Un conte de Noël (part 1)

Lecteur-chéri-ma-boule-de-neige-en-sucre-glace,
Laisse moi te réjouir en te faisant un récit enchanteur et de saison, dont l’ambition est de finir avec 2019…

Au début, j’hésitais à me trimballer au quotidien avec une arme, je trouvais que ça pouvait être dangereux. Mais finalement c’est comme tout: on s’habitue.
Tout a commencé un matin gris d’hiver, un mégot jeté avec désinvolture par la vitre fumée d’un gros SUV. Ça m’a énervée. Dans  la même semaine AF-***-XY 92, TC-***-VW 75 et RS-***-YG 93 avait fait preuve du pire mépris routier qui puisse être. Ce mégot avait décidé de la suite.
Oui, j’ai une bonne mémoire.
Et oui, j’ai un ami hacker.

C’est comme ça que je me suis mise à faire des balades anti-cons. Le principe est simple : soit j’assiste à la connerie et dans la minute qui suit, j’ai la possibilité de planter deux balles dans les pneus du con, soit je n’ai pas cette possibilité et je mémorise la plaque minéralogique du con. Plus tard, munie de son adresse, je cherche une idée pour immobiliser son véhicule de con. Ah oui, je précise : je ne traite que les conneries de la route. Sinon, je n’aurais plus de vie.
Globalement, crever les pneus me va bien. Mais je peux aussi rayer des peintures, renverser du miel liquide sur le pare-brise, de l’huile sur les vitres, bomber les portières, tout est bon pour me défouler.

Au cours d’une de mes expédition, j’ai rencontré Angel. Il avait le même type de loisir que moi, la précision en plus : il agrémentait de petits messages personnalisés au marqueur indélébile ou à la peinture les carreaux des voitures qu’il venait de dégrader.
Ce soir là, mon but était d’empêcher AD-***-FG 92 de continuer à prendre la route. J’étais devant sa grosse voiture noire en train de choisir entre le miel et l’huile, après avoir planté une lame bien affutée dans ses quatre pneus. Le délicat sifflement du caoutchouc se soulageant de l’air me remplissait d’aise et s’il n’avait pas plu, j’aurais volontiers entamé une petite danse de joie sur le trottoir quand une exclamation de surprise m’a ramenée sur terre. Un jeune homme tout habillé en noir se tenait face au véhicule, la mine désolée. Je n’ai pas tout de suite remarqué sa bombe de peinture jaune fluo.
– C’est vous, les pneus ?
Aucune agressivité dans son ton.
– Heu…
– Vous avez encore le couteau dans la main…
– Ah…
– C’est pas grave, hein, mais ça me déçoit, j’avais prévu de filmer…
Comme je ne trouvais rien à répondre et devais le fixer avec un regard de vache devant un passage à niveau un jour de grève, il m’a gentiment poussée et s’est mis au travail, me laissant admirer son habileté à tracer sur la tôle des lettres régulières et son sens aigu de la poésie. Quand il a eu fini, on pouvait lire en gros caractères « Véhicule prioritaire : Transport de têtes de nœuds en enfer », suivi dans une taille plus petite de « si vous êtes intéressés, appelez le 06.xx.xx.xx.xx ».
Il a fini en ajoutant une petite tête de diable au pochoir, m’a souri et m’a dit « ça déchire, non ? ça et les pneus, elle va peut-être se remettre au code de la route », puis il a avisé ma bouteille d’huile et a proposé de m’aider à en barbouiller les vitres.
– C’est quoi, ce numéro de portable ? ai-je demandé en désignant le message de mon index plein de gras.
– Ben, c’est le sien, qu’est ce que tu crois, que j’invente ?
Et devant mon absence de commentaire :
– C’est facile, avec un peu de technique…
La semaine suivante, il m’a fourni un petit revolver équipé d’un silencieux et m’a appris à tirer dans les pneus discrètement.

*

Cet hiver là, le fond de l’air était empli de contestation, les mouvements sociaux se multipliaient.
Après trois semaines de grèves des transports en commun, les trois têtes de pont de la civilisation routière avaient rendu l’âme : le respect, l’intelligence et le code de la route. Angel et moi étions surchargés de boulot. Nous passions nos journées à dégonfler des pneus et nos soirées à badigeonner des vitres de messages fleuris. On commençait à parler de nous sur les réseaux sociaux et nous redoublions de prudence lors de nos sorties punitives.
Ce soir-là, nous avions prévus cinq arrêts. C’était beaucoup, nous étions chargés, fatigués et commencions à craindre de nous faire repérer. Nous avions prévu de ne rien faire pendant les deux soirées suivantes, préférant attendre la nuit de Noël pour redoubler nos efforts.
Après avoir bombé des cafards orange sur une BMW gris foncé, nous sortions de nos sacs un gros pot de graisse automobile et des gants quand une lumière vive nous éblouit. Derrière le faisceau bleuté, je distinguais la silhouette empâtée d’un gros type en doudoune.
– Vous ne voulez pas de l’aide, par hasard ?
Le ton était empreint d’une brusquerie de mauvais augure . Je regardais Angel, ses yeux cernés, son teint pâle, ses cheveux collés par une sueur de stress sur un front las. Le soupir qu’il a lâché était tenu. Dans son regard fatigué se devinait un fond de soulagement. Nous savions que ça devait finir, même si nous aurions préféré profiter de la nuit de Noël pour que cette fin soit une apothéose de caoutchouc percé et de mots d’esprit. Il a lâché le pot de graisse, fait claquer ses gants en les enlevant et s’est levé pour se rendre.
– Non, c’est bon, merci, on a fini celui-là…
Il a levé ses mains bien en vue, montrant qu’il n’était pas armé. De mon côté, j’avais redressé le dos et levé les mains de la même façon. De là ou je me trouvais, je distinguais des bottes de cuir brillant à l’épaisse semelle à crampons, surmontées de solides jambes. Nous portions des cagoules noires, des vestes noires et des pantalons noirs. Nos sacs à dos étaient plein d’un matériel qui ne laisserait aucun doute sur nos activités. Je ne trouvais rien à dire et l’idée d’une tentative de fuite me paraissait idiote. Le message destiné au véhicule suivant « le père Noël m’a toujours négligé, alors je hais vos enfants » avait déroulé son pochoir à nos pieds, fragile vecteur d’une vengeance de carton et de couleurs.
Le type ne bronchait pas. Son faisceau allait d’Angel à moi, comme s’il n’avait pas encore décidé de ce qu’il allait faire de nous. J’hésitais à lancer un « allez monsieur l’agent , soyez sympa, c’est Noël » qui s’étranglait dans ma gorge.

La suite est par là: lien vers la suite

Publié le 22 décembre 2019, dans histoire courte, et tagué , . Bookmarquez ce permalien. 1 Commentaire.

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