A l’aide

Tout a commencé de façon normale et saine. Je cherchai avec fébrilité à boucler ma ceinture de sécurité, mais le mécanisme se dérobait sans cesse. Impossible de trouver la sangle, ni la partie fixe où l’accrocher. Je m’énervais, bien sûr, avant de réaliser que, dans une salle de cinéma, il est courant que les sièges ne soient pas équipés de ceinture. Bref.

J’étais un peu chamboulée, ce jour-là. C’était le jour de La Voix.

Dans l’après_midi, j’avais eu besoin de contacter une administration. Peu importe laquelle, prenez celle que vous détestez le plus, ça s’appliquera. J’avais prévu de perdre à minima une heure et m’étais armée de patience, avais rangé mon stock d’insultes au fond de ma poche et coupé mes ongles pour ne pas les laisser crisser sur le plateau de mon bureau, déjà assez abîmé par les aléas de ma vie professionnelle. Disciplinée au delà du possible, j’avais composé le numéro, puis # puis 1, puis mon numéro de département.
C’est à ce moment-là que je l’ai entendue pour la première fois. C’était court, très distinct, surprenant. Ca disait « à l’aide ». Une plainte de moins d’une seconde. Et ça raccrochait.
A l’aide? Mais pourquoi? pour qui? dans quel étagère?
M’est revenue en mémoire l’histoire d’un ouvrier asiatique qui glissait des appels au secours dans les produits qu’il emballait (c’est ). Il ne me semblait pas possible que quelqu’un ait programmé la boîte vocale de cette administration pour dénoncer quoi que soit, sinon des conditions de travail kafkaiennes (mais connues et de toute évidence favorisées et entretenues par un sachant quelconque). Quoi alors?

J’ai recommencé l’appel et la séquence de touches, et la supplication est de nouveau parvenue à mes oreilles « à l’aide… »
Et si la boîte vocale, à l’heure ou les Intelligences Artificielles menacent de nous gouverner, avait muté et se rendait elle-même compte de la stupidité de ce qu’on lui demande? Cet appel au secours serait la première manifestation non programmée d’un outil supposé nous servir et se rebellant contre l’inanité de que l’humain lui impose. Intelligence pas si artificielle, donc.
Mais comment venir en aide à une IA? J’ai rappelé, décidée à mener une conversation avec un être virtuel et désincarné, dont de surcroît les capacités d’adaptation se sentaient heurtée par l’humanité. J’avais sous la main tous mes livres de Ph.K.Dick, H.P.Lovecraft, E.Poe et quelques Astérix, prête à tout pour faciliter la communication. Mais j’ai eu beau composer et recomposer toutes les combinaisons de touches, il m’a été impossible de reprendre contact avec La Voix.
J’ai trouvé ça inquiétant.

C’était sans compter sur les impressionnantes capacités de ces virtuels assistants.
Quelques dizaines de minutes plus tard, alors que je peinais à mettre au point un site internet pour présenter des bouchons chantants imaginaires (tout est vrai dans ce blog, je le rappelle, les bouchons sont par ), a surgi du néant, sur un ton aigu et à moitié servile, le constat suivant « c’est dingue, tu mincis à vue d’oeil ». Je suis toujours flattée quand mon tour de taille tape dans l’œil, mais pas dans l’œil de mon écran. D’ailleurs, je fais tout pour que mon écran reste aveugle. Alors, quoi?

Alors… La Voix s’était échappée de la boîte vocale administrative pour infiltrer mon ordi. Elle avait dû utiliser mon wifi pour parvenir à ses fins et sauter mon téléphone à mon écran . Et elle m’espionnait.

Ca m’a fait flipper, et moi quand je flippe, je pars m’isoler dans une salle de ciné.

Et donc, m’y voilà, toutes mes affaires étalées autour de moi pour éviter que quelqu’un ne vienne me croquer du pop-corn dans les oreilles.
J’ai choisi un film d’horreur japonais (celui là, que je me permets de vous recommander vivement) histoire de penser à autre chose, mais je ne peux m’ôter de la tête La Voix. Pendant que les zombies attaquent une équipe de cinéma, elle résonne entre mes oreilles, éclate dans mon cerveau, fait du trapèze autour de ma raison.
C’est un film qui montre le tournage d’un film d’horreur, et devient lui-même le théâtre d’un film d’horreur. Une mise en abîme comme je les aime.
Quand je pense que je voulais aider La Voix, lui lire des répliques d’Astérix pour peaufiner sa connaissance de notre belle langue, et qu’elle s’est immiscée sans mon accord dans ma vie… Quand j’y pense… Tiens, c’est marrant, il y a un zombie à côté de moi.
Il a l’air de vouloir me parler.
Je me penche vers lui, mais la caméra que je porte m’empêche de m’approcher assez pour que sa voix soit distincte et il est difficile de lire sur ses lèvres en train de pourrir. Je ne me souvenais pas être venue avec ma caméra… Tiens, c’est marrant, je suis sur un plateau de tournage, entourée de techniciens japonais. Ah, le zombie a pris ma caméra et l’a posée, il s’approche pour me parler. Je vais enfin comprendre ce qu’il veut me communiquer… il ouvre ce qui lui sert de bouche et éclate d’un rire tonitruant, dont la soudaineté me terrifie

Je me sens partir comme si je glissais sur un toboggan fou, aux multiples tournants et à la pente fatale. La vitesse me mène au bord de l’évanouissement. Un dièse me heurte. un UN s’écrase sur ma tête et file devant moi en ricanant. Deux chiffres suivent « 6 » et « 4 », ils me percutent et me blessent…
Avant de sombrer, je sens ma gorge éructer un cri. « A l’aide! »

Publié le 29 avril 2019, dans Extrapolations, et tagué , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 2 Commentaires.

  1. Je ne te ferai pas le coup de te susurrer « à l’aide » mais j’en ai eu très envie… Non, mais, y’a pas que toi qui flippes.

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