Archives de Catégorie: La fée pétasse

La guerre du feu

Un froissement d’ailes, l’éclat de paillettes bleues.

– Dégage, Ivresse, il est encore tôt…

Le gros ange prend un air offensé et fronce le nez.

– Quel accueil… depuis le temps, je pensais que tu serais contente de me voir…
– T’as raison, excuse-moi… Tu es tout seul ?
– Oubli[1] va arriver, il avait un rêve à terminer. Quoi de neuf ?
– J’en ai marre d’avoir froid.
– Tu peux préciser ?
– Figure-toi qu’en février dernier, j’ai décidé de changer mes radiateurs.
– Il était temps,  ça faisait quoi… deux ans ?
– Trois… on ne fait pas toujours ce qu’on veut… mais cet hiver, coincée à la maison, j’ai vécu l’extinction définitive de la dernière source de chauffage fiable de cet appartement.
– Tu veux dire, à part le four?
– C’est ça. Au passage, on ne peut pas se chauffer avec un four, ni avec un fer à repasser d’ailleurs… et je n’avais pas le temps d’apprendre à frotter des silex ou des bouts de bois.
– Ah. J’ai toujours du mal à vous comprendre, vous autres humains. Pour nous, la source de chaleur unique ce sont les flammes de l’enfer et je te jure qu’on évite d’y aller. Mais continue.
– Donc, en février, je profite d’un creux entre deux réunions en visio pour chercher des radiateurs. Tu connais mon goût immodéré pour tout ce qui est technique… C’est un autre monde, le bricolage, et ce monde me rejette. Je le fais bref : j’ai dû prendre une journée de congés pour me rendre au magasin en dehors de la cohue du week-end. Et là… tu visualises la boîte de Pandore ?
– Un peu, je te rappelle qu’on y passe souvent, depuis quelque temps…
– Ah oui, pardon… bon, ente autres maux, elle contient aussi « boîte vocale qui raccroche », « horaires à la con », « incohérence » et « incompétence »
– Si ce n’était que ça, mais on en parlera à un autre moment, là je sens que tu as besoin de t’exprimer.
– Tu m’étonnes ! Après plus d’un an à parler via mon ordinateur, ta présence est une fête !
– C’est pour ça que j’ai gardé mes paillettes…
– Merci, tu mets…
– … C’est bon, laisse tomber Kevin…
– Et donc, dans ma quête de chauffage, une fois ouverte la boîte des maux, le parcours du combattant a commencé. Etonnement le choix du matériel a été rapide. Mais dès qu’il a été question de faire intervenir un facteur humain, ça s’est corsé.

Ivresse s’est posé dans le canapé et a étalé autour de ses cuisses replètes le tulle de sa tenue de gala. Avec son maquillage coulant, ses cheveux bouclés plaqués sur son front et ses ailes abîmées, il m’a donné l’impression d’avoir plus besoin de dormir que d’écouter l’histoire de ma guerre du feu
– Ça va vieux ? On peut discuter plus tard, si tu veux te reposer ?

D’un geste empreint d’une noblesse décalée, il a décliné mon offre et je me suis sentie autorisée à continuer à me plaindre.
– J’ai découvert les beautés du process débridé sans aucun garde-fou : dans le magasin, ils en ont pondu un qui impose à un type débordé de boulot de passer chez toi pour valider que le type tout aussi débordé de boulot du magasin t’as bien conseillé. Ce qui fait la particularité de ce type, appelons-le T2, c’est qu’il n’a pas 10mn à consacrer à la visite avant au moins 3 semaines.
– Donc 3 semaines après, T2 vient confirmer que T1 avait vu juste ?
– C’est ça. On est en mars, il fait 18° et les sous mis de côté pour les radiateurs ont été convertis depuis longtemps…
– Je vois, Oubli est passé par là…
– Maintenant que tu m’y fais penser…

Un éclair rouge et le frou-frou de plumes veloutées, synchronisés à la perfection avec mon récit, interrompent la réflexion qui prenait forme.
– Si on ne peut plus rigoler un peu, qu’est-ce qu’on devient ?
– Oubli !
– Lui-même pour vous servir… je me disais d’ailleurs à propose de servir…
– Non, laisse tomber, va plutôt t’assoir avec Ivresse et écoute la fin de cette palpitante histoire
– Avec plaisir…

