Archives Mensuelles: avril 2010

Mercredi 21 Avril, concert de Lou Reed à la Cigale.

Un évènement mythique, une de mes salles préférées. De quoi faire des bonds de joie et d’impatience 10 jours à l’avance.  

Hum, comment décrire le choc… un peu comme si Marilyn Monroe, encore parmis nous, avait tourné dans un porno bas de gamme à l’âge de 70 ans.  Pas cool. 

 Dès l’entrée de la Cigale, un bruit de fond assez insupportable vrille les tympans. Un peu comme quand on se trouve sur un aéroport, très près des réacteurs d’un avion sur le point de décoller. Un vieil avion. 

Tout d’abord, on croit à une erreur, un réglage en cours, un ampli déréglé. Donc on se rend docilement à sa place. Dans la salle, le bruit est à la limite du supportable. On s’installe tout de même, imaginant que ça ne va pas (ne peut pas) durer. On est content d’être là, la salle est jolie, le public est tranquille et dans l’expectative d’un moment d’anthologie. 

  

L’insupportable bruit perdure. Même en enfonçant ses doigts dans les oreilles à en remonter aux coudes, il commence à faire résonner le cerveau.  

Soudainement apparaissent 3 personnes. Un peu comme des techniciens qui font la balance, look cheveux gras et vêtement mous. Soulagée, je m’attends à une décroissance du bruit et (soyons fous) à un début de concert.  

Donc, relâchement momentané, voir endormissement précoce malgré le bruit, torpeur supra-sonique, cerveau en sinusoïde 6 dimensions, sens retournés. J’en fini même par me demander si ce n’est pas voulu. Un genre de tentative pour atteindre une transe musicale, une préparation subtile du cortex, une mise en condition des récepteurs sensoriels…  

Un accès de lucidité illumine l’état de torpeur ennuyeuse dans lequel je me suis enfermée pour échapper au bruit: le saxo s’agite convulsivement devant les micros… alors… mais, est-ce possible? …. ça signifie que le concert à commencé… enfin « concert », faut le dire vite… on passe du vieil avion au ban de baleines en rut agitées après le passage d’un élégant requin-costard-à-paillettes…  

Le saxo s’agite frénétiquement et Lou Reed fait des gestes cabalistiques au dessus de son synthé, comme pour l’apprivoiser, lui faire sortir des sons audibles. Sans effet. le 3ème larron (on ne peut décemment pas parler de « musiciens ») porte quelque chose qui ressemble furieusement à un casque anti-bruit; ça aurait dû me sauter aux yeux plus tôt, mais comment imaginer, sans avoir abusé de psychotropes puissants, un musicien sur scène porter un casque anti-bruit. Ou alors on était sur un aéroport, en plein nuage de cendres…  

Impossible de distinguer un début ou un fin de « morceau », les agressions auditives percent les tympans et aucun rythme ne transparait. Pour la première fois de ma vie, je vois les gens quitter la salle moins de 45mn après le début du spectacle… passé 45 mn, je ne sais pas ce qui s’est produit, les discordances ont eu raison des plus sensés d’entre nous et la soirée s’est terminée… au bar le plus proche…  

   

Conclusion: avant de prendre des places de concert, interroge le oueb, lui te dira… avant d’accepter une invitation, interroge le oueb, il sait…  

   

   

   

   

