un conte de Noël (suite et fin)
Le début est là: début
Le silence a étiré sur nous son voile d’une culpabilité mêlée d’incompréhension. Le faisceau a quitté mon visage pour se poser sur le pochoir.
– C’est pas très sympa pour moi, ça…
Angel a ouvert la bouche pour s’expliquer, mais le type qui semblait n’attendre que l’occasion de vider son sac, ne lui a en pas laissé le temps.
– Déjà que, par les temps qui courent, je suis remis en question… si on commence à me faire de la mauvaise pub, les enfants vont arrêter de parler de moi, de m’écrire et je vais finir par disparaître… Non pas que ça m’ennuie, mais j’aurais aimé une disparition plus flamboyante… Mourir d’oubli, c’était pas ce que j’avais envisagé.
Et le type s’est effondré à côté d’Angel, laissant tomber sa torche dont le faisceau a éclairé un visage rond et rouge, une barbe blanche et un bonnet rouge.
– Moi, je veux bien prendre ma retraite, mais je l’envisageais méritée… pas comme ça, triste et contrainte… Si vous croyez que c’est plaisant, de finir remplacé par internet… Je l’aime, moi, ce métier…
Ni Angel ni moi n’avons moufté. Dans le froid de la nuit parisienne, sur un bout de trottoir sale, les mains dans la graisse et la peinture punitive, nous venions de rencontrer ce qui semblait être le père Noël : Un gros type mélancolique en équilibre sur la mémoire humaine, dont l’avenir se résumait à un départ à la retraite malvenu.
– Alors si je peux aider avant de partir, ce sera avec plaisir.
*
Le plan du père Noël était simple : il avait la possibilité de rentrer dans toutes les habitations. Pourquoi ne pas en profiter pour rentrer dans tous les garages, parkings, boxes ? Et pourquoi se limiter à Paris ? Tout pouvait être fait dans la nuit du 24 au 25 Décembre. La seule contrainte serait d’avoir assez de graisse, de peinture et de miel.
– En revanche, je vous invite à éviter les crevaisons par balle, outre le fait que je n’aimerais pas que ma réputation soit entachée, ça peut être dangereux, il reste des enfants qui me guettent…
– Mais, père Noël, comment savoir quels conducteurs punir ?
– T’inquiète, quand on peut voir quels enfants sont sages, tu crois qu’on s’y limite ? J’ai ici (il désigne son téléphone portable) la liste exhaustive de tous les mauvais conducteurs. J’ai même croisé avec les fichiers de la police, je connais les infractions, les montants des amendes, les points restants sur les permis… Internet me fait un tel tort, je n’allais tout de même pas me laisser faire sans réagir…
Il nous restait deux jours pour préparer les pochoirs et faire provision de matériel. Le père Noël a mis son atelier à notre disposition. Les lutins, pour la plupart pressés d’en finir avec des années de travail à la chaine, se projetaient déjà au bord de la mer. Les rennes, huit belles bêtes conscientes de l’importance exceptionnelle de la tâche qui les attendait, ne demandaient qu’à finir leurs jours dans un champ de pâquerettes, loin des vols de nuit, des stations glissantes sur les toits enneigés et des cheminées mal ramonées.
*
Ce fut un joyeux Noël, passé à bondir de parkings en boxes, de voiture en bus, de camion en trottinette. En matière de circulation, rien n’avait échappé au père Noël et le matin du 25 Décembre, une bonne partie de la population allait se réveiller obligée de marcher, les véhicules cloués au sol décorés de messages et de dessins dont nous tirions une grande fierté, mais qui n’étaient pas en la faveur de leurs propriétaires.
– Depuis des années qu’ils geignent à cause des excès de table, ils vont bien finir par comprendre que la marche a des vertus ! Allez hop, tout ça sur pieds et bougez vos gros culs mous !
Il a explosé de rire.
Ce furent les derniers mots du père Noël, qui après avoir installé ses huit rennes en forêt de Brocéliande, où il était sûr qu’ils vivraient heureux, a brûlé son traineau, sa hotte et sa tenue à la gloire de coca-cola.
Angel et moi l’avons regardé s’éloigner à pieds, en marcel et caleçon à carreaux, ses bottes claquant sur l’asphalte. Quand il n’a plus été qu’un petit point sur la route, son rire résonnait toujours à nos oreilles.
*
Si vous croisez un gros type hilare en caleçon et bottes de cuir, n’oubliez pas qu’il a fait la joie de vos noëls d’enfant.
Quant à nous… On a gardé les pochoirs…
Publié le 26 décembre 2019, dans histoire courte, et tagué conte de Noël. Bookmarquez ce permalien. 1 Commentaire.
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