J’ai face à moi les deux anges, rondouillards et rigolards malgré leurs traits tirés et l’état de fatigue de leurs tenues. Leurs gloussements et les trémoussements qui les agitent me font réaliser à quel point ils m’avaient manqué. Les pauvres vieux n’ont pas dû s’amuser des masses, avec ce confinement interminable…
– Vous restez, après, les amis ? C’est un long week-end et les bars sont encore fermés…
– A vos ordres, princesse.
– On en était à T2…
– T2 valide T1 en 6 minutes chrono. Au passage, ces 6 minutes ont demandé 3 semaines d’attente et pas loin de 150 appels, dont 149 vers une infâme boîte vocale, et 15 mails, dont 13 tombés en spams, pour organiser sa venue… Donc T2 confirme qu’il peut m’envoyer T3 pour réaliser le travail. Mais avant ça, il faut que je reprenne une demi-journée pour aller payer au magasin et prendre rendez-vous avec T3.
– Et ?
– Aller au magasin et payer, c‘est facile. En revanche, pour la prise de rendez-vous… T4, la personne qui gère les rendez-vous n’est disponible qu’à mi-temps… et il est tout seul à répondre au téléphone. 47 appels pour l’avoir, la première fois. Il m’a fallu 2 semaines pour obtenir le rendez-vous… J’ai compté une moyenne de 35 appels par jour, dont 33 à la boîte vocale du magasin. J’ai découvert qu’on peut très bien insulter dans le vide un téléphone sans se lasser. On arrive même à inventer de nouveaux petits noms très fleuris, vous voulez des exemples ?
– C’est bon, on voit… T3 a fini par venir ?
– T3 est venu. Mais avant, il a fallu réceptionner les radiateurs, qui bien sûr ont été expédiés à la mauvaise adresse.
– Ca t’apprendra a avoir une adresse professionnelle. Donc T3 ?
– Il n’a fait que la moitié du boulot. Après avoir joué à faire péter le compteur électrique pendant 30 mn, il a décrété que l’un des radiateurs était naze, qu’il fallait qu’il revienne pour trouer le mur et réhabiliter mon installation électrique avant de pouvoir continuer.
– Sympa.
– Pour être honnête, l’idée m’a traversée de l’envoyer voir s’il était capable de voler du 8è étage, mais j’avais besoin de lui pour la suite…. Je veux dire, pour le nouveau rendez-vous… celui avec le bon matériel.
– Toujours 35 appels quotidiens de moyenne ?
– 32. Les nerfs vrillés, la larme nerveuse au coin de l’œil au son de la musique d’accueil et les doigts broyant mon téléphone, dont l’écran duquel n’a plus depuis tout son intégrité d’écran. Ah, et un changement de radiateur au passage. A la bonne adresse ce coup-ci. Après quoi, c’est T5 qui s’est pointé, encore deux semaines plus tard, pour finir.
– Tu devais être contente de le voir arriver. Et pourquoi T5 ?
– Contrairement à T3, T5 n’avait pas trop envie de percer les murs de ses clients. Ça encourage à la confiance. Ma joie a été de courte durée. Il a tout de suite vu que le problème venait des disjoncteurs. Heureusement, il a fait les tests avant de défoncer mon mur…
– Ah ? mais à quoi a servi la visite de T2 ?
– A ce stade, je ne me suis pas posé la question, je voulais EN FINIR. Le seul avantage, c’est qu’au passage j’avais glané les coordonnées de T2 et que T4 ne me servait donc plus à rien. Je gagnais au moins 150 appels à la boîte vocale.
– Mais aujourd’hui, on est en mai, c’est réglé, non ?
– On en mai, il gèle et non, ce n’est pas réglé, j’attends T5 la semaine prochaine.
– Et tu te sens comment ?
– Tu vois Gengis Khan ?
– « un conquérant impitoyable et sanguinaire », oui je vois…
– C’est mon état d’esprit, mais en pire.
Je vais dissoudre T3 dans le poison de ma colère,
Quant à T2 et T4, je prévois de les faire cuire
de façon à calmer la faim de mon ire.
En espérant que ce sera ma folie dernière,
Dans la conclusion de cette galère

– Tu parles en vers ? C’est nouveau ?
Ivresse a l’œil qui frise à l’idée que ma sobriété n’était qu’une couverture.

– Ca me semblait approprié. On fait l’apéro ?