Bon voisinage…

J’ai  déjà eu ici l’occasion de m’exprimer au sujet des mœurs très spéciales de mes voisins de résidence.
Du genre à déposer dans les boîtes aux lettres des mots anonymes à la force assez peu commune. Et de se tromper de boîte. Des gens classieux, quoi…
Hier, j’ai eu une fois de plus la preuve que le voisin d’immeuble est une race à part, avec ses mœurs, ses coutumes et sa vision de la vie. Selon une habitude qui m’est chère, je pars approximativement à l’heure à laquelle je devrais être à mi-chemin de mon rendez-vous. Un peu comme si j’avais  un pouvoir sur le temps, mais uniquement chez moi. Chez moi, les minutes passent moins vite et j’en profite pour faire mille choses indispensables  (comme me limer les ongles, cirer des chaussures ou arroser les plantes) plutôt que de partir à l’heure. C’est une espèce de pouvoir divin que j’ai : celui de disposer du grand sablier, celui qui régit le temps chez moi. Mais je travaille à en disposer aussi à l’extérieur.
Comme tout ces gens qui considèrent ne pas être en retard tant que l’heure H n’est pas atteinte, indépendamment du lieu où ils se trouvent à l’heure H moins quelques minutes, je reste parfaitement détendue jusqu’au moment ou je me décide à enfiler mes chaussures. C’est le start. Tant que les chaussures sont vides de mes pieds, le temps est sous mon contrôle. Une fois les chaussures enfilées… grosse cavalcade vers le parking souterrain…
Pour sortir du parking, il est nécessaire de posséder le sésame ultime, l’accessoire indispensable à tous les heureux utilisateurs de parkings un tant soit peu modernes : j’ai nommé le « beep ». « Beep » au sens clé électronique, pas « beep » au sens « je masque un gros mot ».
D’humeur joueuse, mon challenge quotidien est de dégainer le beep (sans savoir à l’avance dans quelle poche ou dans quel sac il fait sa vie) d’une main et suffisamment tôt pour que la porte du parking s’ouvre sans que j’ai à mettre les pieds au sol. En conséquence de quoi, je garde en général un œil sur la porte (je fais ça depuis que j’ai testé le choc frontal avec une porte de garage pas totalement ouverte: c’est la porte qui gagne) et un œil sur les loupiotes rouges du beep, supposées clignoter pour signaler leur activité.
Hier, tout était réuni pour que ma sortie de garage soit altière et gracieuse, mon écharpe orange devait flotter élégamment à mon cou, soulignant par là mon casque orange (parfaitement assorti) à la visière crânement remontée sur mes lunettes de soleil Ralph Lauren (rien ne peut laisser imaginer que ce sont des lunettes de vue). Donc sortie soignée, tout sous contrôle.
Sauf que, dans ma résidence, les gens sont des névrosés du beep. Ils constituent une secte secrète, créée pour faire perdurer la gloire du film « le code a changé ». Des malades mentaux du changement de code, de clefs d’accès, de digicode qui ne reconnaît personne, de l’interphone qui a son langage personnel. Des gens qui aiment se mettre des obstacles pour rentrer et/ou sortir de chez eux. Des maniaques du parcours du combattant. Il doit y avoir dans cette résidence des peoples incognito, un ancien président, une star du foot ou Patrick Juvet. Quelqu’un qui a besoin d’être impossible à atteindre. 
En bref, mon fidèle destrier s’est vu freiné dans sa course pour un laquais malpoli qui lui a refusé l’ouverture des portes : le beep.
 Malgracieux.
Je peste devant la porte irrémédiablement close. Quand ce type d’incident se produit aux heures de pointe, ça permet de rencontrer ses voisins les plus gracieux, ceux qui sont occupés, ont une vie active normale, pas de temps à perdre et sont naturellement portés par un élan de solidarité de bon voisinage. A l’inverse, quand ce type d’incident se produit à midi, en semaine, qui croise-t-on ? Les voisins aigris qui n’ont rien à faire de la journée, qui passent 3 h au local poubelle à vérifier que le tri est fait par tous, qui arpentent les couloirs à la recherche de la trace de boue diffamatoire, qui surveillent la moindre goutte d’eau tombée du balcon du haut sur leur précieuse terrasse et traquent le linge imprudemment laissé à sécher dehors.
Mais ça, bien évidemment, naïf et innocent comme le têtard qui vient de sortir de son œuf, on ne s’en souvient jamais.
Alors, à ma question « bonjour, le code à changé, pouvez-vous m’ouvrir s’il vous plait ? », quand je m’entends répondre « non » articulé très clairement et très sèchement, je crois à une joyeuse plaisanterie, à une voisine espiègle qui veut faire rire ses petits enfants, voir à une erreur d’interprétation. Comme si j’avais demandé « le code à changé, voulez-vous faire un peu de lap-dance burlesque pour fêter ça ? ». « Vous plaisantez ? » réussis-je à articuler d’une voix ou perce sans doute tellement  de stupéfaction que la dame recule légèrement. Elle a cru, avec toute la dangerosité représentée par un individu casqué cherchant à sortir de son propre parking avec un beep, que j’allais lui foncer dessus et la réduire au misérable petit tas de charpie qu’elle mérite d’être. Mais la peur fut fugace. « Non ». Sitôt suivi du surréaliste «vous avez eu l’info dans votre boîte à lettre ». Répété deux fois au vu de mes protestations. On confine au sublime.
Pas de temps à perdre à essayer d’expliquer que tout un chacun ne gère pas sa boîte à lettre comme si cette dernière recelait des trésors fantastiques.
L’espace d’un instant, j’ai eu très envie de descendre lui montrer mon casque de près et lui expliquer ma théorie des chocs frontaux, mais ce n’eut pas été très charitable.
J’étais en train d’imaginer les pires châtiments à lui infliger, à coups de boîtes à lettres couverte de super glue, de beep hurleur, de porte de parking coincée sur son véhicule, de balcon arrosé d’eau bleue ou de courrier fantômes proposant des soirées torrides avec le président du syndic en string, sur fond musical de Didier Barbelivien, quand la porte s’est providentiellement ouverte.
Une vieille dame  faisait des essais. Merci madame. Dans un auguste panache de fumée bleutée, je suis partie en entendant prononcer au loin « mais je vous aurais ouvert » (quoi, j’ai donc l’air si menaçant ?).
Sans doute bientôt vont être votées des cellules photoélectriques qui permettront de contrôler l’ouverture régulière des boîtes aux lettres. Moi, je proposerai que l’on organise des votes pour choisir les nouveaux venus dans la résidence. Et je serai la seule à posséder le droit de vote.  

