Tintamarraboutd’ficelle

« Tintamaaaaarabouuuuut d’ficelle de ch’vaaaaaaal!!!
Ch’val de trait, trait’moipaaaas!! Ah non, traite-moi pas… Ch’te traite, moi ? »
L’homme s’arrête un instant. Son grand corps maigre oscille, comme suspendu à un fil invisible, fragile marionnette de la rue. Dans la nuit moite après la pluie, des flaques brillent de la lumière des réverbères, reflétant la chemise rouge à gros pois blancs, le pantalon absurdement grand, les pieds nus noircis par la vie dans la rue.
Il se tourne d’un mouvement brusque, les bras en hélicoptère et interpelle un chien qui baguenaude dans les poubelles.
– Eh toi, le clebs, t’en penses quoi, j’ai inventé une nouvelle version, écoute ça, du caviar pour tes oreilles de clebs !
Devant l’homme qui se déhanche en éructant, le chien se redresse, lève la truffe et cligne des yeux. Il délaisse un moment les poubelles, étonné qu’un humain s’adresse à lui sans animosité.
«Tintamarre, marre de tout, tutti frutti…
oh rutti !  Wop bop a loo bop a lop bam bom!”
Le clodo se lance dans un simulacre de rock, agitant les bras, mimant un micro :
«I got a gal, named Sue, she knows just what to do » «Tutti frutti youououou»
– Merci, public-chéri-mon-amour d’être venu si nombreux ce soir !
Il s’apprête à continuer son récital quand une fenêtre s’ouvre sur une silhouette frêle en t-shirt Babar.
– Monsieur, s’il te plait, j’arrive pas à dormir, tu cries trop fort
– «Au clair de la lunnneeeeeeeee» entonne aussitôt le clodo «J’ai pété dans l’eauuuuuuu ! »
Le gamin glousse et poursuit « Ça faisait des buuuuuuullles, c’était rigolooooooo! » à la plus grande joie de l’homme
– Gamin, t’as pas peur, j’aime ça, moi, les gamins qu’ont pas peur !
Il va pour saluer le petit quand l’attitude du chien, tapis au sol et les oreilles collées en arrière, lui fait lever les yeux. Sur le balcon à côté de la fenêtre de l’enfant, un homme se profile, les mains chargées d’un bloc sombre. Le chanteur sait que, tout droit dans la lumière, il offre une cible de choix. Il ne fait pas à l’homme le plaisir de reculer. Au contraire, bravache, il s’avance d’un pas, prêt à continuer la chanson. Il a à peine le temps de gueuler « ta grand-mère arrive » qu’un projectile l’atteint en pleine tête. Surpris, il tombe, aussitôt rejoint par le chien qui se met à gémir.
– Toi, rentre immédiatement dans ta chambre !
Le gamin est immobile, stupéfait par la violence de l’acte qui vient de se dérouler sous ses yeux. Il cherche dans le noir le regard de son père, redresse sa petite silhouette et termine:
– Avec des ciseauuuuuux!
Elle te coupe la biiiiiiteeeee
En trois mille morceaux !!!
Le clodo, assis contre le chien, lui envoie un baiser, son gros rire l’accompagnant tandis que l’enfant retourne se coucher.
Au sol, le dictionnaire qui l’a frappé s’est ouvert sur la planche des fleurs. Le clodo découpe avec précaution un œillet rouge et en glisse la tige dans une boutonnière. Il se lève, salue une dernière fois et s’enfonce dans la nuit. Le chien jette un dernier regard aux fenêtres et retourne fouiller les poubelles. Quand l’enfant, la joue chaude de la gifle qu’il a reçue, revient à la fenêtre, il voit les pages se soulever doucement avec le vent. Il colle ses petites mains sur la vitre et se met à chanter doucement « au clair de la lune, mon ami clodo… »

reverbere

Publié le 25 septembre 2016, dans Extrapolations, et tagué , , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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