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Un monde merveilleux…
Il est un monde merveilleux où l’on se sent épanoui et aimé, un monde ou chaleur humaine et bon entente conjuguent leurs effets bénéfiques pour favoriser une créativité intense et débridée, un monde où les paroles sont des chants, les écrits des poêmes, les rencontres des fêtes. Ce monde fabuleux, s’il existe, n’est définitivement pas celui du travail.
Le monde du travail, tel que je le pratique actuellement, est une sorte de monde composé de multiples couches, monde dans lequel cohabitent des bulles étanches les unes aux autres; il est fréquement représenté par un immeuble, ou un étage d’un immeuble. Dans ces espaces, il y a entre autres la bulle des salariés-grouillots, la bulles des salariés-chefs et la bulle des prestataires (par définition super-grouillots), à laquelle (vous l’avez deviné) j’ai la joie d’appartenir.
Petite précision: dans la vraie vie, les habitants des différentes bulles sont tous des humanoïdes amenés à communiquer de la façon la plus normale qui soit. Aucune différence évidente ne permet de les catégoriser et ils peuvent même interagir les uns avec les autres. C’est dans le « monde du travail » que les choses changent.
Les bulles des salariés-grouillots, salariés-chefs et prestas vont et viennent dans l’espace de l’immeuble qui abrite le « monde du travail », elles s’agitent au gré des vociférations des uns et des râleries des autres, glissent, se retournent, se croisent, se percutent, sans jamais générer d’interaction entre les salariés (errant dans 2 bulles) et les prestas (errant dans 1 bulle).
Explications: La bulle des prestas présente des caractéristiques particulières sur lesquelles il est intéressant de s’arrêter un moment.
Explications: La bulle des prestas présente des caractéristiques particulières sur lesquelles il est intéressant de s’arrêter un moment.
– la bulle rend ses habitants transparents. Le presta est par conséquent totalement invisible, ce qui explique qu’on ne lui adresse jamais la parole, qu’on ne l’invite jamais à déjeuner ou prendre un café, qu’on ne lui tienne pas la porte quand il passe, chargé de dossiers.
– elle rend ses habitants impuissants (impuissance limitée au « monde du travail », j’entends); c’est à dire que quelle que soit leur force de persuasion, les raisons qu’ils invoquent, l’aspect stratégique de leurs remarques, ils ne seront pas écoutés, pas considérés et encore moins reconnus.
– la bulle nourri ses habitant; par un procédé encore inconnu de mes services, mais je travaille à éclaircir ce mystère. En conséquence de quoi, lorsque les salariés des autres bulles s’organisent des agappes, ils n’ont pas besoin d’y inviter les prestas. Ceux-ci sont déjà sur-nourris par leur bulle. Et de toute façon, ils sont transparents. On est donc parfaitement habilité à manger des croissants, gâteaux et autres sucreries en leur présence sans leur accorder la moindre attention.
– la bulle procède automatiquement aux rites habituels de début et de fin de journée. Donc pas la peine de dire « bonjour » ou « bonsoir » à un presta. Encore moins « bon week-end ». La question du « bonnes vacances » ne se pose pas, vu qu’on ignore totalement quand les prestas sont habilités à se reposer. Le sont-ils d’ailleurs?
-la bulle offre un standard physique à ses habitants; c’est très pratique: ainsi les prestas hommes sont tous rigoureusement identiques et les prestas femmes aussi. On peut donc leur donner un nom générique et globaliser les contacts incontournables que l’on est (hélas) obligé d’avoir avec eux. On est aussi autorisé à les confondre, à confondre leurs projets et leurs attributions.
– la bulle gère un écoulement élastique du temps. C’est une particularité très pratique: ainsi on peut faire attendre interminablement un presta avant une réunion (jusqu’à 1h d’attente, le presta peut rester dans le couloir, entre les toilettes et le placard à balais; bien pesner à faire en sorte qu’à tout moment il ait l’impression que la réunion va démarrer, de façon à le maintenir sous pression et à l’empêcher de retourner glander dans son bureau). On peut aussi sans aucun scrupule raccourcir ses délais pour un projet. L’obliger à rendre au bout de 15 jours ce qui était supposé être fait en un mois, par exemple.
A l’issue de la mission, le presta disparaît de la bulle et toute mémoire de son passage est aussitôt effacée; voilà pourquoi il est agréable d’avoir à faire à des prestas: on peut se comporter avec eux comme si on était poisson rouge (ou salsero), c’est à dire: oublier jusqu’à leur existence, même quand ils sont à moins d’un mètre…