de l’amitié ouebienne

Ce n’est pas la première fois que je clamerai ici mon indignation profonde face à l’ingérence des moyens de communication dans nos vies privées.  Entre les appels répétés de SFR, EDF, des banques sans compter tous les démarcheurs téléphoniques qui n’hésitent pas à se montrer harcelants, j’hésite maintenant à laisser mon téléphone en mode « vie ». Il est moins envahissant en mode « sommeil », voir totalement éteint. Internet n’est pas en reste, décidant de nos amis, nous suggérant avec insistance quoi acheter, lire, voir…  La présence simultanée et permanente de ces 2 médias prend actuellement une forme de vie parallèle, permettant la connexion en temps réel de nos petites vies ordinaires avec celles des autres, tout aussi ordinaires, pour nous faire croire a un monde magique et lumineux dans lequel tout est possible, rapide et facile.

A notre portée, des dizaines de milliers d’amis, de prétendants, tous plus formidables les uns que les autres, des fêtes, soirées, sorties, évènements culturels, le moyen d’échanger sur tout ce qui traverse notre quotidien, notre esprit, vide notre porte-monnaie et nous rend toujours plus accros, dépendants, englués à la toile.  Tout ça a déjà été dit, mais il est toujours soulageant d’en remettre une couche… Nan, je n’aime pas naviguer le long des méandreux fils collants du oueb, nan, je ne crois pas y rencontrer qui que ce soit de transcendant et nan, je n’aime pas que l’on décide pour moi de ce que je dois faire, lire, penser. Je ne supporte pas l’idée que l’intégralité de mon carnet d’adresse, dans lequel gravitent des personnes oubliées, perdues de vue, sans intérêt voire totalement inconnues soit soudain jeté à l’assaut du réseau comme étant une réserve réelle de mes contacts ou amis. M’octroyer le droit de communiquer temporairement avec des individus virtuels ne fait pas de moi une plaque tournante de la camaraderie mondiale. Et un logiciel stupide qui se targue de me faire accéder au nirvana de la rencontre amoureuse n’a en aucun cas besoin de piocher dans mes souterraines communications pour surfer sur la vague de tous les contacts ainsi exhumés.

D’autant plus que ces logiciels ont une surprenante vision des relations humaines.

