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Living in a no-world

Lecteur-chéri-ma-girole, c’est la rentrée, c’est l’automne, c’est le retour de la pluie et la saison des manifs et des impôts locaux. Pas de quoi se réjouir. Laisse-moi te raconter une incursion dans le monde d’aujourd’hui, dont j’ai, il est vrai, été déconnectée quelques temps…

Jour de rentrée

Je n’avais pas prévu le ring de l’horreur, cette bande de route glauque qui passe sous le quartier d’affaires. Un souterrain miteux et puant, à moitié en travaux, au tiers occupé par des bus dont le moteur tourne pour maintenir une température (intérieure) tenable , le peu d’espace restant pour circuler, saturé de véhicules dans lesquels des gens s’énervent. Je suffoque autant par manque d’oxygène que par stress d’arriver en retard. Le risque majeur, dans ce genre de situation, c’est de prendre le mauvais embranchement et de se retrouver à devoir refaire un tour de manège infernal. Sans pouvoir décrocher le pompon (de toute façon, qui a envie de gagner un tour gratuit ?). Je sens la pollution se mêler à mon maquillage et maculer le col de ma chemise claire, mais je reste de marbre (enfin, j’essaie). L’embranchement en vue, j’active ma boussole intérieure, cassée depuis que je suis gauchère. Je décide de ne pas la croire et file sur une voie qui d’un côté est bordée d’entrepôts à la sordidité proche d’un discours d’extrême-droite et de l’autre d’interdictions diverses. Sans le ciel au dessus de ma tête, je suis incapable de me repérer. Je ne comprends rien aux indications. La circulation est trop rapide pour je fasse un point topo.

Détectant de la vie dans un aquarium surmonté d’un panneau « Parking », je me renseigne auprès de l’autochtone, qui se fout de mon problème d’orientation autant que de la préservation de la planète. Je décide de jeter mon cheval de feu sur un espace miraculeusement vide et de faire des incantations pour éviter qu’il soit enlevé dans la journée.

Dehors, je me trouve cernée d’immeubles dont la caractéristique majeure est ne pas avoir de numéro. A la question « pouvez-vous m’indiquer où se trouve le 10 ? », la réponse est « Non ». Les gens qui bossent ici se contentent de connaitre leur chemin.
Une fois sur place, je n’ai pas de badge pour entrer (le Graal étant un badge pour entrer, sortir, déjeuner et imprimer). Les services généraux, qui doivent me le procurer, sont au 10è étage, aile A. Un gardien au regard lourd de reproches me laisse passer.

Tous les étages, toutes les ailes, sont identiques. Je me perds. Les ascenseurs automatiques s’arrêtent où ils veulent et s’ouvrent quand ils veulent. Je ne sais plus où je suis. Seul un fou dangereux a pu inventer ce site. Je décide de circuler à pied. Mais les ailes ne communiquent pas, il faut monter, traverser des couloirs, redescendre, retraverser d’autres couloirs, remonter… J’ai l’impression d’être un rat de laboratoire dans un labyrinthe.

Je finis par arriver au 10A. Pour obtenir le badge salvateur, il faut un numéro. Numéro qui m’a été envoyé par e-mail, à une adresse interne. Donc il me faut un ordinateur pour lire le mail et retourner chercher le badge. Mais sans badge, impossible de rallier l’endroit où on peut me procurer un ordinateur, à savoir étage 7, aile C.

Il me faut un ordinateur.

Je me faufile derrière des gens qui ont des badges. Je monte, traverse des couloirs, redescends, retraverse d’autres couloirs, remonte… tout ça collé à des inconnus qui me regardent sévèrement.
J’obtiens un ordinateur, grâce auquel j’accède à mon numéro.
Je dois remonter au 10e. Ma gorge commence à se serrer. Je m’assieds sur une marche de l’escalier de service , 8e étage, pour lutter contre l’envie de partir en courant. J’ai besoin de ce job. Je rallie le 10e, obtiens mon badge.