T5 est venu et a finalisé l’intervention. Il aura fallu plus de trois mois pour un service vendu « en 2 semaines », 257 appels téléphoniques, 35 mails, 2 demi-journées de congé et des kilos de bonbons haribo en tous genre pour contenir l’énervement…


[1] Pour mémoire, Ivresse et Oubli sont deux anges déchus, victimes collatérales du désengagement religieux des humains. Au paradis et en enfer, les anges ont commencé à mourir d’oubli. Plus assez nombreux pour faire leur job, ceux qui restent subissent un accord passé entre Dieu et le Diable qui leur ont imposé de faire les 2X12 : 12h ange, 12h démon. 
Avec la fatigue, Ivresse(en tutu bleu à paillettes)  et Oubli (le même en rouge) ont virés schizophrènes. Ne sachant plus aider correctement les gens, ils ne peuvent que les pousser à s’abandonner à leurs vices. Mais ils le font avec tendresse. Ils passent me rendre visite de temps à autres.

On peut les retrouver par là.

Le con ordinaire, dans sa merveilleuse modernité à 3 roues

Lecteur-Chéri-Ma-Crème- De-Châtaigne, je me trouve à lutter contre une forme d’agressivité quotidienne insidieuse qui m’épuise. Et comme je te suppose en butte au même problème que moi, je profite de ce court moment d’intimité par écran interposé pour t’en causer… Rien de bien grave au regard de l’état du monde , mais symptomatique d’une forme de dégénérescence qui ne saurait tarder à se transformer en décadence. Et donc, finalement, en totale connexion avec le grand tout, l’effondrement prochain de l’humanité (qui, du point de vue de l’ours polaire, n’est pas si grave)

Comme ça me pourrit la vie et que je n’aime pas cette sensation, je vais m’employer de ce pas à expurger ma haine du con ordinaire, ça ira mieux après.

Le con ordinaire est plus bête que méchant, plus dans une absence sidérante de réflexion que dans l’analyse de la portée philosophique de ses actes, on devrait donc pouvoir faire avec (il suffit de s’accrocher à un rien de civilité, de hauteur d’esprit et de penser à de jolies fleurs dans un champ printaniers, avec de joyeux lapins roses qui chantent du Mozart en frappant de leurs tendres petites pattes sur des cymbales en or)

Mais non.

Le con ordinaire, c’est aussi celui qui te parle mal sans raison, te pousse sur la route, te klaxonne sous une pluie battante alors que tu galères à te repérer (parce que non, les casques de moto ne sont pas équipés d’essuie-glace), celui qui t’abreuve d’insultes si tu as l’impudente imprudence de faire un malheureux écart sur le chemin que sa réflexion de bas étage estime être ta voie. Le con ordinaire, c’est cet être méprisable, incapable d’empathie, de politesse et dépourvu d’esprit de groupe. Par exemple, celui qui roule MP3 (MP3 = ridicule scooter à 3 roues qui confère à son propriétaire une immédiate sensation d’immortalité)

Le con ordinaire,  c’est aussi celui qui se sent invulnérable dès qu’il est séparé de toi par une ligne téléphonique,  un écran, voire 3 roues. C’est ton voisin de bureau, qui te souffle l’air aromatisé au caramel chimique de sa vapoteuse dans la figure, ton conseiller bancaire qui te fait comprendre sans détour qu’il n’en a rien à faire de tes misérables problèmes de pauvre, la spectatrice à ta gauche, au cinéma, qui se gave de pop-corn la bouche ouverte… Le con ordinaire a ceci d’irritant qu’il est partout, tout le temps, avec je l’admets, une propension à se trouver sur un MP3.

Le con ordinaire conçoit des serveurs vocaux qui te réclament de l’argent que tu n’a pas ou que l’organisme qui réclame te doit. Celui qui pense à générer un envoi automatique de mail le 1er du mois en considérant que tu as été payé et que ton premier soin sera de te précipiter pour fêter ça avec un nouveau téléphone portable. C’est aussi celui qui pense à faire des bancs hérissés de pics pour que les clodos ne s’allongent pas dessus. Je soupçonne les propriétaires de MP3 d’avoir ce genre de concepts méprisants.

Ce qui caractérise le con ordinaire c’est sa persistance à planter dans tes talons de petites épines que la plus fine des pinces à épiler ne saurait ôter, alors que ton chemin quotidien est déjà assez chargé d’embûches pour te faire des nœuds à l’estomac pendant les 10 ans à venir.

