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Street-stories #1 – Le disparu du mur

Lecteur-Chéri-Mon-Sorbet-Cassis, j’ai l’immmmmmense plaisir de te présenter un nouveau concept: 4 photos prises au hasard dans ma collection privée de Graffitis doivent constituer la trame d’une petite histoire (dans l’ordre de sélection, je précise). Bien sûr, tu n’es pas obligé de me croire quant à la notion de hasard, mais, sincèrement, quel intérêt aurais-je à mentir à internet…
Donc, les 4 images sont:

 

 

 

 

 

et voici, après un peu de réflexion, « le disparu du mur »

J’ai rencontré AMD sous le périphérique parisien, dans une portion de tunnel. Il portait un petit panneau sur lequel des mots mal tracés à l’orthographe hasardeuse clamaient son désespoir:  « SVP une petite pièce ou un tiquet resto – AMD». Il n’était pas bien jeune, son visage pâle était dévoré par un grand œil noir à la pupille carrée et il portait un chapeau de pêcheur et un bandeau pur dissimuler l’autre oeil. Je le croisais chaque jour en allant travailler et c’est à la période de la canicule que j’ai commencé à lui apporter des bouteilles d’eau. L’eau lie l’homme, c’est bien connu. De fil en bouteille, AMD s’est laissé aller à se raconter un peu. Il venait d’un pays lointain dont il gardait une nostalgie infinie, les mois passés sous le périphérique ayant annihilé tout espoir de retour. Nous parlions par gestes et onomatopées, lui sous son chapeau défraichi, moi sous mon casque de moto. Le temps d’un feu rouge, l’essentiel devait être dit. Un matin, je lui ai conseillé, s’il avait un problème, de faire un geste vers moi. Je trouverai bien un espace pour me garer et le rejoindre. Les semaines ont passé, l’eau a changé de mains sous le périph’ et AMD n’a pas fait de geste.

Jusqu’au jour où je n’ai pas vu le vieux monsieur. Sur le mur, à la place qu’il occupait depuis si longtemps, il y avait ce graffiti

Il m’a fallu quelques passages pour comprendre. AMD avait fait un geste, mais à sa façon. Il avait peint sur le mur les quatre lettres qui indiquaient qu’il avait besoin d’aide. « JEST » disait l’inscription. Je me suis garé et me suis approché du mur. Rien qui ne donne la moindre indication sur ce qu’était advenu le vieil homme, ni sur ce qu’il attendait de moi. J’ai un peu fouillé les parages, trouvé des bouteilles de plastique vides et quelques chiffons, des journaux et des restes de repas, mais pas d’indice intéressant.

J’ai déposé une bouteille pleine d’eau, quelques conserves et suis reparti. Pendant quatre jours, je me suis arrêté pour contrôler les provisions qui n’ont pas bougé. Le matin du cinquième jour, inquiet, je suis arrivé beaucoup plus tôt, décidé à mieux explorer les parages. J’ai trouvé une petite porte métallique incrustée dans le mur. Le cadenas qui la fermait était tout rouillé et il a cédé facilement. Muni de mon téléphone pour m’éclairer, suis entré dans le passage sombre. Au bout de quelques mètres, le faisceau dansant a révélé un visage décharné, bleu, aux yeux caves et à la bouche édentée. J’ai fait un bond en arrière et poussé un cri. Le dos collé au mur froid, j’ai brandi mon téléphone, pour révéler une fresque géante, qui couvrait les murs et le sol.

Le personnage ressemblait à une version décharnée et gigantesque d’AMD et semblait m’adresser un signe désespéré. On aurait dit un signe d’adieu. AMD aurait-il décidé de partir ? Mais dans ce cas, pourquoi m’aurait-il laissé une demande d’aide ? Une rapide exploration du lieu ne révélant rien, je suis ressorti, ai repoussé la porte et poursuivi prudemment mon exploration.

Rapidement, j’ai trouvé un tas énorme de bouteilles de plastique vides. Un rapide examen a montré qu’AMD avait élu domicile au milieu des bouteilles. Il avait façonné un lit et des espaces où il entreposait toutes sortes d’objets hétéroclites, vraisemblablement collectés dans les poubelles. Le tas de bouteilles dissimulait une autre porte, ouverte, celle-là qui semblait donner sur les égouts. Je suis donc descendu, mais le couloir sombre, l’odeur fétide et le bruit d’eau glauque m’ont rapidement fait rebrousser chemin. Il me fallait une source de lumière autrement plus efficace que mon téléphone pour explorer ce lieu.

J’ai continué mon chemin et en sortant de la portion de tunnel, suis tombé sur une fresque où j’ai cru reconnaître le tas de bouteilles, surplombé par une étrange tête bleue à un seul œil.

 

Serait-il possible…

Je suis retourné au tas de bouteilles et l’ai observé de plus près. AMD avait construit un véritable labyrinthe de plastique bleu. En poussant un peu mon exploration, j’ai fini par débusquer un gros aquarium plein d’une eau saumâtre, qu’on aurait dit issue des égouts. A côté de l’aquarium, j’ai trouvé le chapeau de pêche d’AMD. Le vieux se serait-il noyé de désespoir ? J’ai inspecté chacune des faces de l’aquarium, et ai remarqué un soulier usé, dont la semelle était plaquée sur une paroi. Mon cœur a fait un bond.

Quelques heures plus tard, les pompiers ont extrait de l’eau sale le corps boursouflé du clochard. Je ne saurai jamais d’où il venait. Mais dans ses papiers, ils ont trouvé une lettre adressée à un certain Amédée, ainsi que la photo d’une plage, sur laquelle posait un homme jeune et souriant sous un chapeau de pêche.

Je suis retourné dans les égouts, à la recherche d’un dernier signe.

J’y ai trouvé cette fresque. Je souhaite à Amédée qu’il ait rejoint la mer qu’il aimait tant et qu’il soit maintenant un bel animal sous-marin.