Archives Mensuelles: septembre 2016

Tintamarraboutd’ficelle

« Tintamaaaaarabouuuuut d’ficelle de ch’vaaaaaaal!!!
Ch’val de trait, trait’moipaaaas!! Ah non, traite-moi pas… Ch’te traite, moi ? »
L’homme s’arrête un instant. Son grand corps maigre oscille, comme suspendu à un fil invisible, fragile marionnette de la rue. Dans la nuit moite après la pluie, des flaques brillent de la lumière des réverbères, reflétant la chemise rouge à gros pois blancs, le pantalon absurdement grand, les pieds nus noircis par la vie dans la rue.
Il se tourne d’un mouvement brusque, les bras en hélicoptère et interpelle un chien qui baguenaude dans les poubelles.
– Eh toi, le clebs, t’en penses quoi, j’ai inventé une nouvelle version, écoute ça, du caviar pour tes oreilles de clebs !
Devant l’homme qui se déhanche en éructant, le chien se redresse, lève la truffe et cligne des yeux. Il délaisse un moment les poubelles, étonné qu’un humain s’adresse à lui sans animosité.
«Tintamarre, marre de tout, tutti frutti…
oh rutti !  Wop bop a loo bop a lop bam bom!”
Le clodo se lance dans un simulacre de rock, agitant les bras, mimant un micro :
«I got a gal, named Sue, she knows just what to do » «Tutti frutti youououou»
– Merci, public-chéri-mon-amour d’être venu si nombreux ce soir !
Il s’apprête à continuer son récital quand une fenêtre s’ouvre sur une silhouette frêle en t-shirt Babar.
– Monsieur, s’il te plait, j’arrive pas à dormir, tu cries trop fort
– «Au clair de la lunnneeeeeeeee» entonne aussitôt le clodo «J’ai pété dans l’eauuuuuuu ! »
Le gamin glousse et poursuit « Ça faisait des buuuuuuullles, c’était rigolooooooo! » à la plus grande joie de l’homme
– Gamin, t’as pas peur, j’aime ça, moi, les gamins qu’ont pas peur !
Il va pour saluer le petit quand l’attitude du chien, tapis au sol et les oreilles collées en arrière, lui fait lever les yeux. Sur le balcon à côté de la fenêtre de l’enfant, un homme se profile, les mains chargées d’un bloc sombre. Le chanteur sait que, tout droit dans la lumière, il offre une cible de choix. Il ne fait pas à l’homme le plaisir de reculer. Au contraire, bravache, il s’avance d’un pas, prêt à continuer la chanson. Il a à peine le temps de gueuler « ta grand-mère arrive » qu’un projectile l’atteint en pleine tête. Surpris, il tombe, aussitôt rejoint par le chien qui se met à gémir.
– Toi, rentre immédiatement dans ta chambre !
Le gamin est immobile, stupéfait par la violence de l’acte qui vient de se dérouler sous ses yeux. Il cherche dans le noir le regard de son père, redresse sa petite silhouette et termine:
– Avec des ciseauuuuuux!
Elle te coupe la biiiiiiteeeee
En trois mille morceaux !!!
Le clodo, assis contre le chien, lui envoie un baiser, son gros rire l’accompagnant tandis que l’enfant retourne se coucher.
Au sol, le dictionnaire qui l’a frappé s’est ouvert sur la planche des fleurs. Le clodo découpe avec précaution un œillet rouge et en glisse la tige dans une boutonnière. Il se lève, salue une dernière fois et s’enfonce dans la nuit. Le chien jette un dernier regard aux fenêtres et retourne fouiller les poubelles. Quand l’enfant, la joue chaude de la gifle qu’il a reçue, revient à la fenêtre, il voit les pages se soulever doucement avec le vent. Il colle ses petites mains sur la vitre et se met à chanter doucement « au clair de la lune, mon ami clodo… »

reverbere

Hier soir, j’ai vu un homme s’enfoncer dans le trottoir

Cette histoire est basée sur des faits réels, l’inconnu existe, le trottoir aussi. Seul le cri de la libellule est une supputation. Mais je ne vois pas pourquoi les libellules ne crieraient pas. Même en silence. Les cris silencieux sont les plus intéressants et le port de la casquette ne fait qu’en renforcer l’intensité. Je dis ça pour pousser les libellule à porter la casquette. Pas pour que vous vous mettiez à crier.
Sérieux.
Entre chien et loup, un individu s’est lentement fondu dans le trottoir, à côté de chez moi. Mon attention a tout d’abord été attirée par le fait qu’il n’avait pas de pieds. C’est que la fusion avant déjà commencé, mais ça, je ne l’ai découvert qu’en m’approchant un peu.
Donc, voilà le topo : un homme jeune, sans pieds, s’enfonce lentement, sous mes yeux ébaubis, dans une portion de trottoir (précisément la portion entre boulangerie et pharmacie).
La scène s’est déroulée très vite, le temps d’un passage du rouge au vert.
Personnellement, l’idée d’un monde extra-terrestre m’a toujours semblée attirante. J’ai même l’intime conviction d’être l’élue, celle avec qui ils vont tenter de communiquer en premier. Donc en voir la manifestation m’a paru tout à fait normal. Attendu, même pas peur.
(Oui, il y a des gens qui trouvent normal de voir un individu sans pieds fondre dans le bitume.)
Quand seul son buste surplombait le niveau de la rue, j’ai dû manœuvrer pour laisser passer les voitures qui préfèrent circuler au vert (il y en a encore un peu).
Ca a pris quelques secondes, mais quand j’ai de nouveau tourné la tête, seule la sienne (de tête) dépassait du sol. Je me suis dit qu’il fallait à tout prix tenter d’entrer en communication avec lui avant sa complète disparition. Au moins pour le prévenir que le trottoir est parfois sale et que s’il voulait se fondre dans le décor, un arbre ou un mural street-art étaient plus adaptés. Avec une préférence pour le mural.
N’écoutant que mon courage, je suis donc descendue de mon fidèle destrier mais le temps de traverser, la tête s’était définitivement mêlée au bitume.
Merde. Le processus de fusion avait pris fin.
Dans une tentative désespérée d’établir le contact, j’ai poussé un cri de libellule et entamé une danse sioux de la paix, tout en agitant dans ce qui avait été sa direction mon i-phone tout neuf, comme preuve de la grande avancée technologique de cette planète. Devant tant de bonne volonté, il ne pouvait que revenir vers moi.
Las. L’inconnu du trottoir avait terminé sa mutation et je ne devais plus le revoir.
C’est pourquoi je me suis mise à peindre la parcelle de sol qui avait été en son contact. S’il s’y était fondu, autant lui rendre un hommage vibrant.
Voilà comment actualiser le mythe du prince charmant : la bouche du crapaud correspond à l’endroit par où le mystérieux inconnu a disparu.

by Julian Beever

by Julian Beever

Et rigolez pas, c’est pas plus con que pokémon GO !…
Sino
n, l’artiste qui décore les trottoirs est par là : http://www.julianbeever.net/