Le con ordinaire ne mérite que mépris, mais c’est déjà trop lui concéder. Et comme il pullule, comme il se reproduit frénétiquement et hors de tout contrôle, il semble parfois être en passe de gagner. C’est pourquoi je t’enjoins, toi qui me lis, à entrer en lutte à mes côtés. A éradiquer le con. Ce serait par la même occasion un bon moyen de délester la planète d’une partie de l’humanité et de lui accorder un second souffle. (ici, petit clin d’oeil à l’ours polaire)

Je t’entends déjà objecter qu’on est tous le con de quelqu’un et tu as raison. C’est pourquoi le combat est pernicieux. Mais déjà, on pourrait se débarrasser des conducteurs de MP3. Ça me paraît un bon début.

Sur ce, j’te bise

 

Et là, je jure que je n’ai pas fait exprès. Je ne vais pas m’en remettre…

 

L’homme 2.0, vers un super-héro du quotidien, mais en veut-on vraiment?

Lecteur-chéri-mon-soleil-de-Juillet, tu n’es pas sans avoir remarqué que c’est l’été.

L’été, saison de toutes les révélations… révélation des corps mous et blancs au sortir de l’hiver, des jambes poilues et des cheveux filasses au sortir de la piscine, des maillots de bain soudain trop petits (c’est fou comme le tissu qui les compose rétréci au lavage) et toutes ces sortes de choses qui font de la période pré-plage une succession de grands moments de solitude.
Mais depuis quelques années, l’été est aussi le moment privilégié du crétinisme de base. Le moment que choisit l’homme 2.0 pour se rappeler à nous.
Mais, me demanderas-tu, tes grands yeux pleins d’une noble envie d’apprendre, qu’est-ce donc que l’homme 2.0?
La réponse tient en quelques mots (et c’est déjà trop): « Celui qui est au cœur de son époque ». En pleine Macronmania, je te laisse te gausser.
L’homme 2.0 est avant tout un caméléon hybride de mode. Actuellement, il est barbu et ses cheveux sont bien coiffés. Sanglé dans un costume bleu foncé qui ne laisse rien ignorer de son athlétique carrure, il te toise sous ses verres juste assez fumés pour que tu voies qu’il te toise.
Il est facile à repérer: le premier à la salle de sport, il exhibe ses tatouages dépourvus de sens sur les appareils de musculation, à l’heure du déjeuner. Le soir, il roule au dessus du coude sa chemise blanche,  pour te faire admirer une vague, un lion ou un dragon, toutes choses dans lesquelles il projette ses fantasmes de lecteur de magasines qui ne dépasseront pas le 10è numéro.
Su la route, il pilote une moto ou un scooter 3 roues flambant neuf, qui a passé l’hiver bien au chaud (pendant que toi, tu endurais le froid, la pluie et les cons sur le périph au quotidien). Il est plein d’énergie, lui, il redécouvre la vitesse, il se sent grand, beau, fort. Homme avec un grand H.
A la piscine, il vient faire la promo de ses muscles bien dessinés, ceux dont tu sais à coup sûr qu’ils sont bidons (parce que s’il avait un job qui façonne son corps de naze, il n’aurait pas cette perfection huileuse). Plein d’énergie, il envahi ta ligne d’eau des éclaboussures de celui qui pense  l’avoir louée pour lui tout seul. Parce que son univers, c’est lui tout seul.
Dans le bois, il te pousse de ton parcours de footing et te laisse, seule et crachotante, dans un nuage de poussière grise, admirer son sac à dos et ses tatouages au mollet (au cas ou tu ne les aurais pas vus au bureau, à la salle de sport ou à la piscine)
L’homme 2.0 a maintenant de quoi occuper son été: les stages « survivor », au cours desquels il partira dans la forêt, sobrement vêtu, pour apprendre à s’orienter, à faire du feu (sans briquet, ni allumette, ni appli i-phone) et à se nourrir de racines et d’insectes. C’est pas des blagues et ça a l’air de marcher à fond. Même que l’épreuve la plus dure, c’est de laisser son i-phone à la maison.
Mais, mec, fait le ménage, occupe-toi d’une association, va jouer au foot avec les gamins du quartier… Heu, je sais pas moi, lis? Des livres, je veux dire…
Afin d’illustrer le propos, quelques illustrations sur les dérives d’un monde qui nous échappe et nous laisse augurer du pire pour la reproduction humaine…

Ici, le modèle de base 2017, équipé de toutes ses options.
Très diffusé. Bientôt soldé.

