’a le courage du risque. La scène devient ubuesque: à côté de la foule des gens au sol qui se concertent, la cabine résonne de coups. Et le grand huit reflète la puissance de la bagarre. Les passagers du trains se mettent à vomir. Certains commencent à sortir des wagons, indifférents au danger. Tout, plutôt que de subir. Ils sont plusieurs au bord de la chute. Mais même ça, les deux combattants ne le voient pas. Seule compte l’issue: la prise de contrôle.
Alors, les gens se mettent à filmer, à diffuser. Les spectateurs impuissants se multiplient. Les conseils affluent. Une solution émerge: il y a bien un autre bouton, un gros rouge. Si on appuie dessus, on stoppe tout. Mais les dégâts seront importants. Les gens au sol peuvent se trouver blessés. Le bouton rouge est la dernière extrémité. Les gens au sol préfèrent se convaincre qu’on n’en est pas encore là.
De toute façon, ils commencent à s’habituer aux cris.
Bientôt, ils s’habitueront aux passagers qui s’écrasent au sol pour en finir. L’homme ne vole pas. C’est une vérité. Ça pourrait même être la phrase du jour, si je n’avais déjà mis « si les cons étaient fluorescents, c’est la terre qui éclairerait le soleil ». Jean Yann, tu me manques.
Dans la cabine, la bataille s’intensifie. Les deux hommes ne savent sans doute plus pourquoi la prise de contrôle est si importante. C’est devenu un enjeu personnel. Le train doit aller où ils décident.
Les passagers sont résignés. Seuls les enfants continuent de crier. Seuls les enfants ont encore une once d’espoir.

Et c’est la catastrophe. Un wagonnet chute. Une pièce s’en détache et vole. Vers le bouton rouge. Le gros. Celui de la fin.
Explosion.
Les deux hommes sont écrasés par le grand huit qui s’effondre.
Le silence se fait d’autorité.
Il n’y a plus rien. Plus de gens, ni au sol, ni dans les airs. Seulement des petits tas de poussière. Le destin de tout un chacun, si on en croit la légende.

Un téléphone vulgaire fonctionne toujours. Il diffuse, imperturbable. Le reste du monde a vu la fin.
Mais le reste du monde est toujours là, scotché à l’écran (et en sécurité sur son canapé Ikea), il fait face au rien.
De ce rien, le reste du monde espère tirer des leçons.

Les gens sont cons.

Lecteur-Chéri-Mon-Verre-de-Bordeaux, si ça te rappelle quelque chose, tu as raison…

 

Publié le 11 septembre 2017, dans Extrapolations, et tagué . Bookmarquez ce permalien. 1 Commentaire.

  1. Merci pour ce magnifique texte, rempli d’émotions et de situations dont on ne parle que trop peu. Nous sommes vraiment cons… il faut de tout pour faire un monde !

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