Il me faut maintenant un bureau. On me dit qu’il y a 8 bureaux pour 10 personnes, que je dois en trouver un libre. Mais qu’il est tard. Que ce sera compliqué. J’en ai marre de trimballer toutes mes affaires, il me faut un casier pour les poser le temps de trouver un bureau.

J’en trouve un, mais pour en faire fonctionner le cadenas, il faut un mode d’emploi, que je trouverai dans le kit d’accueil, qui me sera remis au 9è. Aile B.

Je vais m’enfermer dans les toilettes pour pleurer d’énervement et taper sur le mur.

Je remonte, fais tout le tour des 4 ailes avant d’arriver. Récupère un kit dans lequel je trouve le mode d’emploi promis et une gourde en plastique. Ici, on respecte la planète. Pas les employés. Je redescends, dégotte un casier, y stocke mes affaires.
Par chance, un bureau est resté vacant. La table est surélevée et personne ne sait comment la baisser. Je vais commencer par travailler debout. J’ouvre le capot de l’ordinateur, un papier s’en échappe. J’ai faim. Je décide d’aller à la cantine et pose le papier sur la table.

La cantine grouille de monde, impossible d’approcher les salades. Il faut compter 25mn pour faire son choix et atteindre la caisse. Mais mon badge ne me permet pas de régler. Ça me coupe l’appétit. Je vais chercher un café. Le café est gratuit, mais il faut un mug. Tous les mugs sont sales ou au lave-vaisselle. Pas de gobelet, ici on respecte la planète.

Je remonte à mon ordinateur, trouve comment faire descendre la table, trouve une chaise, regarde le papier. Il faut que je le remette au service informatique, c’est une décharge que je dois signer pour l’ordinateur.

Il me faut un stylo.

Retour aux moyens généraux. Pas de stylo, mais les fournitures sont à disposition dans des distributeurs. Je mets 27 minutes pour localiser le distributeur. Ces couloirs identiques me donnent le tournis.

Je n’ai pas le bon badge pour avoir des fournitures.

Je retourne à mon bureau, trouve une punaise, ma perfore le doigt et signe la décharge de mon sang. La vue du sang (du mien, surtout) me fait tourner la tête et me rappelle que je n’ai pas déjeuné. Il est 15h30. Je choisis de braver l’interdit et de sortir en quête de nourriture.
Je dois marcher 15mn pour trouver un sandwich que tout le monde a dédaigné et je sais, à sa simple vue, qu’il va me rendre malade. Je rentre avec mon sandwich, payé une fortune. Je trouve l’endroit réservé aux pauses. Canapés, lits, hamacs… mais tout ça est bien en vue, de façon à ce que chaque personne qui passe puisse noter qui à la faiblesse de se reposer. Je n’ose pas m’installer et mâchouille mon sandwich entre l’aile A du bâtiment 8 et l’aile C du bâtiment 7, où m’attend mon bureau.

Ce jour là, j’ai réussi l’exploit de travailler 1h et 10 mn, de récupérer mon scooter exempt de PV et de rentrer chez moi en 1h…

