Si les designers le disent…
… c’est sans doute vrai…
Les faits: le design d’aujourd’hui (c’est à dire « eux », les designers, ceux qui sont les explorateurs de tendances, les chantres du boboïsme, les rois de l’avenir) s’intéresse aux moyens de rendre l’individu (c’est à dire vous et moi, mais surtout vous) plus efficace, plus capable de se concentrer, en un mot: plus ren-ta-ble.
Magnifique illustration du concept, cette chaise (si-si, nous sommes en 2012) qui permet à celui qui y prend place de se focaliser sur une seule tâche. Vous notez au passage que le personnage présenté est un homme. Les femmes étant réputées pour être multi-tâches (d’ailleurs à l’heure ou je vous écris, je suis en train d’écouter Ali Rebeihi en différé (quelle chouette émission, j’adoooore son style), de préparer un dîner (de la cuisine finement étudiée), de vernir mes ongles de pieds, de faire mes assouplissements post-vélo et je répète une chanson que je suis en train d’apprendre). La routine, quoi.
La chaise, qui a l’air bien rigide, permet d’éviter toute rotation de la tête et possède des plaques qui masquent la vision latérale. Il doit bien y avoir un verrou qui maintient le malheureux en place (comme les bébés dans leur chaise haute).
Donc, l’homme a besoin qu’on l’aide à ne pas être distrait. J’ai même découvert qu’il existe des lampes qui n’éclairent qu’un format A4 (pour toi, amateur de consoles vidéos et écrans en tout genre, le format A4 est celui d’une feuille de papier standard ; celles que tu peux mettre dans ton imprimante. Celle sur laquelle tu peux aussi écrire. Avec un stylo.) ; la lampe éclaire donc uniquement la zone importante du bureau : celle où figure le texte.
Plusieurs remarques dévastent mon cerveau surchauffé :
1 Qu’est ce qui perturbe l’homme à ce point, que l’on soit obligé de lui mettre des œillères ?
2 Pourquoi l’homme est-il maintenant incapable de se concentrer ? des milliers d’années ont passé pendant lesquelles seuls les ânes et les chevaux avaient besoin d’œillères… l’homme serait-il en train de devenir équidé ?
3 Va-t-on bientôt inventer une ceinture de sécurité pour attacher l’homme à son siège ?
4 Quand est-ce qu’on mange ?
Vu l’urgence de la situation et le besoin pressant de prendre une douche, après tout ce vélo, je vais essayer de faire bref.
1 L’homme qui travaille dans un bureau a de multiples raisons d’être perturbé ; surtout celui qui travaille dans un bureau occupé par d’autres hommes (ou femmes) ; encore plus s’il travaille dans ce que des sauvages décérébrés ont appelé « open-space ». Par exemple, les réunions improvisées sur le bureau d’en face. Ou le coup de fil qui dégénère en pugilat vocal passé à 1m50. Ou le collègue qui apporte des croissants, celui qui montre sa dernière raquette de tennis, celui qui parle des résultats sportifs, celui qui veut un café, la nouvelle secrétaire très mignonne qui passe lentement pour aire admirer ses talons aiguilles, les mails qui ne cessent d’arriver, dont la moitié sont totalement hors-sujet mais font de bons parapluies, etc etc etc…
2 L’homme ne peut donc plus se concentrer sur une seule tâche. Son esprit sautille allègrement d’activité en activité, démarrant mille choses sans jamais en finir une seule. Ca me rappelle … environ 150 personnes ; constat personnel : plus la personne est haute dans la hiérarchie, plus le constat s’impose. Mais vraisemblablement, moins la chaise à œillères sera utilisée…
Pourquoi cette impossibilité à se focaliser ? L’habitude de la réponse immédiate ? (en cas d’interrogation, on ne fait plus travailler ses neurones, on écrit à 10 personnes et l’une d’entre elles aura bien la solution, alors en attendant la réponse –qui est supposée arriver dans la minute- on peut passer à autre chose). La flemme ? L’obstacle à franchir ? (je vois un obstacle, il me semble infranchissable, je change de chemin. Sur le nouveau chemin, je vois un autre obstacle, qui me semble tout aussi infranchissable. Je change de nouveau de chemin, etc etc. Au bout d’un moment il est tard ; je fais des tas de mails pour expliquer que je suis débordée de tâches insurmontables et je rentre chez moi. Me plaindre de ce boulot si compliqué.)
La seule période de sa vie ou l’homme avait besoin de ce type de meuble, c’était dans sa première enfance, quand il était incapable de se nourrir seul. Et je ne pense pas que la race humaine tende vers le cheval. Vers la mule, à la limite.
3 On peut imaginer 1000 autres ruses pour forcer l’homme à se concentrer : une ceinture de sécurité, une alarme qui hurle dès que l’on cesse de faire pression sur sa souris, une main articulée qui tend le sandwich et le café, un détecteur de mouvements non autorisés, un système de sécurité qui repend de la peinture bleue sur toute personne dont les bras ou les jambes sortent d’un périmètre autorisé, une diffusion sauvage de « Où sont les feeeeemmes » (ça faisait longtemps…) en cas d’yeux qui se ferment, etc etc… « Brazil », film visionnaire…
4 Maintenant. La chaise vient de se déverrouiller, je suis liiiiiiiibre !
Publié le 10 août 2012, dans France Inter, La fée pétasse, et tagué ali rebeihi, chaise, concentration, design. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.
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