Rébellion quantique – Part 4
Roxanne participe à des opérations menées par une organisation illégale dirigée par Franck. Coincée par ses dettes, elle ne peut faire autrement que d’accepter la prochaine intervention: stopper l’urbanisation sauvage, permettant ainsi aux populations les moins aisées de conserver leur place dans les villes. Elle pose des bombes dans des immeubles en construction, tout en étant sûre de ne pas se faire prendre: Roxanne est un individu quantique, dont la vie se déroule à cheval sur plusieurs réalités. Après avoir fait exploser une résidence en construction, elle se retrouve dans un nouveau monde, face à son contact: Franck.
Le début se trouve par ici
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– Bon, ça fait quoi… deux ans ? sept explosions ? ça me donne le droit d’en savoir un peu plus, non ?
Ce coup-ci, je suis décidée à ne pas lâcher. Il peut m’avoir choisi un vin à cinquante millions la bouteille, qu’il aille au diable. On ne m’achète pas avec du pinard (enfin… pas facilement). Je croise les bras et lui décroche mon regard le plus farouche, celui que j’ai travaillé dans le miroir à mes instants perdus (c’est dingue, le nombre d’occupations qu’entraîne une vie dans des mondes parallèles). Ce n’est rien que de la frime. Sous mon air bravache, je suis inquiète. Il peut tout à fait me congédier d’un geste, arrêter les paiements et me laisser seule dans ce nouveau monde que je n’ai pas encore appréhendé. Je le regarde me regarder et pendant que son visage impassible me renvoie à ma condition d’esclave quantique, je délire sur ce monde sans doute dépourvu de pitié pour les rebelles de mon espèce, dans lequel je vais servir d’expérience pour des fous qui veulent prolonger leur vie ou en vivre plusieurs en parallèle, ou voyager dans le temps, ou…
– Quoi ? tu as dit quoi ?
J’étais tellement stressée à imaginer finir dans un zoo des voyageurs inter- temporalités que je n’ai pas écouté sa réponse. Maintenant j’ai l’air stupide.
– J’ai dit « oui, tu as le droit de comprendre, j’allais y venir aujourd’hui »
– « Aujourd’hui » ! Ahahahahah ! tu en as de bonnes… depuis deux ans, j’ai perdu la notion de « aujourd’hui » figure-toi. Pour ce que j’en sais, je suis peut-être hier, demain, née avant mes parents, sans parents, ou un hybride de carpe koï…
– Tu veux bien garder ton humour poissonnier et m’écouter, s’il te plait ? Je n’ai pas que toi à m’occuper, figure-toi…
– Si ça te fait plaisir…
– Depuis que tu travailles pour l’Asso, tu as gagné en compétences et en acceptation. Tu t’es distinguée en restant à la place qui t’as été assignée, même si je reconnais que ce n’était pas toujours évident, et en évitant de fouiner, ce que l’Asso a apprécié.
Je me garde bien de réagir, si ma passivité a été prise comme une qualité, tant mieux. Disons que j’était tellement contente de vivre aux frais de la princesse, à quelques explosions près, que je me suis bien gardée de remuer la fange. Sans compter que leur cause me plait.
– Donc tu vas monter en grade, ce qui signifie que tu seras mieux payée, mais que tu te verras attribuer des missions plus dangereuses… dans des mondes plus complexes. En deux mots : les mondes sur lesquels tu surfes depuis deux ans ont tous été quasi-semblables. Ils font partie de ce que nous appellerons « la réalité 1 ». A l’instant, tu as rallié la « réalité 2 », composée de mondes différents de ceux que tu connais.
Je ne saurai pas dire pourquoi, mais cette dernière information ne me rempli pas de joie…
– Différents jusqu’où ?
– Disons… plus intéressants, plus déroutants et plus dangereux.
En fait, si, je saurai dire: je m’y attendais. Aucune raison que tout ça devienne facile, sinon ce ne serait pas drôle (et l’histoire y perdrait de son piquant). Je choisi de rester silencieuse comme une carpe.
– …
– Rassure-toi, tu seras formée aux nouveautés.
– Me voilà rassurée. Surtout que si je comprends bien tout ce que tu me dis, j’y suis, en plus ?