Là, le modèle bas de gamme, assez courant,
aussi qualifié de « futur dont on ne peut imaginer qu’il soit réel »

Pour finir, ce vers quoi on tend, si on n’arrête pas les conneries. Flippant.

Quand la bêtise frise le sublime…

… ça fait de la connerie permanente (blague de coiffeur)

Lecteur-Chéri-Mon-Troubadour, sache que les Deschiens ne sont pas morts. Derrière chaque table de terrasse se cache  une source infinie de joyeuse galéjade au subtil parfum de réalisme. Dans un moment de déprime, je t’accorde qu’on peut trouver ça triste, mais sous le clin d’oeil du soleil de printemps, ça peut aussi faire rire. Je te livre ici, quasi in-extenso, un dialogue à la limite du surréalisme entendu très récemment dans un de mes endroits de prédilection pour la sustentation  de mi-journée. Et oui, aujourd’hui j’ai décidé de montrer l’étendue de mon vocabulaire.

La situation : il est midi et demi, l’endroit est saturé d’un mélange de jeunes qui font je-ne-sais-quoi sur leur mac (avec un air absorbé), de vieux qui tentent momentanément d’échapper au long ruban gris de l’ennui de la vie de bureau (je concède en faire partie), de très vieux qui baguenaudent et de hipsters qui viennent téter leur maté à la source.

Prennent place deux personnes entre deux âges, entre deux looks, entre deux trains. Ils sont munis de plateaux et s’installent pour déjeuner. Nous nous trouvons dans l’espace « cosy » où les tables sont basses et les sièges mous. Par commodité, je les appellerai Elle et Lui.

Ce qui suit est scientifiquement véritable. Essaye de le lire avec les voix de François Morel et Yolande Moreaux, s’il y a une place pour eux dans ta tête.

Lui : C’est chaud ? On est bas, hein ?

Elle : Non, c’est pas très chaud. Oui, on est bas.

Lui : T’as mis 6 ? ça devrait être chaud. Mais on est bas, hein ?

Elle : Oui, mais c’est pas très chaud.

Un ange passe, lentement

Elle : ça fait du bien, c’est chaud quand même !

Lui : Ah oui

Elle : Ah oui, mais ça fait du bien ! Quand même, on est bas !

Lui : Y a de la tomate…  On n’est pas haut.

Elle : Oui

Lui : J’aime bien la courgette aussi. C’est bien quand c’est chaud.

Elle : Il est midi en demi, ça va. On est bien, là.

Lui : Oui. Mais t’as raison, on n’est pas haut.

Un autre ange passe, un peu plus vite.

Elle : C’est cher quand même…

Lui : Oui

Elle : Ils nous prennent pour des cons!

Lui : Oui

Elle : J’aime pas quand on nous prend pour des cons. En plus, on est bas !

Les deux anges passent dans l’autre sens, en dansant la macarena

Lui : C’est bien quand même, on y va ?

Elle : oui, j’en ai marre d’être bas.

Ils sortent, suivi des deux anges.

Dans 3 semaines, il va falloir voter. C’que j’en dis…

« The revenant » et « La loi du marché » VS sport en salle

Attention, spoiler en vue (je rêvais tellement d’écrire ça!)

Il y a eu les Oscars, il y a eu les Césars. Les deux finissent par « ar » et ça doit forcément avoir un sens. Comme dans « art » par exemple. Ou comme  dans « j’en ai marre », mais là le rapport est moins évident.
Et donc, deux comédiens qui n’avaient jamais été primés l’ont tété. La statuette, j’entends. Ce qui conduit fatalement les gros avides de films à se ruer vers les salles obscures. J’en fait partie (doublement: « gros » et « avide » me qualifient de façon très précise).
Ok pour les films mais quid du sport en salle? me diras-tu, lecteur-chéri-mon-amour, toi qui a la mémoire des titres et le cerveau souple. Tout simplement pour établir un parallèle entre deux personnages de battants (dans les films) et ceux qui se croient battants (dans les salles de sport)
Pour commencer, laisse-moi te rappeler que je n’ai aucunement la prétention de dresser ici la critique des deux films; des tas de gens le font beaucoup mieux que moi. Mais les deux comédiens m’ont tellement impressionnée que pour une fois j’ai envie d’expliquer pourquoi.
1-1

A ma gauche: Léonardo en peau de bête, le corps meurtri et l’âme à l’agonie, va passer 2h36 (c’est quand même long, 2h36) à trouver le moment de se venger. Il l’air mal en point et la bave qu’il arbore aux lèvres atteste qu’il traverse un moment difficile.

