virtuelle réalité part #2
ça date de 2013, mais bon… on y est presque…
21 Octobre 2012
Aujourd’hui, il m’est arrivé une chose bizarre… c’est un message sur le répondeur de mon portable. Il émane d’un homme qui dit s’appeler Augustin. Il se présente comme un scientifique qui fait des recherches sur la dématérialisation humaine.
Il travaillerait sur des prototypes supposés déstructurer les corps et les faire transiter par les ondes téléphoniques, entre deux machines. Le principe est simple ; la machine source dématérialise le corps et le transforme en une série de chiffres, puis compose le numéro du téléphone de la machine cible. La cible, à l’arrivée de la séquence de chiffres, recompose le corps ainsi téléporté.
Augustin explique que suite à une expérience récente, au cours de laquelle il tentait se téléporter, il se trouve coincé dans ma carte SIM. Il y aurait eu un bug et le prototype source aurait mal composé le numéro du prototype cible. II aurait composé mon numéro de portable à la place. Du coup, le savant dématérialisé a se retrouve coincé dans mon téléphone.
Il y a un homme dans mon téléphone ! Sous forme de chiffres, mais quand même.
22 Octobre 2012
Je n’y crois pas une seconde, mais c’est troublant. Un nouveau message me donne quantité de précisions techniques, de détails, de preuves qui me font presque croire à l’impossible… Le ton est pressant, cet homme parle comme s’il était réellement prisonnier de mon téléphone portable. Aujourd’hui, il s’est même permis de faire des réflexions sur mes choix musicaux… il a critiqué les titres que j’ai téléchargés dans mon appareil! Je l’ai trouvé gonflé, mais c’est un argument perturbant… Qui d’autre pourrait savoir que j’écoute Patrick Juvet?… C’est le genre de truc qu’on garde secret…
Augustin me demande de le libérer ; il dit que si je réponds à l’appel qu’il va lancer sur ma messagerie, dès le premier son de sa voix, il me suffira de transférer l’appel vers le numéro de la machine cible pour qu’il puisse réintégrer le monde réel.
J’ai un léger doute… mais après tout quel est le risque ?
23 Octobre 2012
J’ai décidé de libérer Augustin. Je suis un peu impressionnée ; je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Au pire, c’est un canular ; mais enfin… depuis le temps que je rêve de me téléporter… Entrer en contact avec quelqu’un qui y arrive, c’est une idée séduisante ! Même si ça fait un peu bizarre d’avoir un homme coincé dans mon téléphone ; sans compter qu’il peut sans doute profiter de tous mes appels, sms, photos… A la réflexion, c’est une présence un peu intrusive dont j’aimerais me débarrasser.
Je ne peux m’empêcher de me demander à quoi ressemble Augustin. Il doit avoir la cinquantaine peut être un peu moins, j’aime bien sa façon de s’exprimer dans les messages qu’il me laisse. Au fond de moi, j’espère un peu qu’il est beau… Après tout ça, je finirai peut être par le rencontrer. Je n’ai pas osé le lui demander… Si c’est un canular, je ne veux pas avoir l’air trop crédule… ‘faut pas exagérer…
Pour opérer la libération, il faut que le répondeur m’appelle et je n’ai qu’à décrocher. Pas besoin de parler. Juste de transférer l’appel. Nous avions convenu d’une heure tardive, afin de ne pas risquer de mélanger l’appel du répondeur avec un autre appel simultané; Augustin craignait de se retrouver mixé avec un sms publicitaire… ou une photo…
01h29 du matin, le cœur battant, je mets mon téléphone en marche. J’ai bien conscience de le fixer intensément. … Un homme doit transiter par-là, quand même…
01h30 du matin, la sonnerie retentit comme convenu. Je décroche immédiatement et me mets à composer le numéro de la machine cible. Je dois attendre qu’Augustin me demande de transférer l’appel. Je ne respire plus. J’ai les mains moites et je sens mes yeux s’exorbiter.
15 secondes se passent, puis 20, puis 30… rien… pas le moindre signe, aucun son. Je suis déçue.
Je vais raccrocher, un peu vexée de m’être montrée si naïve, quand un bruit attire mon attention; il provient du salon. J’y fonce, m’attendant presque à trouver un inconnu au milieu de la pièce.
Rien. C’est l’imprimante qui s’est mise en marche.
L’imprimante ? Je n’ai pas le souvenir d’avoir lancé une quelconque édition… Je me fige soudain. Je viens de me rappeler que mon téléphone est configuré pour imprimer automatiquement les photos que l’on m’envoie… Je me jette sur l’imprimante. Arghhh ! Un visage est en train d’apparaître sur la feuille ! C’est un homme que je ne connais pas, son regard est affolé, ses yeux sont agrandis par la panique. Je crois deviner de qui il s’agit… J’éteins précipitamment l’imprimante… J’espère qu’il n’est pas trop tard. Le visage et le cou d’Augustin occupent un tiers de la page… Zut… il est beau…
Je me précipite sur le téléphone, interroge en vain le répondeur… rien, toujours pas le moindre signe.
24 Octobre 2012
Après avoir passé une nuit blanche à écouter le silence désespérant de mon répondeur, j’ai fini par accepter l’idée d’avoir décapité Augustin. Ce qu’il reste de son corps est à jamais prisonnier de ma carte SIM.
Je me sentais tellement coupable que j’ai décidé, en mémoire de ce savant étrange, d’enterrer le portable dans une jardinière sur mon balcon.
En guise de sépulture, j’ai planté une clé USB par-dessus. J’ai pris une 8 giga. J’espère qu’il apprécie…
Publié le 14 janvier 2019, dans Extrapolations, et tagué histoire courte, téléphone, virtualté. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.
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