Flex-desk et détails

On est peu de choses, lecteur-chéri-mon-oeuf-en-chocolat
Je ne vais pas ici t’offenser en te faisant partager mon avis sur les grands évènements de l’actualité de cette semaine, déjà parce que je suis convaincue que mon avis, tu t’en fous (et tu as raison) en plus parce que des tas d’autres gens te noient de leurs avis, sans doute ô combien plus pertinents, étayés, fouillés et j’en passe, que le mien. C’est tout le but du oueb. Laisser la plèbe s’exprimer librement pour mieux l’inonder de pubs ciblées après. T’étonne pas, ma caille.
Partons sur des détails, donc. Des détails (je le jure, je le crache, si je mens j’embrasse Lucifer) de ces derniers jours.
A commencer par un groupe de 6 caille-rats (mélange audacieux d’un oiseau qui est aussi mangeable que sobriquet affectueux et de la bête ignoble qui hante les quartiers sales de ta ville, la nuit). Donc, 6 disais-je, dont 2 affalés sur mon splendide cheval de feu et les 4 autres buvant des bières autour, parlant fort et riant tout aussi fort. Mon cheval de feu ayant choisi de rester stoïque, je décidais d’en faire autant, prête pourtant à en découdre (faut pas déconner avec mon cheptel, merde). Mais l’heure avancée, la fatigue et le nombre des potentiels ennemis eurent raison de mon ire. Bien m’en a pris, et nous sous sommes quittés sur des « attention sur la route, m’dame » et « bisous ». Oui, « bisous ». Je n’ai pas les souvenir de 6 jeunes gens de bonne famille me gratifiant de « bisous » au milieu de la nuit.
A la suite de quoi, je découvre le flex-desk, cette tendance qu’ont les entreprises de parquer leurs employés dans des lieux dont le design jeune et tendance n’est qu’un mirage pour mieux déguiser le principe ultime de la négation du droit au confort au boulot. L’idée, c’est de ne plus avoir de bureau, mais plutôt un casier trop petit pour y faire rentrer autre chose que tes capsules de café et ton ordi portable. Le matin, tu es « libre » de t’installer où tu préfères, sachant que tu ne peux décemment rien préférer vu que toutes les places sont standard et minuscules, que tu seras incapable de t’isoler pour réfléchir et que tu seras, de fait, entouré de gens que tu n’as pas choisis. Et ne t’avise pas de te plaindre: si tu veux t’isoler, tu as des « bulles », mini-espaces de plexiglas dans lesquels tu pourras, au vu de tous, passer un coup de fil ou pondre le document de synthèse du siècle. Tu vois à quoi ressemble le bocal rond d’un poisson rouge? Ben la bulle, c’est pareil, sauf que tu n’as même pas la place d’y tourner en rond et que personne ne te donnera de granulés pour te nourrir. Aujourd’hui, bosser au bureau, c’est oublier qu’on est humain et devenir une entité productrice. Productrice de beaucoup de merde, soit dit au passage, mais productrice. Oublie « deviens qui tu es », pense « deviens ce qu’on te fait faire » et réfléchis à ce qu’on te fait faire.
Mais vraiment.
Genre à l’échelle universelle.
Alors? Convaincu?
Le flex-desk, ou la totale négation de l’individu. Maintenant, quand tu intègres une boîte, tu fais partie d’une masse informe et molle, qui s’exprime par anglicismes débiles et concepts masquant le manque de talent. Contraint de t’unir à ce grand tout, tu lui dédies jusqu’à tes moments de pause et une partie de tes soirées. Et on te prie d’afficher joie et épanouissement. Ce que tu produis? Si c’est important ou bien fait, quelqu’un de plus politique, mieux placé ou avec plus de relations t’en démettra sans scrupules, avant de te pousser sans ménagement vers la sortie (flex-desk=chaises musicales). Si c’est sans importance ou mal fait, de toute façon on te fera refaire et refaire jusqu’à ce que tu sois  moitié cintré et quand on verra que tu as atteint le seuil dangereux du non-retour (c’est ce moment ou frapper tes collègues de travail à grands coups de clavier te semble la chose la plus saine du monde), on s’empressera de te faire faire un autre boulot tout en négligeant de se servir du précédent. L’idée, c’est que tu n’en ai plus (d’idées).
Déprimant.
Quand je pense que l’âge de la retraite ne fera plus que s’allonger, j’en ai mal au bide.
A moi Terry Gilliam et son cultissime Brazil.
Mais poursuivons ensemble sur les détails d’une semaine ordinaire.
On y croise un humoriste décapant qui m’a fait tellement rire que j’en ai perdu la voix (Frédérik Sigrist ), un chanteur rock à la voix de miel (Calexico à l’Elysée Montmartre )  et une jeune femme avec un tupperware en guise de sac à main.
Il y a une vie en dehors des open-space.