La-Loi-du-Marché-Une-Une
A ma droite: Vincent en uniforme de tergal, le corps alourdi et l’âme en peine, va passer 1h37 (ce qui est beaucoup plus raisonnable) à chercher sa place dans un système qui ne veut plus de lui (et c’est tant mieux, parce que lui, il ne veut plus du système). Il a l’air fatigué et son visage tiré vers le bas atteste qu’il a arrêté de rigoler depuis un bout de temps.

Léonardo éructe et se tord, après s’être battu contre un ours (dans une scène hallucinante de réalité), avoir baigné des heures dans une eau glacée, chuté d’une falaise, crevé de faim, dormi dans un cadavre de cheval, etc etc. (Etrangement, quelques scènes m’ont rappelé « Le monde d’Arlo »… Oui, mes goûts sont éclectiques) .
Vincent reste droit et digne, après s’être battu contre pôle-emploi et la banque. La nature hostile est remplacée par le monde ordinaire de ceux qui humilient sans s’en rendre compte, critiquent sans compassion,  jouissent du ridicule pouvoir que leur confère une situation rémunérée. Tiens, ça vous rappelle des trucs?

Léonardo est très bon, sans conteste, mais honnêtement son combat reste le sien et jamais (sauf sous la hutte salvatrice de l’indien-gentil) je ne me suis sentie proche de son personnage (alors que je garde en mémoire toute la vie de Jack Crabb dans « Little big man »). J’ai décroché quand il tombe à l’eau et après, n’ai plus vu qu’exagérations et outrance dans le film (même si les images de la nature sont somptueuses). Je crois même que la chute avec le cheval dans l’arbre m’a fait ricaner.
Vincent, de son côté, donne l’impression hallucinante de lire dans mon cerveau et de montrer  à l’écran (avec une infinie subtilité) exactement ce que je ressens (avec 5 secondes de décalage). Tout est juste: la colère et l’impuissance à pôle-emploi, le début d’humiliation à la banque, la suite de l’humiliation lors de la critique de la séquence filmée (re à pôle-emploi), le léger mépris suivi de la très profonde émotion lors de la scène de départ à la retraite, la haine de soi en vigile, et j’en oublie plein. Toutes ces émotions sont communiquées sans que le personnage ne dise un mot. Dingue.

Ces deux personnages montrent ce que peut être un combat, bien réel, quand tout pousse à l’échec et que seule la suprême volonté permet d’avancer. Ce qui est à noter, à mon sens, c’est que chacun reste humble et discret à sa façon. Ils sont guidés par leur seul objectif.

Mais venons-en à la salle de sport.
Dans les salles de sport, on croise des individus (costard-cravatés dans le civil), la musculature extrêmement travaillée à grand recours de machines, qui prennent des poses avantageuses, jettent des regards dits « de durs » (c’est à dire un peu par en dessous, avec les sourcils froncés, et c’est souvent assorti de poings fermés… genre menaçant, mais en toute subtilité) et se permettent même de rouler des épaules.  Leur volonté se dresse contre les poids de 10 kg, leur objectif est d’avoir le ventre plat sur la plage. Et éventuellement d’emballer l’assistante du 3ème étage. Comme si, à notre époque, le muscle pouvait être synonyme de virilité.
Ben non, débilos, si tu es musclé comme un personnage de BD, c’est que tu as du temps pour aller pousser de la fonte. Donc que tu n’as pas grand chose à faire de tes journées (ce phénomène est particulièrement remarquable dans les entreprises équipées d’une salle de sport. Il faut se méfier des chefs de service trop musclés: ce sont vraisemblablement de grands « délégateurs »). Si tu as du temps, tu peux aussi le passer au ciné ou (folie) à lire des livres (tu verras, on y apprend plein de trucs. Faut pas se laisser impressionner parce qu’il n’y a pas d’images)

Donc, Lecteur-Chéri-Ma-Biscotte, si tu m’as suivie, tu comprends où je veux en venir : de mon point de vue, l’héroïsme va prendre sa source dans la capacité à tracer sa route et à la suivre, tout en préservant dignité et humanité. Le reste n’est que posture et surface et ça, on s’en fout.

 

le monde d'arlo

Arlo a peur dans la chute vertigineuse

the revenant

Léonardo a peur dans la chute vertigineuse