A croire qu’ils sont dotés d’une forme d’intelligence dépravée, artificielle autant que virtuelle et dont les réactions échappent aux concepteurs malades qui en sont à l’origine. Pour preuve ce surprenant message délivré par Facebook (encore et toujours lui, à croire que ce serpent infini qui enroule ses anneaux en tous endroits de la toile possède une vie propre et évolue à sa façon dans des dimensions inconnues). Il peut arriver, au click sur une photo plaisante, que le système de l’amitié infinie s’enraye et nous délivre un oracle inattendu. Le message dit « Désolé, cet utilisateur a déjà trop d’amis ». Whaaaaa…

 

Déjà, on passe du statut d’humain sympathique, amical et bon camarade à celui, moins attachant, d’ « utilisateur ».

Premier clivage : homme-machine.
L’être humain qui évolue sous une forme virtuelle plus ou moins ressemblante à sa forme réelle est un utilisateur. Il utilise donc, non seulement une machine, qui lui permet d’évoluer dans le monde chiffré qu’il affectionne, mais aussi un logiciel. (Perversion ultime, ce logiciel a été mis au point par d’autres humains.). Il utilise ce logiciel pour se donner une forme plus adéquate, un tempérament plus en rapport avec ses fantasmes et une image souvent plus flatteuse. Les outils connexes comme l’appareil photo numérique et le clavier lui permettent de gérer seul et sans risques son clone idéalisé. Fastoche.
(Le oueb est l’endroit au monde ou l’on rencontre le plus de camarades potentiels à l’ouverture d’esprit illimitée, à la curiosité insatiable et à la gaité permanente. C’est absolument fascinant.)

Mais la machinerie veille ; elle ne nous laisse pas errer ainsi dans l’insouciance et la légèreté. Il faut, par moments, qu’elle nous rappelle ce que nous sommes vraiment : des utilisateurs ; terme poli pour définir une réalité encore plus prosaïque : des consommateurs de vie virtuelle.

Oups.

Et la machine, froide et redoutable dans sa logique, peut se permettre de juger : elle décide donc de ce qu’est un ami. Et de quand un nombre raisonnable d’amis est atteint.

Second clivage : l’ami dans le concept humain – l’ami dans le concept ouebien.
Pour un humain normalement constitué, un ami est un être vivant avec lequel on noue des relations privilégiées, en qui l’on a totale confiance, qui est présent à tout moment et pour qui on est soit même présent. En général, les amis sont précieux et  rendus rares par la force des sentiments qui nous unissent à eux.
Pour un être virtuel, un ami est une adresse mail assortie d’une photo (quand on est verni), auprès duquel on se manifeste à coups de clicks et qui répond de la même façon. Il peut y avoir, ou non, des connexions entre monde virtuel et réel. En effet, quelqu’un qui a une forte tendance au click et qui passe du temps à surfer  peut se targuer d’avoir plusieurs centaines d’amis sans jamais en rencontrer un seul dans sa vraie vie ; affligeant.

Dans l’univers virtuel, machiavélique et coûteux en temps, on peut donc faire des rencontres faciles et enrichir son carnet d’adresses sans même y penser. Mais l’implacable serpent au toucher de clavier et à tête plate veille, tapi dans l’ombre de la toile. Il refait surface, brusque et sans pitié et tranche dans le vif au moment ou l’on s’y attend le moins, pour nous empêcher de poursuivre la farandole effrénée de l’amitié. Le serpent gère des compteurs, pas des nuances. Une fois le chiffre fatidique atteint, il faut prendre ses responsabilités : doit-on se contenter des amis collectés et cesser d’en chercher de nouveaux ou va-t-on se mettre à éliminer d’anciens amis pour faire de la place aux nouveaux ?… Doit-on se laisser guider par un système de comptage, comment assumer ses choix, qui peut-on froidement dégager… comment filtrer, trier, différencier ces amis binaires qui submergent nos écrans ?

La machine imagine-t-elle une seconde le désarroi ressenti lorsque l’on découvre, au détour d’un chemin fleuri, que l’on est plus l’ami de cette adresse mail ? Que l’on n’est  plus connu par cette photo au profil souriant ? à quand la cellule de soutien psychologique pour ceux qui ont perdu des amis ouebiens?

Peut-on espérer raisonnablement acquérir un jour le statut de grand manitou des compteurs amicaux ?

A quand un traité des relations ouebiennes et virtuelles, un manuel de politesse binaire, un guide du monde entoilé ?