– Tu y es. Je sais que tu apprécies la voix.
Cette dernière remarque me met mal à l’aise. Ils m’espionnent ou quoi ? j’ai le droit d’avoir mes petits moments d’intimité, tout de même… et il n’y pas de mal à se servir d’une voix pour… Mais il rit, ce con.
– J’espère que la nouvelle voix te plaira autant
Je ne pensais pas que Franck était doué du rire. Je suis vexée. Je vais le lui signifier en me taisant de nouveau. Carpe feeling.
– Elle est plus… disons plus inspirante..
Il rit de nouveau. Je ne sais pas ce qui me retient de lui balancer mon verre à la figure et de m’en aller. Ah si, je sais. Je n’ai pas récupéré mes nouvelles clés. Je le laisse se foutre de moi et en profite pour observer les alentours. Nous sommes à la terrasse d’un café qui ressemble à celui qu’il y a au coin de ma rue, mais les arbres sont plus hauts et d’une essence que je ne reconnais pas. A quelques mètres sur ma gauche, une station de tram. Ce doit être une heure de pointe, parce que les gens s’y pressent et font des efforts pour rentrer dans les rames pleines à craquer.
– Ah, ça au moins, ça reste constant…
Oui, j’ai rompu le silence malgré moi. Franck arrête de se moquer et jette un œil sur les passagers qui se poussent les uns les autres avec vigueur.
– Détrompe-toi, là c’est calme. Pour pallier la surcharge des rames, depuis quelques temps les autorités délivrent des passes pour circuler pendant les heures de pointe. Seuls qui sont bien notés peuvent accéder aux transports en commun. Les autres doivent marcher le longs des voies…
– Pourquoi le long des voies ?
– Ça simplifie leur surveillance… tu vois les caméras, en haut des piliers de métal ?
Je vois. Des petits boules bleues qui ressemblent à des yeux et qui ne cessent de tourner sur elles-mêmes.
– Ils doivent passer de l’une à l’autre sur le trajet qui va de chez eux à leur lieu de travail, tout ça dans un temps limité au-delà duquel ils risquent d’être arrêtés.
– Mais pourquoi ?
– Ils sont mal notés, ce qui signifie qu’ils ne pensent pas comme la masse. Les autorités s’en méfient et les mettent sous surveillance.
– Et s’ils veulent s’arrêter boire un coup ?
– Ils ne peuvent pas. Il faut montrer sa notation pour accéder aux bars, et aux restaurants, d’ailleurs. Mal noté, tu n’accède pas aux lieux d’échange.
– Et s’ils veulent acheter du pain ?
– Ils peuvent, ce sera vu sur leur stat quotidienne. Ils seront en règle.
– Et qui les note ?
– Les caméras…
– ?
– Une intelligence artificielle évalue les actes les plus anodins en permanence. Mais je vais arrêter de raconter tout ça, les caméras ont des micros puissants, elles doivent nous entendre et vont finir par trouver tes questions subversives, tu risques d’être mise sous surveillance aussi.
Je m’étrangle avec mon verre de rouge.
– Pour finir avec mes explications, ta prochaine assignation te seras signifiée par une voix différente, dont j’espère que tu l’aimeras autant que… (mon regard torve doit l’impressionner) oui, bon… il faut que tu t’y prépare.
– Et j’ai combien de temps ?
– Je ne sais pas. Ne perds pas de temps.
Après avoir observé les gens s’escrimer pour prendre place dans le tram, je prends mes nouvelles clés, qui sont accrochées sur un nouveau trousseau (le précédent était en forme de lézard, celui-ci représente un ours blanc) et rentre chez moi. Même adresse, même immeuble, même étage. Le salon est plus grand, la fenêtre donne sur la place d’où je vois le café que je viens de quitter, alors que ce matin elle donnait sur le tram. Je m’assieds sur le canapé et vide mon sac à dos. J’ai besoin de mon livre.
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Publié le 8 février 2020, dans histoire courte, et tagué histoire quantique, rébellion, surveillance, urbanisation, urbanisation sauvage. Bookmarquez ce permalien. 1 Commentaire.
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